Vendredi 6 avril 2018

– What you’re looking at ?, me demande Madonna qui entame sa chanson.
-Deux hérons qui volent au-dessus d’un marais.

Jeudi 5 avril 2018

Ciel bleu. Je sors de la librairie. La place du Parlement est petit à petit grignotée par l’ombre mais le bleu est là, au-dessus. Sur un banc encore lumineux et chaud, à l’autre bout du fil, N me raconte la folie des hommes, presque anthropophages à force d’être agressifs. Je vois les places libres à la terrasse d’Edouard, j’y vais ensuite. A ma gauche deux Allemandes à qui j’ai envie de demander une cigarette en attendant la serveuse (lente et nulle en calcul mental), JLM (qui finalement sera retenu au labo) et Lenny S (qui m’accompagnera jusqu’au – presque – bout de la nuit et jusqu’au cours Victor Hugo après un passage buvette et dînette).
Mais la folie des hommes, c’est aussi parfois, donc ici et maintenant, après que la serveuse est enfin passée et s’est empêtrée dans le rendu de ma monnaie, c’est le geste désespéré d’ouvrir un parasol géant qui masquera le ciel, mon ciel, celui pour lequel je me suis assis là en lisant quelques pages de Julien Thèves, l’amitié entre les mains et le regard dessus, alors me direz-vous à peine le regardais-je, cet azur, qu’on avait masqué pour réchauffer l’atmosphère.

Mercredi 4 avril 2018

On s’inquiète. On s’enquiert. On me dit osthéo, massage, kiné. Je dis que ça va passer, rendez-vous, sport, bientôt, il faut, laxisme, pas malin.

On me dit pas sûr, budget, demande, quand. Je dis bah… Je pense argent. Mais je pense aussi projets, Depaul, lapin, Nontron, petits boulots, Fanny, Mathieu, exposition, écrire, Espagne, printemps.

On me dit Normandie, je dis Japon. Parce qu’enfin j’ai écrit mon nom, avec fébrilité, pour qu’il soit au milieu des autres.

Mardi 3 avril 2018

Alors, puisque le corps a décidé de s’exprimer, hier soir, refusant de quitter cette chaise, il y a forcément cette histoire japonaise que je raconte : Onomichi, la maison accessible par le petit chemin escarpé, le dos bloqué, la douleur, la pire des douleurs, le miracle des cachets, le corps qui avait peut-être ce jour-là demandé du répit ou montré ses limites, cherchant un signe là où il n’y avait peut-être rien d’autre qu’un problème de dos, toujours là, la preuve, dans un recoin, prêt à bondir après 6 heures dans un fauteuil trop mou et une ambiance trop dure.

Lundi 2 avril 2018

Les vies vécues sous conditions d’extrême dénuement, d’immense destruction, d’immense précarité, ont sous ces conditions d’extrême dénuement, d’immense destruction et d’immense précarité à se vivre ; chacune est traversée en première personne, et toutes doivent trouver les ressources et les possibilités de reformer un quotidien : de préserver, essayer, soulever, améliorer, tenter, pleurer, rêver jusqu’à un quotidien : cette vie, ce vivant qui se risque dans la situation politique qui lui est faite.

Marielle Macé, Sidérér, considérer

Troisième paragraphe, indifférents de la boue.

Dimanche 1er avril 2018

L’amitié est parfois quelque chose de flou. Il y a les amis, les potes, les copains… Et puis parfois au bout de dix ans, puisqu’on fait bien sûr le déplacement pour lui faire une surprise ce dimanche pour ses prochains 50 ans, on fait le bilan. Alors je pense à cette première rencontre pour mon premier vernissage, aux confidences, à cette grande maison tout là-bas en Bretagne, à un déjeuner dans son jardin, aux virées lectouriennes, à une connivence, quelque chose de simple, une temporalité baignée de silences géographiques mais une présence fidèle.

Et puis nous avons repris le même chemin, comme pour écrire un deuxième paragraphe cherchant à définir l’amitié. Le même chemin donc, celui de la veille jusqu’à la plage, éclairée cette fois par le jour. Et nous l’avons poursuivi, vers là-bas. C’était alors, prolongement au-dessus des rochers, marée basse, oui c’était aussi celui d’un soir du printemps dernier après un dîner au 21. Nous avions aimé comment cette côte se découpait au soleil couchant. Je regardais l’horizon.

