Alors, comme parfois, nous nous vouvoyons. Ou peut-être comme souvent. C’est plus naturel, ça glisse, je crois qu’ainsi je me sens plus à l’aise, cela ne s’explique pas, ou plutôt si, cela s’explique, mais bref, qu’importe. Parfois, c’est un tu, par mail ou au débotté. Aujourd’hui il ne porte pas cette blouse qui s’imposa pour son portrait.
Nous parlons de son livre, je viens notamment pour en avoir un exemplaire. Sur la couverture, il y a donc cette photographie que j’ai faite de lui, ç’avait été assez rapide, on avait trouvé la bonne lumière ; ils l’ont collé devant un fond orange. Le livre se vend très bien, on l’a vu ici ou là, sur TF1, Europe1, etc., pour ainsi dire partout. Il me le dédicace, y écrit un mot gentil évidemment, sur lequel on pourrait revenir et sourire, et puis je lui parle de mon sommeil, ça tombe bien, alors je me permets. Ce n’est qu’ensuite qu’on parle des capsules. Non, pas celles qui aident à dormir.
Mardi 6 octobre 2020
Peut-être rien, peut-être bien.
Lundi 5 octobre 2020
Dimanche 4 octobre 2020
Faut-il donc que je ne dise pas ? Mais je dis, et je dirai encore, ici ou ailleurs, à qui ne veut pas le lire et à qui veut l’entendre, après une question posée dans la douceur et l’empathie, que tu n’as pas été qu’un passant et que, comme ceux qui s’arrêtent dans ma vie même le temps d’un sourire et d’une image qu’on gardera, même dans la folie douce d’un août ensoleillé, même dans l’amer d’un lendemain impossible, comme ceux qui sont importants parce qu’ils sont simplement importants, là, au moment où ils interviennent, tu l’as été. Plus que beaucoup d’autres. C’est comme ces Japonais qui, peut-être, auront préféré un cerisier plutôt qu’un autre un jour d’avril, et garderont le souvenir fugace d’une émotion, née d’une bourrasque ou d’un nuage au loin.
Alors, dans un excès de moi, dans cet excès qui surgit probablement plus quand on veut me faire taire que quand on veut me faire crier, c’est un impératif qui s’impose, et je dis “tais-toi”. Je réponds à la violence – toute relative mais ressentie, celle qui impose le silence et refuse l’envie de dire quelques gouttes de bonheur fugace – par une autre violence qui veut, en retour, faire tout autant taire.
Je reviens alors, là, ce soir, un soir paisible d’appréciable solitude, sur cette idée du cerisier, dont les pétales s’envolent. Je pense au sens qu’il faut donner à l’éphémère. Aux fleurs qui mourront trop vite. Je comprends ça. Je comprends que c’est quelque chose comme ça.
Samedi 3 octobre 2020
Elle dit les livres après après dit un peu de sa vie avec les livres. Oh une ou deux fois mes pensées s’envolent, mais dès qu’elle parle des étoiles filantes, je réintègre ses mots.
Vous savez, par exemple, il suffit qu’on évoque Emmanuel C, et le Japon revient. Pourtant de – c’est-à-dire avec – lui le goût des repas s’est évaporé.
Elle ose évidemment rompre la surprise que j’aime voir naître d’une lecture, mais c’est sur celui dont elle dit trop – la fin ! Imaginez-vous ? – que je poserai ma main plus tard : avec moi il repartira. J’avais envie, quelque part, lire un peu ma vie, voir ce qu’on pouvait en dire, voir comment on pouvait en rire, de ça : 46 ans, etc.
Vendredi 2 octobre 2020
Elle vient de descendre à l’hôpital Pellegrin. Son déhanché en imperméable sombre ne dépareillerait pas dans un défilé de mode. Son attitude affirme quelque chose, son visage aussi peut-être, sous le fond de teint et l’air sévère, c’est à la fois presque imperceptible et évident, c’est quelque chose d’un autre genre et auquel on ne devrait pas faire allusion : peut-être la négation de l’homme qu’elle était autrefois.
Elle effacerait facilement, en ce paragraphe sec, celle qui l’a précédée dans ce tram et au sujet de laquelle j’avais, rapidement, noté les couleurs. Elle a assorti le maquillage sur ses paupières, peau noire, à son pull et à la semelle de ses chaussures. C’est très beau. Un peu, avant qu’elle ne se lève, nous nous regardons. On pourrait y chercher un accord, aussi, avec la chevelure de la femme en imper noir et le fond de teint allant vers le sable.
