Lundi 6 mars 2017

– Et donc heu, si vous nous achetez ça, ça, ça, ça et ça, ça fait ?
– 5200 yens.
– Et si  vous emportez tout ?
– 13000 yens. À nous payer.

Dimanche 5 mars 2017

Alors le petit garçon, qui la veille avait fait de la glace au chocolat sur sa mezzanine sans que ses parents ne s’en inquiètent au début, frappe à la porte pour un échange de jouet. La situation peut vous paraître incongrue, puisque nous sommes adultes. Certes.

Le film du soir : Love Letter. Bof.

 

Samedi 4 mars 2017

Le tour est habituel, mais la compagnie ne l’est pas et le temps, printanier, non plus. Lors du déjeuner qui suit, R nous parle d’un lieu, magique, dit-elle. L’endroit a déjà évoqué par C, un jour de pluie durant une balade où j’étais peu attentif, et nous voilà y filant. Nous découvrons alors quelques rues agréables et donc, au milieu des bois de Yoshida, un havre de paix avec vue sur la ville baignée de lumière. Alors, dans un fauteuil aussi moelleux que le cheese-cake que je déguste par petites bouchées, Philippe Bonnin me parle des ombres perçues à travers les sudare.

Vendredi 3 mars 2017

Je m’approche du comptoir, dépose la note sur laquelle est noté le prix de mon café, et commande des grains de café en me prenant les pieds dans le tapis linguistique et demandant donc des edamame. Rougissant, je me reprends en riant, peut-être n’a-t-il pas entendu, peut-être que derrière moi, non plus, ces deux Occidentaux, venus séparément mais partageant une taille bien au-dessus de la moyenne locale, n’ont pas entendu. L’un, allure fringante de retraité, avait échangé quelques mots avec un autre client dans une langue diluée sans anicroches dans un joli accent anglo-saxon et l’autre, la trentaine prochaine, avait commandé avec peu d’assurance et une forte articulation un café avec du lait avant de s’asseoir et d’ouvrir un livre. Et je crois que c’est en repartant que j’achète des carottes.

L’après-midi, puisque la langue est une obsession de ce journal et de tous les jours, on découvrira le plaisir – alors que l’on craignait de s’ennuyer fermement – d’écouter une conférence sur la traduction d’une phrase du man’yoshû (et plus largement sur l’homonymie des mots japonais).

Jeudi 2 mars 2017

Le café de l’IF ouvre trop tard pour satisfaire mon besoin de café, alors je repars là où tu m’as déposé, mais dépasse le carrefour vers le nord, marche à peine, il y a ce petit café, vous voyez, ce genre kyotoïte, une autre époque, figée comme un vieux sucrier en plastique… Il y a la radio, une étagère pleine de mangas au fond, et le patron, soixante-trois ans peut-être, porte un sweat-shirt noir avec « Pazzo company international » en lettres blanches dans le dos. Un client entre juste derrière moi, il fumera bien sûr, et fera de grand slurp en buvant son café, tandis que quelques kanjis occuperont le temps entre descriptions.

Mercredi 1er mars 2017

Sur le chemin vers la cascade, A m’avait parlé de la polyphonie, c’est-à-dire des voix, en soi, qui ont déjà dit les mêmes choses. L’enregistreur me permettait de ne rien oublier, alors je n’avais qu’à écouter, léger.
Et puis nous y voilà. Impression douce, certains sont debout, d’autres assis sur des pierres. Une autre polyphonie. Je me recule, c’est visuellement très informel, et c’est là que se creuse la discussion : on arrive, on respire… et on entame une analyse, des besoins, qu’autour d’une table on n’oserait pas forcément aborder, peut-être par craindre de dire une évidence ou de faire une digression.
Je pense alors à cette scène du film de Joao Pedro Rodrigues, Mourir comme un homme, où les personnages s’arrêtent dans une clairière, c’est la nuit, et ils écoutent une musique, comme le spectateur du film. Peut-être que tout est construit autour de cette scène comme est construite cette journée. Peut-être que je creuserai cette idée, ça ferait une jolie conclusion.