 

Samedi 31 mars 2018

Un trajet. Une personne noire androgyne qui potasse des fiches. Une jeune femme qui lit des magazines. Un musclor bogosse tatoué qui roupille. Sa copine qui parle soudain un peu fort. Trois mamies qui se passe un téléphone à clapet sur lequel s’affiche le message : « Poils à la touffe ». Ma voisine qui mange des chouquettes. Une babacool qui préfère la salade de lentilles. Des lycéens en terminale S qui révisent.

//

Et puis on a voulu voir la mer. Dans le port de Pornic, elle avait déjà offert un petit aperçu, un entrefilet bordé de bateau et dérangé par la question : où dîner ? C’est après qu’on l’a vue, loin, à peine, derrière la plage à découvert. Les rochers étaient glissants, la nuit était tombée et la lune jouait à être encore pleine. Les baskets blanches de J évitaient les flaques d’ombre. Nous partagions l’obscurité.

Mardi 27 mars 2018

Elle défait sa longue chevelure blond vénitien qui se déroule, ondulant, le long de son dos. Vêtue de gris, elle est sur le quai du tram, belle, et le mouvement de la tête et des cheveux offre un moment de grâce qu’une pub pour shampoing ne renierait pas.
A côté d’elle, une autre femme, moins belle pourrait-on oser dire, un peu avachie, faisant un peu la moue, quelque chose de plus rustre absolument pas commercial. Elle tourne la tête, regarde l’autre et, hasard ou mimétisme, secoue la tête pour brasser sa tignasse blonde.
Je ris.

Lundi 26 mars 2018

Mon problème essentiel est que je ne suis pas encore mort.

Mathieu Riboulet ; Le Regard de la source

Vendredi 23 mars 2018

Bordeaux – Paris. Première classe. Les couleurs, les formes, me rappellent la Keihan line, que l’on empruntait parfois pour aller à Osaka. Mais c’est l’Afrique du Sud que je rejoins.

Jeudi 22 mars 2018

Ils installent alors trois fauteuils étonnamment colorés sur la scène sombre, écran bleuté au fond, et autour, éparpillées, les feuilles utilisées dans la mise en scène de ce « Prendre dates » que l’on vient de voir, adapté du texte de Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet, adaptation en mode mitraillette, métaphore maladroite mais pas le temps de dire ouf, l’esprit ne suit pas, je veux une respiration, pour réfléchir, parfois. Le texte, ce sont ces jours, du 6 au 14 janvier 2015, ces jours qui ont figé tout le monde, ces jours que j’ai regardés de loin, depuis le Japon, c’était le soir quand on a su pour Charlie, c’était étrange quand on a su pour la suite, la Porte de Vincennes c’était alors un autre monde, ce n’était plus vraiment mon pays, plus tout à fait.
Dans les fauteuils, ils attendent des questions. Elle ne viennent pas. L’absence de M. Riboulet décédé récemment, semble imposer le silence. Je me demande, mais je ne demande pas, comment l’historien P. Boucheron travaille avec ce genre de distance temporelle
, autre, proche. Comment, quand il évoque les attentats sur d’autres continents, il regarde les distances géographiques… Je crois qu’il y aurait alors eu trop de moi-même dans cette question. Comme dans les phrases que je viens d’écrire, peut-être.

Mardi 20 mars 2018

Elle dit son prénom. Il pleure. Ce n’est rien et c’est tout. Elle n’a presque rien dit depuis qu’elle l’a ramené de la gare, la voici mettant la table, floue, derrière ce visage net éclairé par la cheminée, visage qui cherche à sourire, parce qu’il le faut. Un prénom, donc, presque rien d’autre. Le film se tient sur ça, le peu, un plan fixe très court sur l’escalier en béton d’un jardin, une mère silencieuse, un père qui, en un rien, dit tout. Et puis une pêche, le plaisir dans ce qu’il a d’aussi cru et doux qu’un fruit, le désir, frôlé, là encore, presque rien, un contact, des pieds, une caméra qui se détourne vers les feuillages. Et puis des flous qu’on craint voir se répéter, mais non, ils s’échappent, légers.
En quittant la salle, deux filles me suivent, l’une chuchote qu’elle s’est fait chier. Ch, lui, dira que c’est chouchou. Je comprends que je suis face à une réalité, la mienne, et à ce que j’en fais, alors spectateur du sentiment encore présent, longtemps, toujours, qu’il est dur et beau d’aimer, mais que, comme le dit le père, le chagrin et la douleur sont des sentiments qu’il faut vivre, avant d’être asséché.
C’est dur de ne pas être seul quand on voudrait pleurer. C’est dur de parler d’un film qu’on a aimé. C’est encore plus dur quand il répond aux mois, aux années, passées, à venir, à ce qui se dessine peut-être, à ce qui a éclaté, existé, aux larmes, les miennes ou celles des autres, ici ou sur d’autres continents. Alors au bar, les clips nous emmènent vers le rire. Et Bonnie Tyler articule comme le poisson : dans le vide.