On pourrait alors glisser vers d’autres corps, les uns en mouvement, festoyant et légers, les autres peut-être moins bringuebalés par les airs et l’alcool ; l’une parlerait de son physique, ses lèvres seraient dessinées.
Jeudi 1er octobre 2020
Mercredi 30 septembre 2020
Et puis le saxophoniste nous emmène à Ipanema.
Mardi 29 septembre 2020
Lundi 28 septembre 2020
Ils parlent. Non, ils ne parlent pas, ils hurlent. Et vite. Leur espagnol n’est donc pas limpide pour moi. L’America central rythme leur voix, leur diction, leur dialogue dans lequel intervient une autre personne, un autre, et quelque chose qui ressemblerait à l’amour, ou la fin de l’amour. Ou peut-être l’impossible.
D’autres types montent, d’autres origines, un autre style, une autre sexualité, d’autres amours à supposer que cela se nomme ainsi dans l’âpreté de leurs mouvements, de leur gestuelle, de leurs paroles. L’un fume.
Dimanche 27 septembre 2020
Tu chuchotes. Je t’entends mal. Tu chuchotes tes inquiétudes et tes interrogations et cela produit chez moi, l’oreille tendue au maximum pour te comprendre, plutôt qu’une empathie, plutôt que des réponses douces, un agacement, une crispation physique, mais je m’efforce et peut-être pouvons-nous rire un peu malgré tout. Nous attendons que tu sois ailleurs, là où tu pourras me dire, clairement, à haute voix, ce nouvel horizon depuis un dixième étage.
Samedi 26 septembre 2020
A l’ombre des montagnes
ils remontent vers les glaces
les poissons couleurs de vent
::: Hara Yutaka
Alors Bernd et Hilla Becher m’emmènent ailleurs, m’éloignant de vous un peu plus tôt que ce qu’on imaginait sûrement en proposant ce déjeuner. Il m’emmène aussi dans le passé, toujours, dans cette exposition vue fin 2004 ; j’avais alors compris que la photographie pouvait être autre, et peut-être qu’elle pouvait être mienne, puisque l’on pouvait en faire même “ça”. C’est ainsi, en tout cas, que j’analyse aujourd’hui ce souvenir flou, dont la seule netteté provient du bouleversement et des questionnements face aux alignements d’images : je me souviens que quelque chose s’est produit en moi.
Cet après-midi, en regardant ce documentaire qui les suit durant dix ans je crois, quelque chose se produit encore. Le plaisir d’être là d’abord, pour comprendre et savoir. L’idée qu’il faut continuer pour faire, oh quoi, même un petit “ça”.
Vendredi 25 septembre 2020
Nous parlons depuis un certain moment avec C. Je lui parle de mes projets, des quêtes, des idées, et de comment, peut-être, il pourrait trouver une piste. J’ai peut-être aussi besoin, à un quelqu’un qui vit des images, de parler de cela, de ce qu’il y aurait au-delà des miennes. L’homme entre alors dans la librairie. Son accent léger, ses yeux, une allure vestimentaire aussi, je devine qu’il est japonais. Il se pourrait qu’il soit très beau, sans ce masque. Je regarde au loin les 5 ouvrages qu’il apporte à C ; je suis au bon endroit : c’est ce même livre qui est juste là devant moi. Il se pourrait qu’il soit très beau.
Jeudi 24 septembre 2020
L’ours est parti depuis plusieurs heures maintenant et moi j’attends, j’attends que la brume se dissipe. La steppe est rouge, les mains sont rouges, le visage tuméfié et déchiré ne se ressemble plus. Comme aux temps du mythe, c’est l’indistinction qui règne, je suis cette forme incertaine au traits disparus sous les brèves ouvertes du visage, recouvert d’humeurs et de sang : c’est une naissance, puisque ce n’est manifestement pas une mort.
::: Nastassja Martin ; Croire aux fauves
Mercredi 23 septembre 2020
Six sectes sont déjà nées de l’interprétation des Ecritures et leurs abbés portent, les jours de cérémonies, des tuniques framboise, safran, pistache ou violettes, qui font dans le gris-brun-vert du paysage japonais un effet admirable.
::: Nicolas Bouvier ; Chronique japonaise
Nous étions déjà mercredi quand j’ai repris la lecture de Bouvier : mardi ne finissait pas, je ne parvenais pas à dormir, l’esprit divaguant ou englué, je ne sais pas. Je m’étais heurté contre le premier chapitre, il y a plusieurs semaines, voire mois, et depuis il m’attendait sur la table de nuit. Combien d’entre vous savent les petits tas de bouquins qui frôlent mon lit ! Mais cette fois-ci, d’une part je l’ai ignoré, ce premier chapitre – peut-être donc n’étais-je pas tout à fait éveillé – et d’autre part j’ai souri devant les élucubrations shintoïstes narrées par l’auteur. Puis me suis endormi, bercé par les dieux.