Mardi 28 février 2017

Une des premières leçons de la méthode Assimil raconte l’histoire d’un homme qui demande à un ami s’il est facile d’ouvrir un compte en banque au Japon et qui, le lendemain, n’ayant plus un sou en poche, annule ce projet, parce que chez Assimil, on aime bien les chutes humoristiques.
Le point commun avec cette journée, ce n’est pas l’état de mes poches, mais l’ouverture d’un compte en banque, et la simplicité — pour un résident. Il suffit d’aller à la poste, de préférence accompagné d’une amie amusant pour papoter durant les dix minutes d’attente, et de repartir. Avec ou sans sous en poche.

Lundi 27 février 2017

Midi. La jeunesse est à casquette, les pâtes aux aubergines.

Le film du soir : Shigatsu monogatari.

Dimanche 26 février 2017

Funagata. La lumière est forte, le voile de brume la diffuse, éblouissante, transformant les couleurs en demi-teintes : les toits bleus sont devenus fades, le building jaune du pressing est noyé dans le reste. Deux garçons, sportifs dans le rythme et la tenue vestimentaire, nous rejoignent, plutôt silencieux. Vient le moment de la photo souvenir, que je propose de faire,  aveuglément. Leur jeunesse rejoint justement mes lectures du soir, après le dîner joyeux entre voisins, sur les relations élèves-enseignants au Japon et les niveaux de langage dans les blogs dans ce même pays. Comprendre cet ici, disais-je…

Samedi 25 février 2017

– Tu as fait des photos ?
– Oui quelques unes, des choses au vol, comme ça…
– Et l’on peut les voir quelque part ?

Vendredi 24 février 2017

Franchir l’entrée du campus, regarder passer quelques étudiants, là-bas d’autres rient à l’entrée d’un bâtiment des années 30. Respirer, sourire d’être là, pour autre chose qu’une simple promenade.

 

Jeudi 23 février 2017

Imadegawa, café mémère, petits rideaux, plantounettes, un tableau immense accroché au mur qui nous plonge dans un Venise brumeux aux couleurs passées, tandis qu’en face de moi c’est un poster de Mucha. Je me pose 15 minutes dans cette navigation matinale d’un point à l’autre de la ville pour récupérer ma carte de sécu, repartie à son point d’expédition en novembre, puis pour obtenir le remboursement des frais engagés une semaine plus tôt. Le Japon reste, sous ses aspects fichtrement bureaucratiques, le pays de la simplicité administrative, et surtout celui d’une réelle tranquillité d’esprit : jamais ce ne sera de votre faute, ni trop tard, ni ceci ni cela, bien sûr on s’excuse à votre place, et vous récupérez sans soucis quelques milliers de yens que vous pouvez aller dépenser à la librairie en de nouveaux livres pour continuer apprendre cette fichue langue puisque finalement, ça ne se passe pas si mal que ça.

Lundi 20 février 2017

Le film du soir, Picnic, nous embarque chez les fous, mais nous en fait ressortir presque aussi sec, en suivant trois personnages fuir en grimpant sur le mur de l’asile. Léger et sombre, comme les plumes de corbeaux qui voltigent ici ou là.

Dimanche 19 février 2017

Je te retrouve au soleil après avoir fait ressembler ce dimanche à un autre jour : ranger, travailler, nettoyer, japoner, tirer-inspirer-pousser-expirer (ou l’inverse, c’est selon) et s’épuiser (à comprendre cette histoire de numéro pour annuler mon abonnement à partir d’avril). Direction l’antiquaire de Kitaoji dori, pas mis les pieds depuis des lustres et toujours un bric-à-brac malgré un léger effort dans le rangement. Deux plats plus tard, c’est magasin de bricolage, quatre cartons, un rouleau de scotch et trois pots de crocus, c’est la saison n’est-ce-pas et la terrasse est un peu triste. 26 kilos de cartons encore plus tard, la bibliothèque Ikea couleur bleu canard, assortie à ces lunettes que je ne porte plus vraiment et à ce pull malheureusement déchiré au coude gauche à cause probablement d’un frottement quotidien et intensif sur le bord de la table — précisons alors que j’avais prévu de le repriser ce dimanche car je l’aime trop pour le jeter —, la bibliothèque, donc, est plus légère, et l’on note deux cases encore encombrées par des — ou mes, pourrait-on dire pour insister — livres de japonais et de graphisme, et un nombre de pages sélectionnées qu’il faudra encore scanner pour alléger les valises — voire les esprits. Esprits qui, malgré une phrase aussi longue, s’embarquèrent au Chili après un « Oh ben zut on n’a pas vu les amis de K » lors de la promenade nocturne, parce qu’il y a toujours cette histoire de grand-père et d’exil à raconter et qu’elle pourrait peut-être se terminer là-bas. (Et puisque l’on parle d’un grand-père, voir le hasard du calendrier.)