Lundi 19 mars 2018

Il y a eu, hier, 43 images sélectionnées, préparées, envoyées. Trop. Dix de plus que sur le plan, pour se donner le temps de choisir, là-bas, sur place, ou bien avant, ici, dans une échelle convaincante. Au matin je lis que l’espace sera plus petit que prévu. Qu’importe, pourvu qu’il reste encore de la place pour nous deux, pour toi bien sûr, pour moi un peu, que je me glisse, là, à ton invitation, dans ce que l’on a partagé.

Dimanche 18 mars 2018

Il m’avait donné rendez-vous devant la porte rose derrière l’église. C’est d’une porte bleue, en face, qu’il sort, tandis que j’arrive. Il ne se souvient pas que l’on avait échangé pour la première fois en 2011 : je devais alors, éventuellement, poser pour lui, mais cela j’oublie de le lui préciser, tandis qu’on cherche une terrasse au soleil. Nous étions alors voisins, ailleurs, en plein cœur de Paris. Nous le sommes à nouveau, à Bordeaux cette fois. Il ne sait peut-être pas combien j’aime ses photos. Il m’avait dit, encore tout à l’heure, par SMS, qu’il aimait les miennes. J’ignorais, forcément, cet accent.

 

Mardi 13 mars 2018

C’est immense. Particulier. Brut. Envahi. Ce sera bientôt vidé. Toujours autant immense. Mais modulable. Alors on peut tout imaginer. Je peux tout imaginer. Mais vite. Rendez-vous le 3 mai.

Dimanche 11 mars 2018

« Prends soin de toi. »

Prendre soin de soi. Prendre soin des autres. Donner soin. Voir la rime avec tsoin tsoin. Ne pas trouver ça drôle.
Prendre la route. Prendre des virages. Prendre le temps. Oublier de prendre un pull. Avoir froid.
Prendre l’air. Prendre la température de Bordeaux la nuit. Prendre la direction des berges. Prendre une photographie de St Michel éclairée. Comme tout le monde.

Samedi 10 mars 2018

Quarante-cinq cartons. Trois immenses caisses métalliques. Ta vie. Les souvenirs. Les livres. Les cahiers de ta mère. Les initiales de ta grand-mère, brodées ici, là, encore là. Les livres de ton père. Les médailles. Les crucifix. Il y a forcément une émotion, tue, ou remplacée par l’étonnement, par l’épuisement. Nous évoquons, tout de même, pour cette tirelire, la nostalgie.

Tous ces objets aussi. Ils ont été ton quotidien avant d’être le nôtre. Certains, dont tu te sépares et te détaches, vont devenir les miens. Dans un premier élan parce que cela me sera utile, un jour, sûrement. Et puis je crois que j’en suis heureux, de garder un peu de vaisselle, ce vase, bien qu’il soit immense ; c’est peut-être ce qui manquait – indépendamment de ta présence – après mon départ, des symboles de ces années d’avant le Japon, de cette adresse, la nôtre. A force de tout abandonner, on s’abandonne sûrement un peu soi-même.

Mais encore ces assiettes, ce vase, que j’avais achetés, il y a si longtemps. Je les regarde presque avec horreur : elles sont blanches, il est vaguement original, ils sont presque effrayants par leur style et par ce qu’ils représentent de cette vie lointaine, il y a 15 ans peut-être. 20 ? Je les remplace par des éléments de ton ancienne vie, puisque je ne possède presque rien, pas grand chose qui vaille la peine. Ainsi tu me transmets un peu de valeur ? Et de peine.