Nous étions encore mercredi quand j’ai poursuivi la lecture. J’y ai vu alors autre chose que de quoi m’amuser : une nourriture. Une nourriture de l’esprit, la renaissance de souvenirs d’un Japon qui s’échappe, le paragraphe d’une conférence à venir. L’ouvrage, alors, se retrouva constellé de petits papiers jaunes.
L’envie d’annoter ne venait pas que de ce livre, elle venait aussi d’une évidence : il me fallait travailler. Rien n’allait tomber du ciel. Et si la lecture-plaisir me faisait vivre, la lecture-travail me faisait / ferait peut-être revivre, ou avoir une deuxième vie, quelque chose comme ça, puisque la lecture-travail nourrit l’écriture. Il y avait eu cette idée chez Camille de Toledo ; j’étais allé l’écouter d’un pas pressé. Oh, je le savais déjà, tout ça. Je savais que c’était une présence, aussi, tous ces mots qui sortaient de moi.
Alors, à peine rentré, peut-être pleuvait-il encore, j’ai ouvert le fichier daté du trois août. Et j’ai changé le titre. Je suis allé au début du quatrième – et dernier – chapitre. Et j’ai écrit encore.
Mardi 22 septembre 2020
Allô allô allô ? Ah ça coupait (…) personne ne me connaît plus (…) mais le problème tu vois c’est qu’il faut encore que je me déplace (…) je vais perdre 200 euros pour rien (…) ça sert absolument à rien que je me déplace (…) ben c’est ça (…) apparemment au mois de mai ils m’ont enlevé par erreur la responsabilité civile de l’assurance habitation (…) mais attention (…) tu vois ? (…) enfin bon excuse moi de te déranger avec ça mais (…) ben si, si si, parce que j’étais (…) ça je sais pas (…) faudrait que je me déplace, t’imagines ?
::: Une inconnue (dans le tram).
Lundi 21 septembre 2020
Voilà l’heure de nous saluer. Alors nous nous étreignons, pour donner aux corps cette présence tactile sans laquelle on ne peut pas être longtemps soi-même, pour dire autrement le plaisir d’avoir été là. Peut-être malgré le vin : ne manquait-il pas d’un peu de hauteur ?
Nous avons parlé de ce que les questions apportent : les livres, les amours, etc. Des livres, tu m’as offert une envie puisée dans quelques phrases. Des amours, j’ai cru me rappeler la présence d’A après que c’était définitivement devenu inutile qu’il m’envahisse ainsi. Toujours je crois l’aimer mais ce soir je ne le dis pas ; je regarde le jour que nous sommes, le mois, l’étendue dans laquelle depuis je marche. Et du hasard tu as extrait cette phrase : Life is a flow of love; your participation is requested. J’ai ri.
Nous n’avons pas dit que déjà c’était l’automne. J’aurais peut-être alors raconté que ce matin, il y avait eu cette page de Libé qui cherchait à chanter cette saison renaissante. Au milieu des airs j’avais retrouvé les Catchers, souvenir d’une autre vie, 1994, un autre moi, qui a conservé tout de même, dans les cartons et les play-lists, certaines musiques de l’époque. C’est peut-être la seule chose que je cherche à garder de cet autrefois peut-être plus enfoui et donc plus lointain que les autres années : quelques musiques. Je n’en suis pourtant pas tout à fait sûr.
Mes bottines ensuite claqueront dans le couloir. Sur les pavés glissants elles iront plus craintives.
Dimanche 20 septembre 2020
Et pourtant je ne regarde pas tes bras. J’aurais peut-être su un peu de ce que tu ne me dis pas de toi.
Samedi 19 septembre 2020
Nous parlons de ses dessins et de mes photographies, comme c’est arrivé peu de fois. Nous sommes des souvenirs d’ici et de Kyoto, surtout, et une interrogation : je ne sais pas pourquoi nous nous voyons si peu. Nous parlons de ses dessins parce que j’ai beaucoup de choses à en dire, j’ai beaucoup de questions. Ils nourrissent ainsi un dialogue qui parle aussi de mes images : l’absence, la transparence ou le grain. Je me demande s’il n’y aurait pas quelque chose à faire avec cela, elle et moi, et avec tout le reste, tout ce qui nous sépare aussi peut-être. Je me demandais l’autre jour quelle pouvait être la place d’une autre pratique telle que le dessin, comment la marier ou la faire renaître puisqu’on l’a vu sourdre vers les 18 ans. J’avais pris un feutre-pinceau rouge, j’avais dessiné ce qu’on cacherait d’un corps.