Samedi 18 février 2017

De cette promenade, oui la même, on rapportera alors quelques fruits, transformés le jour même en une confiture certes un peu amère.
D’une autre, moins banale puisque inédite, non pas à pieds mais en deux-roues motorisé, on rapportera le prospectus d’un charmant restaurant — il faut venir à l’automne, dit-elle. Dans la même rue, la surprise d’un sanctuaire en béton et d’une autre construction aux hublots jaunes. Et puis des yeux, comme deux traits noirs cinglant le visage d’un garçon nu.

Le film du soir : 無伴奏

Vendredi 17 février 2017

Il ne reste quasiment rien dans les tarifs abordables (et transportables) : un prunier plus vraiment fleuri et trois forsythias drôlement perchés. Je choisis l’un d’eux, qui sera prochainement jaune malgré son air mort, et un pot, là-bas, verni de bleu. Après un dialogue tout aussi tordu que le bonsaï sélectionné, le petit monsieur aux cheveux blancs, patient et souriant, emporte le tout… et me voici devant un cours de rempotage gratuit, et vas-y qu’il grattouille… Mais pour les chatouilles, c’était plus tard, lors du récital pianotant et grivois de M.

 

Jeudi 16 février 2017

Tu m’as emmené dans ta cantine, que tu avais vaguement décrite en commençant par les prix, mais la surprise reste de taille en entrant dans ce boui-boui où ça sent la crasse avant que le nez ne s’habitue et que trois ouvriers n’allument une clope. Tu me proposes de m’asseoir en tournant le dos à l’aquarium afin de profiter du spectacle, des visages, des fauteuils déchirés… Des nishin sobas avalés plutôt rapidement et nous voilà repartis, toi vers le cœur de la ville, moi préférant retourner à pieds à la VK via les chemins arborés, sans savoir pourquoi j’ai la chanson Something stupid qui me vient à l’esprit sur cette pente où étaient autrefois tractés les bateaux de marchandises ; j’ai oublié les paroles.

 

Mardi 14 février 2017

Premier envoi vers la France : 14,2 kg de livres, vêtements, objets. Ils voyageront en surface, c’est à dire par la mer, et arriveront à destination on ne sais pas quand : dans 2 ou 3 mois.
Deuxième envoi vers la France : 3 séries de 36, 28 et 20 photographies. Par Internet bien sûr. Réponse on ne sait pas quand, en mai… dans 2 ou 3 mois, quoi…

Et puis, comme on est le 14 février, les ichigo daifuku ont une forme de cœur et Y apporte un petit cadeau au professeur de calligraphie. Le mot du jour : 福, un de ces mots qui évoque le bonheur, tente-t-on de m’expliquer. Mais à tracer, c’était pas un cadeau…

Lundi 13 février 2017

Regarder les images, hésiter, choisir, douter. Alors aller au sport pour respirer. Te retrouver au café B, prendre une bière pour se désaltérer et puis les voilà.

La nouvelle série du soir : Mother. Avec un pluriel sous-entendu.

Dimanche 12 février 2017

Le lieu est un souvenir, il faisait chaud mais surtout on se rappelle les hortensias bleus. J’ai en mémoire cette photo prise à travers les sudare. C’était donc en juillet. Juillet 2012, oui c’est cela. Nous y allons, tu te rappelles l’endroit précisément, moi pas ; c’est toi qui conduisais, alors…
Février aujourd’hui, il fait très froid et il n’y a pas de fleurs. Pas de restaurant non plus. Fermé. Abandon triste, que l’on espère juste saisonnier. Mais l’état de la barraque nous laisse peu d’espoir. Le Japon est là, aussi, dans le bois pourri d’une bâtisse délaissée au pied du mont Hiei. On rejoint alors, frigorifiés par le vent, la ville dense et sa circulation. Arrêt dans ce boui-boui entre Kawabata et la Takano où l’essentiel est que le plat soit chaud. Et puis ce petit garçon, joyeux de ce repas dominical.