Vendredi 9 mars 2018

Enfin, la maison, atteinte après une heure de route où les paysages s’offraient, agrippant le regard. Parfois je m’arrêtai.

Mercredi 7 mars 2018

À une amitié déjà solide, je donne une autre dimension, une autre temporalité : un rythme, une habitude, des improvisations, des petits messages, des déjeuners bien sûr si possible puisque il me suffit de quitter le bureau 203, descendre, traverser, attendre qu’on m’ouvre la porte du bâtiment dont je n’ai pas le badge. Des dîners aussi bien sûr, puisque 15 minutes nous séparent.

Mardi 6 mars 2018

Alors il sort de la FNAC, on s’embrasse, il sourit, éclatant, propose ce bar, que je n’imaginais pas si près.

Lundi 5 mars 2018

« Ses cheveux sentaient l’aurore, comme s’il avait dormi dehors. »

Marguerite Duras ; La Vie tranquille.

Dimanche 4 mars 2018

Le film va se terminer. La mère pleure au volant. Plan sur la route. J’espère que le réalisateur et le monteur vont nous offrir de longues secondes, un plan séquence, un souffle méditatif pour clore ce portrait familial plutôt agréable mais évidemment tronçonné dans un montage dynamique depuis 1 heure 30. Clac, visage. Clac, route. Clac visage qui décide de faire demi-tour. Forcément ému car toujours facilement ému par ce genre de scène où le bonheur sort la tête d’un sac bourré d’hésitations et d’atermoiements, je me dis dommage, déçu par cette temporalité qui n’a pas osé.

Je sors du cinéma. Quai de Seine. J’ai faim. Il ne pleut plus. L’atmosphère est baignée d’une lumière que j’immortalise en une vignette carrée sur un vain mais fascinant réseau social. Je prends le temps de marcher un peu, d’offrir le plan séquence qu’il manque au film, avant de traverser la rue, acheter de quoi me nourrir, franchir la porte, discuter encore un peu avec N&F, partir et marcher encore, presque tout droit, jusqu’à là-bas.

Samedi 3 mars 2018

« Ah non mais c’est insupportable le cinéma français. C’est que des gens qui boivent du vin dans leur cuisine ! » 

Vendredi 2 mars 2018

J’ai un peu attendu, puis j’ai remis le sac à main aux contrôleurs. Il m’ont remercié, je suis reparti, regardant les visages, cherchant un signe. C’est là qu’elle est arrivée, le visage crispé de panique, cherchant sur les wagons le numéro 17 où elle avait oublié son sac.

Mardi 27 février 2018

« C’est très beau le cinéma iranien », m’écrit-il. Car c’est ce film que nous avons choisi, ce Cas de conscience humaniste, oh oui c’est un adjectif facile à placer, humaniste, le cinéma humaniste, dès qu’on s’attarde un peu sur des situations douloureuses. Pour peu que ces situations soient au-delà de nos frontières, en l’occurrence l’Iran, pour peu que des classes sociales se rencontrent, que les femmes soient maltraitées ou se rebellent, que tout le monde soit beau, les riches comme les pauvres, que tout le monde soit fatigué, que tout le monde parle avec son cœur, que les pères pleurent, c’est humaniste. Mais s’il est aisé de se moquer d’un cinéma tombant dans les clichés et les facilités, il m’est ardu de me moquer de ce Cas de conscience, film précis à la photographie un peu dorée. Son seul défaut serait presque une certaine perfection (du scénario en particulier). Et… que disais-je sur la beauté ?

Lundi 26 février 2018

Ce sont des paysages enneigés qu’il m’envoie depuis hier. A travers la vitre du train, l’ancienne RDA était blanche, une blancheur inquiétante une fois au terminus le temps qu’il trouve un hôtel, refuge et soulagement.
Au matin de ce nouveau lundi, la beauté presque incolore des sapins, durant quelques secondes d’une vidéo baltique, vient trancher avec le ciel bleu au-dessus de ma tête. J’approche du bureau, joyeux et libre de cette nouvelle habitude, de ces horaires de bus et de travail, de cette semaine à venir. Heureux d’avoir couru après le bus de 8h35, le chauffeur rouvrant les portes et m’accueillant rieur d’un « Ah c’est lundi. » Heureux à 12h45 d’aller au restaurant universitaire et de bénéficier pour 4,80 euros d’une entrée, d’un plat et d’un dessert. Heureux encore d’attendre le bus de 17h50 après avoir manqué celui de 17h39, et de le voir arriver à 18h02 sous le soleil déclinant et le vent polaire ou sibérien, le même vent que là-bas, sur la Baltique, là où des herbes sèches viennent trancher de doré des images blanches et vertes.