Autour, c’est la campagne, des vignes. Çà et là les machines à vendanger, monstres gloutons, ont abandonné des grappes, quelques grains, qui n’ont de rouge que le nom du vin, tant ils offrent aux paysages des détails violacés intenses. On y goûte, il y a du pépin, une peau épaisse que je n’ose cracher de peur de me tacher, c’est sucré surtout, doux comme une gelée qui aurait attendu l’automne et la patience des familles pour fournir quelques pots. Il y a la douceur de votre présence aussi, une certaine insouciance, le sentiment d’être chez moi au milieu des ceps, peut-être ; voilà mes paysages.
Vendredi 18 septembre 2020
L’écrivaine dit le processus d’écrire et je comprends sa langue. Je comprends aussi qu’ici je suis à ma place, sur cette chaise rouge, l’écoutant. C’est un bonheur inégalable. J’enregistre, presque depuis le début, après que j’ai fouillé discrètement dans mon sac et que j’ai compris que la recherche d’un stylo et d’un carnet n’irait pas de soi ; j’ai peut-être laissé le carnet sur le canapé en vidant un peu mon sac. Quant au stylo, il doit, s’il est là, être enfoui sous le reste, dont un parapluie puisque l’on annonce un temps incertain, dont l’appareil photo bien sûr, dont des mouchoirs, une boîte de médicaments, un éventail, que sais-je encore, de la matière, de la matière à écriture.
L’expression me tend alors les bras : “vider son sac.” Elle est trop abrupte pour se rapporter à la réunion de l’après-midi mais elle laisse filtrer l’idée qu’il fallait y exprimer, mais y exprimer quoi ? Une liste donc, mais sans Prévert. Le moment à la librairie, là, en ce moment, à écouter Marie-Hélène Lafon, ne s’y rapporte pas plus, à cette réunion, sauf à questionner la place qui est la mienne et la poésie qui s’efface chaque jour durant le travail, aujourd’hui de 9h25 à 17h15 puisque je n’ai pas fait de vieux os : on annonçait un temps incertain et les heures – avant la pluie ? – s’étaient suffisamment accumulées la veille.
S aussi était là. Nous allions nous revoir.
Jeudi 17 septembre 2020
Mercredi 16 septembre 2020
Te voici alors qui, évoquant cet autre, que tu nommes par sa profession ou peut-être son prénom, t’interroges sur sa présence en toi.
Mardi 15 septembre 2020
Elle s’approche de la porte vers laquelle je marchais à pas pressés depuis chez moi, sachant qu’il pouvait être déjà trop tard. Elle me regarde, l’air désolé : il est trop tard. Je viens d’accepter la dernière personne, dit-elle, derrière son masque fleuri. Souvent fleuri. Tel n’est jamais son langage.
Lundi 14 septembre 2020
Dimanche 13 septembre 2020
Il est tard. J’ai encore la peau asséchée par la mer et le sable. Je t’envoie deux vues de la plage ; la lumière était alors si belle. Puis voici enfin les photographies que tu attendais, celles de ta main, de ton corps qui marche, de ton sourire, de ta joie. Il y en a 39. Elles ne sont pas toutes belles, regarde ce contre-jour là, mais tu dis qu’elles t’enchantent. Alors viens, reviens, nous en ferons tant d’autres.
Samedi 12 septembre 2020
Tous les textes que j’écris, c’est arrivé. L’image peut-être lointaine ou manquante, elle peut-être autre, ou suggérée : l’image, ce n’est pas forcément ce dont je parle, tandis que le texte colle à ce qui est arrivé. Je n’ai pas de distance dans le texte, je n’invente pas.
::: Sophie Calle
Vendredi 11 septembre 2020
Tu as peur de devoir quitter l’Europe ; alors tu me demandes si je voudrais t’épouser. Avant toute réponse je ris, aux éclats, c’est ma première réaction, bruyante, pour recouvrir de sons la réponse que je dois te faire : non. Alors je te réponds que non. Je te dis aussi que ça ne suffit pas. Et tu m’offres là des paragraphes entiers à écrire ici, des explications que je donnerais, des souvenirs que j’évoquerais, sans faire attention au fait qu’aujourd’hui c’est justement l’anniversaire de Ch. Tu m’offres l’opportunité de parler encore d’amour, ici, encore de ce rêve d’amour, love, tu ne comprends pas cette idée, alors je te dis peu importe, peu importe comment tu l’appelles, whatever. Tu m’offres l’opportunité de parler encore de toi, de te dire donc pourquoi, de but en blanc, c’est non. Un chat, tu es un chat, dis-tu, qui ronronne et puis s’en va. Griffe aussi peut-être ? Un chat qui rêve de vivre ici, je sais. Un chat dont le pays n’est pas la paisible côte atlantique, je sais.