Le film du soir : 思い出のマーニー

Samedi 11 février 2017

Parce que connaître la culture de ce pays… ça passe aussi par la comparaison entre les différents types de 日本酒.

Vendredi 10 février 2017

Pour une fois, descendre à Higashiyama, faire le détour par la petite rivière, longer ce canal, avec derrière moi les nuages flamboyants, dont la photogénie s’arrête lors de la prise de vue à cause de tout ce qu’il y a entre eux et moi. Derrière la roue pastel du zoo, l’horizon dévoile deux montagnes plus blanches, trop loin elles aussi pour le moindre cliché. Avec la nuit, leurs voisines et toute la ville s’enneigeront également, alors on part, le même tour, toujours. Mais cette fois, sous nos pas, le crounch crounch des flocons.

Jeudi 9 février 2017

Une gare s’il faut situer, laquelle n’importe il est tôt, sept heures un peu plus, c’est nuit encore. Avant la gare il y a eu un couloir déjà, lui venant du métro les gens dans le même sens tous ou presque, qui arrivent sur Paris. Lui contre la foule, remontant. Puis couloir un autre, à angle droit l’escalier mécanique, qui marche c’est change aujourd’hui, le descend à la salle, vase carré souterrain où les files se croisent une presse se divisent, des masses, un désordre pourtant quantifié par bouffées, l’ordre d’arrivée des trains.

François Bon, Sortie d’usine

Je suis plongé dans la relecture de mon dossier artistique envoyé il y a quelques mois, pour m’en inspirer et envoyer autre chose, des images surtout, et pour peut-être me voir sélectionné. Parfois de la rue, par-dessus le bruit de la circulation s’extirpe la petite chanson du vendeur de pétrole ambulant. La lumière est basse, mais suffisante, elle provient des grandes fenêtres aux huisseries métalliques de cette bibliothèque où je ne viens pas assez souvent. Du ciel gris tombe une neige fragile qui disparait dès le contact avec le sol. Sur quelques feuillages plus accueillants, elle peut éventuellement résister. Soudain, il arrive, je l’avais déjà salué là-bas au fond, toujours la même place, et clic, il allume. Violence lumineuse, c’est si fort que je manque de dire quelque chose.
La suite est à l’image des livres que j’ai entassés devant moi : des lectures sur le Japon (Bouvier, Butor qui cite Voltaire, la mythologie locale, une recette de cuisine etc.) puisque être ici, c’est chercher encore et encore à connaître et comprendre cet ici. Et puis il y a ce premier paragraphe, recopié ci-avant, une claque qui donne envie d’emprunter l’ouvrage et même dans le bus j’en lis quelques pages absorbé. La France me manque pour cela : retrouver la lecture, le rythme de la lecture, les habitudes de la lecture, parce qu’ici je n’ai pas trop l’esprit à ça. Et comme bientôt il faudra revenir, je cherche des satisfactions. C’en est une.

Les fleurs du jours : 西洋桜草

Dimanche 5 février 2017

Il suffirait de considérer ce moi trempé jusqu’aux os, qui affronte la grisaille infinie piquée de pointes d’argent comme une silhouette qui ne serait pas moi, pour faire un poème qu’on lirait comme un haïku. C’est lorsque j’aurai oublié le moi présent et que j’aurai un regard purement objectif qu’enfin devenu figure picturale j’entrerai en parfaite harmonie avec le paysage naturel. À l’instant où je me soucierai de la pluie et me préoccuperai de la fatigue de mes jambes, je cesserai d’être le personnage d’un poème ou la figure d’un tableau. Je ne serai plus qu’un citadin mal dégrossi. Mes yeux ne verront plus le déplacement des nuées et des brouillards. Mon cœur ne sera plus sensible à la chute des pétales ni au chant des oiseaux. Et puis je comprendrai moins bien la beauté de ce moi qui s’aventure tout seul dans les montagnes du printemps avec mélancolie. J’ai commencé à marcher en baissant mon chapeau. Ensuite, j’ai avancé en fixant mon regard sur mes pieds. Enfin, j’avais une démarche craintive, le dos rond et les bras croisés. La pluie agitait autour de moi les arbres à perte de vue et menaçait le voyageur solitaire de tous côtés. Je suis allé un peu trop loin dans l’impassibilité.