 

Dimanche 25 février 2018

Cette ville est une énigme. Sans comprendre pourquoi, alors que, depuis une vingtaine d’années, je viens régulièrement au gré des vies amicales, j’y navigue, sans réel repère en dehors de la Garonne. Dans l’entrelacs de ses rues, dans le pointillés de ses places, je m’égare. Ne me demandez pas le nord, je l’ai perdu. Petit à petit, depuis mon installation, m’imposant de scruter les plans – nécessaires de toute façon pour trouver mes destinations -, les axes s’inscrivent dans mon esprit et mes habitudes. La rue Sainte Catherine impose enfin sa silhouette longiligne au milieu des cours de la Marne ou Victor Hugo, la grosse Cloche sonne enfin le glas de mes déboussolages, les rails des tramways fixent dans le marbre mes fragments d’orientation.
Et puis qu’importe : l’inconnu est un territoire qui se visite, et donc au hasard de la promenade du jour, du restaurant du père d’Anne X à la Victoire, via le service clientèle de la gare St-Jean pour un échange de billet transformant un prochain retour dominical en un somnolant retour matinal, j’errai.

Samedi 24 février 2018

J’ai lu trop vite le petit panneau « Merci de ne pas vous servir » dans les anémones : mon cerveau a effacé les négations en contournant les tiges. Je tends la main vers les renoncules, il est écrit cette fois qu’il ne faut pas toucher, alors je ne sais plus, mais délicatement bien sûr je les prends, d’autant plus délicatement que j’hésite sur la couleur. Elle vient vers moi, dans un sourire me fait remarquer ce qui est écrit. La suite est un quiproquo délicieux, nous voici riant, elle se plaignant pourtant de la brutalité de certains clients, mais aujourd’hui c’est plus calme.
Je ne peux pas juger du calme. Je viens pour la première fois – ah non, la deuxième, j’avais oublié cette terrasse un jour de novembre 2015 – dans ce marché des Capucins, passant des poireaux aux carottes, du boudin au petit café au soleil, de la citrouille aux oignons. Je viens d’aller et venir, exalté, heureux de cette ambiance foisonnante sous un ciel plus bleu, heureux de savoir que c’est mon nouveau quartier, heureux de trouver que les gens ont l’air heureux, heureux de cette Babel de nourritures, de langues, d’attitudes.
Le bonheur se poursuit parce qu’il y a les amis, qu’ils viennent déjeuner alors je cuisine, il y a ce partage, et leur amie déjà repue d’un couscous ensoleillé qui nous rejoint dans la maison qui, dit-elle, a une autre énergie sans la présence de sa propriétaire. Et c’est ainsi, se poursuivant, un samedi léger et joyeux, exalté je dépense peut-être trop, pas inutilement mais peut-être trop malgré les promotions de fin de série, de la popeline de coton d’un col officier jusqu’aux saveurs japonaises d’un petit pot de sanchô.
Et l’on pourrait, aussi, puisque c’était la question hier, interroger ce qu’est le bonheur.

Vendredi 23 février 2018

« It means: the serene silence you find between two sand dunes. »

Je suis venu pour la visite médicale et ce qu’il diagnostiquera comme étant une conjonctivite qui, au moment où j’écris ces lignes, semble sur la bonne voie pour disparaître. Je l’ai choisi au milieu d’une liste de noms de généralistes conventionnés imprimée recto-verso sur une feuille A4 de papier blanc, après avoir pointé d’une flèche les adresses que je savais localiser. C’est donc la chance qui m’a amené vers lui, sympathique, clair, efficace, rassurant, drôle, voire même familier, racontant soudain cet achat de doudoune le week-end précédent, dans sa ville du Béarn ou du Pays Basque – « Alors je me suis dit que vraiment je l’avais achetée pour rien, mais finalement… ben finalement non. » – , voire même optimiste, lorsque qu’il m’a demandé de remonter ma chemise sans la déboutonner.