Alors tu me demandes aussi si J est d’accord. Je te dis qu’il a répondu par un rire.
Jeudi 10 septembre 2020
elle le dit au frère qui reste ; le soir, quand je la laisse, la mère cherche des raisons : qui commet le meurtre d’un homme qui se tue ? elle se demande en s’enfermant dans un sommeil forcé où elle s’efface ; elle vit encore d’une puissante colère : un coupable, il lui en faut un pour ne pas trop se condamner ; la hain la prend, des flots qu’elle transmet aux vivants ; la mère est un poing fermé qui ne voit plus le jour
::: Camille de Toledo ; Thésée, sa vie nouvelle
Mercredi 9 septembre 2020
Mardi 8 septembre 2020
Je suis sur la machine numéro 7, nommée ChestPress, sur laquelle il poussait quelque minutes plus tôt, en expirant fortement, sans atteindre les décibels des joueuses de tennis à l’époque où je regardais le tennis à la télévision, époque tellement révolue que le lecteur que vous êtes s’esbaudit. Je le vois alors tendre un peu le regard puis le cou pour voir si je soulève plus de poids que lui. Oui. C’est le cas.
Il porte des cheveux mi-longs, bouclés, châtains, oui un beau châtain, comme s’il s’était fait une couleur. Beau visage, air sérieux, tee-shirt vert bouteille qui laisse apparaître des formes : “Une bombasse à bidou” écris-je alors à J pour lui montrer que j’ai fait ce que j’avais dit : reprendre sérieusement le rythme de la salle de sport, car l’homme sur la plage, là-bas, dimanche, avait ce corps que je pourrais avoir, que je fuis, mais qui pourrait facilement me rattraper.
D’ailleurs nous en rirons avec Z, plus tard au téléphone, de mon corps, avant qu’il ne dise quelques phrases d’une telle perfection, sans accent, que je m’étais dit que son niveau de français avait pris une belle ampleur. Z m’avait déjà fait rire, plus tôt (vous suivez ?), en me laissant un message, comme souvent. Je l’aime notamment pour cela, cette façon de rire de moi et de lui, avant de revenir à un sujet plus sérieux. Ce soir, le sujet sérieux, c’est ce qu’il ressent pour un autre, rencontré une fois. Une fois seulement. Le voilà inquiet d’une particularité de l’autre, tendant trop le regard vers ce qui le pèse.
Lundi 7 septembre 2020
23 septembre
Les funérailles ont eu lieu hier. Il serait ennuyeux de les décrire. Tout le monde m’a dit que j’étais splendide dans mes habits de deuil.
:::Valéry Brioussov ; Dernières pages du journal d’une femme.
Ils sont assis sur les marches du numéro 17 de la rue aux Herbes. Je les ai déjà dépassé de deux ou trois mètres lorsque l’un des deux m’interpelle. Je me retourne, par politesse, j’attends qu’il me réclame une petite pièce en me disant que je répondrai sûrement que je n’en ai pas. Mais il me demande, en un phrasé trébuchant sous l’alcool, si j’accepte qu’il me pose une question. J’accepte, dans un sourire ; ses yeux brillent.
Le voici qui me demande ce que je pense des gens qui passent et qui cassent les bouteilles des autres. En effet à leurs pieds, du verre brisé et le contenu d’un litre de rhum-coco. Je crois alors que je n’ai pas le temps de répondre qu’il me dit qu’en échange de ma réponse on pourrait faire l’amour. Oui. Carrément. Son camarade de boisson, au visage plus assorti à du jus de raisin qu’à du rhum-coco me sourit alors de toutes ces dents et prononce un truc que j’ai bien oublié – et que je n’ai peut-être même pas exactement compris, mais il n’avait pas l’air de trouver étonnante la proposition. Tout ceci avant que mon regard se pose sur les deux autres bouteilles de cette même boisson et que je blague à ce sujet, rassuré de les savoir ainsi bien accompagnés. Je laisse alors le Don Juan terminer son laïus – en gros, ceux qui cassent des bouteilles méritent une mandale – et m’éloigne en les saluant, regrettant presque de quitter leur compagnie incongrue… Mais j’avais trop peur qu’ils me proposent de trinquer.