Natsumé Sôseki ; Oreillers d’herbe

La série du soir : 変身 (Henshin)

Vendredi 3 février 2017

Tu n’as jamais vu la terrasse de la gare de Kyoto. Et pourtant. Pourtant, elle offre un autre regard sur ce lieu, que je trouve toujours ingrat, lourd, trop ponctué ici et là de machins, de rondeurs, de trucs…La visite, un jour d’automne, avec B et S et leur regard précis sur l’endroit, me l’a fait voir un peu autrement, mais la première impression, vous savez…
Alors on se retrouve là-haut, après que j’ai fait un tour dans les étages inférieurs, en particulier le sous-sol et sa foule à large majorité féminine, sa foule et ses couleurs, ses odeurs, ses tentations… Mais c’est ailleurs que les papilles exploseront, une nourriture moins fine, une ambiance moins bourgeoise : le sanctuaire de Yoshida parce que c’est Setsubun et qu’on doit chasser les démons (et remplir les estomacs). Oh bien sûr l’ambiance est joyeuse, on goûte ceci et cela, et pourtant la voici, là où l’on obtient un bol de tofu contre quelques centaines de yens et un ticket rouge. Elle est seule. Jeune aussi. Seule au milieu de tous ces gens joyeux entre amis, en couple, en famille. Elle est seule et triste, je trouve. Alors moi aussi, soudain.

Jeudi 2 février 2017

Et, parce que le (très relatif) hasard a fait apparaître le visage de la voisine sur une jaquette de film, nous voici embarqués dans un navet américano-japonaise d’une ampleur inédite dont on taira le nom (du film et de la voisine), d’autant que l’on pourrait plutôt parler des émissions de radio sur Gaudi ou Haussmann, avec le risque, cependant, de moins faire sourire le lecteur.

Mercredi 1er février 2017

Café Hisui. Je m’assieds sans trop réfléchir à la place, la même que la dernière fois, la plupart des tables sont prises. Rapidement le froid se fait ressentir, je jette un œil alentour, un petit chauffage de l’autre côté et puis… Et puis surtout la porte en face de moi. Le café est léger, pas cher certes, mais léger, voire pas bon. Je note des petites choses entre deux phrases de grammaire. Je note en particulier que nous sommes le 1er février, que dans trois mois exactement tout cela sera fini, et me demande combien de photographies j’aurais empilées sur Instagram.

Salle de sport. Sur cette machine face à l’entrée, pas de problème de chauffage ni de courant d’air, et je pousse une cinquantaine de kilos de fonte en observant les habitudes et le nombre assez important de personnes qui entrent sans dire bonjour au personnel derrière le comptoir. Le contraste est saisissant avec le fond de la salle, où les « merci » sont dégainés par le prof tapant dans la main des participants qui à la queue-leu-leu sortent de son cours. Pas très japonais tout ça, pourrait-on dire, si l’on tombait dans le piège des généralités sociologiques.

Mardi 31 janvier 2017

« Vous êtes seul aujourd’hui. » dit-il en me souriant, phrase de connivence. Il est presque midi, les clients vont et viennent ; j’ai connu le café plus calme. Mains froides, j’essaye d’écrire, de décrire, l’homme qui entre avec cette doudoune vert pomme, la femme qui s’installe à côté de moi et sera rejointe par une amie après avoir échangé quelques paroles et un éclat de rire avec la doudoune et après avoir versé dans son café 2 cL de lait. Elle dit « C’est bon » après sa première gorgée, ils disent tellement souvent « c’est bon », surtout dans les films, oishii, oishii. Elle a aussi commandé un toast, version japonaise, très épais, moelleux et recouvert de matière grasse (beurre et/ou fromage fondu). Je remarque alors, entreposés derrière les moulins à café, des parapluies, une vingtaine au moins, oubliés par les clients peut-être. Couleurs variées, hauteurs variables, certains emballés dans du plastique. 12h32, l’odeur du tabac : un homme en costume fume en lisant le journal.