Jeudi 22 février 2018

On a choisi ce bar à vin, ouvert, accueillant, calme, qui oblige à manger quelque chose faute de licence, alors c’est une assiette de fromages qui se pose entre lui qui a déjà trop dîné et moi qui pensais me contenter de mon repas léger ; au hasard je choisis le vin. Il vient d’ailleurs. Du Brésil. Son visage laisse entrevoir discrètement l’autre moitié de ses origines : le Japon.
Il me demande comment j’ai pu aimer vivre là-bas. Il raconte un peu ce qu’on peut subir quand on va voir sa famille, ses grands-parents, à Hokkaido et que ceux-ci sont ancrés dans un schéma traditionnel qu’on n’imagine que dans les livres. Il me raconte ce que ça change d’être un ハーフ (un « half », un « moitié » quoi…), par rapport aux autres membres de la famille. Chez lui, il n’est pas japonais. Chez lui, il n’est pas aimé.

 

Mardi 20 février 2018

– Lui : Si tu vas à c’rythme moi j’me casse.
– Elle : Qu’est-ce tu dis ?
– Moi : Il dit qu’vous marchez pas assez vite.

Et puis retourner au cinéma. Voir donc le cinéma réapparaître pour « L’Apparition ». Puis, dans la deuxième moitié du film, s’inquiéter de voir le cinéma disparaître dans un scénario boursouflé.

 

Dimanche 18 février 2018

Elle est allée chercher du papier. J’ai écrit comme j’ai pu 78750 et dessiné la moitié de l’étoile de David, comme les nazis nous l’avaient tatouée. Qu’en ont-ils fait ensuite ? Je n’en sais rien. C’était shabbat. J’ai continué à danser dans le noir. Ivre de chagrin. Ivre de moi-même. Je suis une fille de Birkenau et vous ne m’aurez pas.

Marceline Loridens-Ivens ; L’amour après

Lundi 12 février 2018

Une nuit où tu n’étais pas là, je suis venu dormir chez toi. Dans ton lit. Dans tes draps.

Frédéric Mitterand ; Lettres d’Amour en Somalie.

Dimanche 11 février 2018

I hate you because you don’t know why you be hated.

Paris. Ma ville, durant des années. Ma ville même lorsque, plus ou moins officiellement, j’étais en périphérie (Montreuil, Ivry…). Ma ville lorsque les Japonais me demandaient d’où je venais, avant qu’ils n’insistent sur ce qui leur tient à cœur, c’est-à-dire la ville d’origine, le furosato.
Paris. Qu’en connais-je ? Il me pose des questions. Je découvre moi-même une partie des réponses sur les panneaux ou le petit écran de mon téléphone. L’histoire du Panthéon, celle de l’église Saint-Laurent, celle de l’hôtel du nord qui n’a pas d’histoire sauf celle d’un roman et d’un film, la périphérie du quartier indien où nous déjeunons… Je suis un guide dans une ville dont je connais les axes, les surfaces, les directions et les noms, mais pas l’histoire, une ville qu’il découvre. La voici la sienne. Ce n’est plus la mienne.

Samedi 10 février 2018

Il vient de s’asseoir sur le même banc que moi, lentement, après avoir relâché son déambulateur. Il a pris la place d’une dame qui est partie lorsqu’il s’est approché.  Il marmonne, je comprends mal, il dort dehors… Je fouille mes poches, mais je sais à peu près combien j’ai : la monnaie des cannelés par-dessus quelques pièces. Je ne sais pas trop quoi dire, je ne sais jamais trop quoi dire, tout serait un peu léger, sauf ce qui le ramènerait à son quotidien, le froid… Je ne sais pas trop quoi dire mais je sens qu’il s’en fiche, du moment qu’il peut parler à un inconnu qui ne s’est pas enfui. Il me demande mon prénom, il dit qu’il s’appelle Olivier. Il marche mal, alors il me demande d’aller lui acheter des petits cigares, c’est vendu par 5, 2euros10, il sort ses pièces, au milieu il y a une livre sterling, je souris, on est d’accord que ça ne servira à rien. Tiens je te la donne. En échange, cet euro complète le coût des cinq petits cigares.
Nous sommes vaguement surveillés par la police ferroviaire, les cent pas dans le hall, les regards sur nous. Je leur souris pour qu’ils nous fichent la paix, je souris, je montre à Olivier qu’il ne me dérange pas, qu’il peut me parler. Je montre à la dame qui a fui à son approche qu’il n’y avait pas de raison de s’inquiéter. Il vient de fumer un peu d’herbe, il a fait 3 mois de prison une fois parce qu’il avait 400g sur lui. Je lui conseille en riant de faire attention à ce qu’il fait et dit, parce qu’il y a « les gars » derrière lui. Ça l’amuse. J’aurais pu lui parler du ciel bleu, lui donner ma plaquette de chocolat rangée à son approche. Je prends mes affaires, vais lui acheter les petits cigares, par 5, hésitant car il y en a plusieurs, et reviens. Je n’ai pas d’ongle, tu peux me les ouvrir ?