Plus tard, à la radio, une femme parle du Japon et lit un passage de Tanizaki, de cet Éloge de l’ombre, encore et encore. Elle a quelques minutes et parle d’un Japon de sanctuaires, de temples, de rêverie délicate, qui n’est pas le mien. Qui est dans le mien, on le croise bien sûr, c’est si facile et agréable de le trouver, de s’y glisser, d’y respirer, d’y méditer. Alors elle m’agace, avec sa énième citation de ce livre récemment re-traduit et à nouveau re-re-re-cité. Alors je rebondis sur une autre émission, le même sujet pourtant, Tanizaki encore à la fin, pourtant… Mais cette fois, dans ces mêmes lieux racontés par une journaliste et ceux qui l’accompagnent, c’est le réel cette fois, comme celui d’un sanctuaire où rient des jeunes femmes en quête d’un vœu. Et je souris.

Lundi 30 janvier 2017

Elles me voient à travers la vitre qui donne sur le côté est, me font signe, approchent, font le tour. Je baisse la radio, une émission sur les lotissements après celle sur la Retirada. J’ouvre ce qui n’est pas la porte d’entrée, mais une des baies vitrées, afin d’habituer à nos usages ce nouveau visage, que l’on va me présenter, je le sais. On se salue, elle me tend sa carte, je file chercher la mienne, je bafouille les phrases d’usage et découvre son nom : 松下. Matsushita, c’est-à-dire Sous les pins. Je pense alors au bord de la mer ; le temps est printanier aujourd’hui.

Dimanche 29 janvier 2017

On s’étonnera alors que je et surtout que tu ne sois jamais allé de ce côté, là, si l’on remonte. On grimpe alors, maisons neuves et anciennes, logements vétustes et habitations chic, mixité sociale au milieu des singes.

Le film du soir : ペコロスの母に会いに行く

Samedi 28 janvier 2017

Et me voilà, mine de rien, avec l’envie de dire au vendeur de ichigo daifuku (des gâteaux à la fraise) que son sweat-shirt Star Wars est super, tellement je suis surpris qu’il porte ce genre de vêtement.

Le film du soir dont on a oublié le titre : l’histoire d’une femme morte qui revient mais qui a tout oublié et donc son mari lui raconte comment ils sont tombés amoureux mais à la fin elle disparait à nouveau et il lit son journal intime qu’il a découvert et alors on a droit à la même histoire encore.

Vendredi 27 janvier 2017

« On redémarre. Attention. » Ces paroles, prononcées par le chauffeur de bus, me rappellent que je devais, il y a quelques jours, décrire ici comment un autre chauffeur, dans le bus 北8, nous prévenait de faire bien attention en descendant en raison de la neige. Car le chauffeur de bus s’exprime, ici, en complément de la voix de synthèse (parfois anglaise, aux arrêts stratégiques) pour annoncer les stations, prévenir que l’on tourne. Prévenant, attentionné, aidant les handicapés en fauteuil à monter et à se caler au bon endroit, le chauffeur de bus local est là, bien là, même si quelques exceptions n’attendent pas que mamie se soit assise pour redémarrer… lentement. Sa voix, parfois, m’empêche de me concentrer sur ma lecture, et je me plais alors plutôt à regarder à travers la vitre, pour découvrir ce soir, ô surprise, sur un trajet pris des dizaines de fois, un vidéo-club (aux néons multicolores bien visibles à cette heure-ci) répondant au nom de « Vidéo America » et une boulangerie (française, bien entendue) appelée « L’Étranger », référence littéraire pour le moins étonnante.

J’aurais pu m’arrêter là, et passer au jour suivant, mais il ne faudrait pas oublier, au café Bibliotic, la photogénie de ce jeune couple, baigné par une lumière provenant surtout de deux petits abat-jour dont le pluriel entraîne évidemment un moment d’hésitation. Derrière eux un mur orange, autour un éclairage joliment diffus et pour ainsi dire parfait, puisque que le garçon est entièrement vêtu de noir, porte d’imposantes lunettes de vue de la même couleur et une chevelure à la frange tout aussi corbeau. Parfait parce que son visage s’éclaire au milieu de cette masse sombre dès qu’il relève la tête, beau comme un Caravage.

Jeudi 26 janvier 2016

On pourrait longuement parler de Silence, ce Scorsese qui nous a entraîné, pour une fois, au cinéma. Mais silence.

Mercredi 25 janvier 2017

C’est au bout du parcours, là où, une fois précédente, j’avais hésité sur l’achat d’un objet en paille, ce type d’objet qui sert je crois à recueillir les mauvaises herbes que l’on arrache, oui c’est là que je les ai rencontrés. Ils venaient d’acheter des chevalets de koto, magnifiques, laqués, noirs et beiges mais ne savaient pas ce qu’ils allaient en faire.

C’est à la fin de mon parcours, là où l’on admire les pruniers qui commencent à fleurir, qu’il y avait un spectacle. Les gens riaient. Moi aussi, un peu. Jusqu’à ce que le singe montre son visage triste.


 

Mardi 24 janvier 2017

Alors elle me demande mon parcours, et s’étonne des détours, des rebonds, des virages. Les années qui s’entassent, dans les souvenirs et sur mon CV, lui font prononcer l’adjectif adaptable tandis qu’une crème au sésame noir me fait défaillir. Le café est en revanche trop léger, mais je reviendrai dans cette adresse qu’elle apprécie.

Lundi 23 janvier 2017

Moralité : ne plus choisir de série avec des infirmières hystériques et des yakuzas surexcités qui émettent des sortes de borborygmes à la place d’un japonais articulé et châtié.

Dimanche 22 janvier 2017

Nous étions venus par curiosité, promenade dominicale et cycliste pour découvrir ce petit marché proposant principalement de l’artisanat dont on partira avec un petit couteau en bois et deux énormes yuzus. Soudain, elle nous fait la surprise d’être là, au milieu des stands. et derrière le sien (huile essentielle de lavande de Provence ou thé bio local). Elle est toujours aussi souriante, joie de vivre provenant probablement d’une réelle simplicité de vie, d’un mari moine bouddhiste et de jours qui coulent, ainsi. Comme ce petit ruisseau, juste-là.

Samedi 21 janvier 2017

Ouvrir un livre au hasard. Lire un paragraphe au hasard. Rire. L’emprunter.

Regarder des photos d’intérieurs de cuisines. Trouver cela vraiment bien, ne serait-ce que pour la sincérité qui se dégage du texte qui les accompagne. Pouvoir en parler avec l’auteur.

Vendredi 20 janvier 2017

Ils sont assis à ma gauche. Entre eux, 1 pizza, 1 assiette de riz, 2 plats de spaghettis, 1 gratin, 1 steak et son accompagnement, 5 ailes de poulets frites. Ils sont pourtant seulement deux, insolents de leur jeunesse affamée.

Le film du soir : Little Forest, espèce de docu-fiction culinaire rigoureux et délicat dont on pourrait facilement dire le plus grand bien… mais on ne parle pas la bouche pleine.

Jeudi 19 janvier 2017

Soudain, au contact des mains sur mon cou, je pense à Jean Rochefort dans Le Mari de la coiffeuse. Il s’agit de ne pas rire, il me serait impossible d’expliquer pourquoi. Quoi que, peut-être, en réfléchissant, en prenant mon temps.
Savoir expliquer. Justement… Expliquer ce que l’on fait, comment on le fait. Ne pas savoir, là, soudain, parce que c’est bêtement la première fois que l’on me pose la question, et que… heu… ben…
Et ne pas pouvoir expliquer pourquoi cette alarme stridente s’est mise à sortir de mon téléphone à la salle de sport. En rire, malgré tout.

Mercredi 18 janvier 2017

Regarder l’horizon et Hieizan encore un peu blanchi. Regarder derrière, voir les mots s’accumuler dans le carnet. Revenir ici bientôt les écrire. Ici ou ailleurs. Peut-être. Sur le tas de neige quelques plumes d’un oiseau au minimum assommé. Sur le livre, du français, si dur à prononcer pour elle.


Jeudi 12 janvier 2017

Mitate. J’hésite, compare les prix et les possibilités de composition. Le petit garçon sort de l’arrière-boutique avec dans les bras, accrochée par une sangle passant derrière le cou, une boîte comme celle qu’avaient autrefois les ouvreuses de cinéma. La boîte contient 24 boules de papier froissé, toutes de teintes différentes et claires, et un cône, en papier lui aussi. Je ris. Timide donc muet il n’annonce pas « Crèmes glacées ! Bonbons ! » et répond à mon bonjour et à mes questions par un sourire. Le temps d’hésiter encore, le voilà dehors, mimant avec maman une dégustation couleur pastel.