Et puis, dans les rues, cette odeur de crue.

Vendredi 9 février 2018

La curiosité me fait tourner à gauche, rue Charles Gide, jusqu’au numéro 45. La rue me semble dénudée. N’y avait-il pas plus d’arbres devant les pavillons ?
La dernière fois que j’étais passé voir l’immeuble, il y a des années, il y avait des rideaux avec des motifs de footballeurs à la fenêtre de « ma » chambre. Cela me semble aujourd’hui incongru, tel un rêve. J’ai surtout gardé le souvenir d’avoir raconté cela : l’image s’est évaporée.
L’impression, une fois devant la façade de la résidence de deux étages et huit appartements, sur laquelle le nom Les Tilleuls est toujours là, est triste : la porte de « notre » garage est remplacée par des panneaux de bois, la peinture toujours marron de la porte de l’immeuble est écaillée, il y a bien sûr des poubelles devant, un camion mal garé au bout devant la grille du jardin, bref tout est à l’avenant et les éclats de rire dans le jardin, tandis qu’on courait entre les fils à linge, sont bien loin. Je souris malgré tout que le bâtiment d’en face soit devenu une salle de sport.
Mes souvenirs d’enfant, d’adolescent, puis d’étudiant venant le week-end ou les vacances, sont là. Là, derrière la porte écaillée que je pousse, juste pour voir. Sur « notre » boîte aux lettres il y a un autre nom.

Mardi 6 février 2018

Il y a alors ce moment exaltant et doux : rencontrer les futurs collègues, envisager les premières journées de travail, décrypter les besoins, se rassurer, sourire.

Lundi 5 février 2018

Ils sont les derniers à être glissés dans les bagages avant de partir. Une fois que je suis arrivé, ils sont les premiers à être posés, sur le marbre de la table de nuit en l’occurrence. Ils sont les 3 jizos, les 3 esprits japonais Wishing, Hoping et Smiling, qui m’accompagneraient partout si leur poids n’était pas un frein. A côté d’eux, je déposerai plus tard la kokeishi, tête droite.
C’est dans le coin du bureau que j’installe les autres objets : la pierre du Mont Fuji d’abord puis au hasard des déballages le monstre de plastique, le caillou « porte-savon », la boîte en laque offerte par les voisins, le calendrier offert par C, le « coin » en céramique, la petite boîte en marquèterie, le sceau, la pierre à encre, le cadre offert par Niu. Sur le rebord entre les deux fenêtres, je mets finalement la boîte à bento, la peinture d’Olivier et la coupe en laque. Celle-ci, sur la photographie que j’envoie, a pris la place du cadre.

Dimanche 4 février 2018

J’avais regardé il y a quelques jours les rares images prises là-bas, sur ce bord de mer. J’avais, semble-t-il, voyagé léger, sans appareil photo. J’avais ainsi oublié où c’était, comme si ma mémoire ne s’accrochait qu’à un type d’images prises : celles en 24×36. Un effort me l’avait finalement vaguement rappelé mais j’avais dû en fournir un supplémentaire pour faire revenir à la surface les précisions, les amis présents, le dîner, le petit-déjeuner, la promenade sur le bord de mer. J’avais tout enfoui. Sous le sable. Dans l’océan peut-être.
Ce dimanche, en réservant le billet de train pour ce même coin d’océan, j’avais déjà presque oublié ces souvenirs. Il me semblait alors plus évident que je voulais oublier le sentiment qui s’en dégageait. C’est au moment de réserver l’hôtel que l’hésitation a alors frappé. Comme un ressac.