Mercredi 11 janvier 2017

À peine assis, dans ce café où je pense lire, deux voix s’élèvent. L’une dans un anglais impeccable digne de la Reine Elizabeth mais au lieu d’un improbable bibi mauve, l’homme porte un pansement sur l’œil gauche. L’autre voix est plus hésitante, le garçon est Japonais et tend une somme d’argent ; vous avez compris comme moi, c’est l’élève. Une jeune femme s’approche, salue le professeur, s’assied entre eux et moi en attendant probablement son tour, mais interroge l’homme qui explique, toujours dans un anglais parfaitement articulé, que l’œil est enflé, qu’il tombe sous le poids et que c’est horrible à voir, réalité médicale tout de même difficile à s’imaginer et qui me fait douter… Could you repeat please ? 

Une prochaine fois, on décrira donc plutôt le désastre écologique des prospectus distribués dans chaque boîte à lettres en prévision du marathon du 19 février.

Mardi 10 janvier 2017

Un par un ils s’interrogèrent sur cette chose que je venais d’apporter, et qui devint donc le kanji du jour. Et le prof aima beaucoup mon navet.

Lundi 9 janvier 2017

La petite fille a bien grandi depuis la dernière fois, et Madoka nous avait prévenus qu’elle parlait dorénavant beaucoup. Mais la petite fille, timide, n’a pas dit un mot durant le déjeuner. Moi, quelques-uns à ma portée, plus tard, après la pluie, entre le dessert et l’arc-en-ciel. J’ai alors pointé alors du doigt un chat, un nuage ou Kiki la petite sorcière ; la petite fille a répété, souriant à sa mère.

Le film du soir : マザーウォーター (soit Mother Water)

Dimanche 8 janvier 2017

« Et donc toi tu écris ? »

Le film du soir : かもめ食堂, léger comme peuvent l’être les films japonais dont le sujet parle d’un lieu de restauration, saupoudré d’une bonne dose de Kaurismaki. Délicieux.

 

Samedi 7 janvier 2017

– Ah oui la 9ème symphonie, c’est un vrai phénomène ici, on ne sait pas pourquoi hein… Et puis alors ils la jouent toujours en hiver, pourtant elle n’a rien à voir avec l’hiver…
– C’est comme les fraises quoi…

Plus tard, loin des fraises, au Kyoto Art Center, après que l’on a admiré l’éclatement d’un aquarium, Maya nous parle de son grand-père. Si son prénom, Maya, est bien de là-bas, avec tout l’imagerie précolombienne qu’il porte, son nom, Watanabe, rappelle une autre histoire, plus récente. Ce qu’elle évoque date de la guerre, lorsque les personnes originaires du Japon, au Pérou dans son cas, se sont retrouvées stigmatisées, internées, maltraitées, et qu’il s’est retrouvé privé de son passeport et autres documents et traces, laissant ainsi ses descendants sans réponses à certaines questions. Le sujet rejoint l’article lu avec intérêt et émotion il y a quelques jours, ou le travail sur les Japonais en Nouvelle-Calédonie de Mutsumi TSUDA. Le sujet, de surcroît, rappellera nos histoires personnelles et les feuillets annotés encore sous la pile.

Vendredi 6 janvier 2017

M’éloignant de la caisse du loueur de DVD, me voici cherchant ma clé de vélo, dont le tintement de la clochette qui y est accroché facilite en général sa recherche. À l’air interrogatif de la vendeuse qui me voit secouer mon sac et mon blouson, je réponds simplement « clé de vélo ». Elle se rue alors vers les rayonnages, et se met carrément à quatre pattes pour chercher la chose. Embarrassé, ne sachant quoi dire pour l’arrêter, je lui bredouille que je reviendrai (imaginant bêtement que cela suffirait à arrêter les recherches)…
À peine sorti du magasin, je trouve la clé dans ma poche arrière. J’hésite un instant mais retourne tout de même la rassurer et la remercier. Bien m’en avait pris, car elle était encore le nez au ras du sol ! Rassurée lorsque je lui montre le petit objet, elle exprime sa grande joie par l’immuable « YOKATTA » local et… histoire de bien vous faire prendre conscience de la notion de service au Japon, s’excuse. Et s’excusera encore. De quoi ? Allez savoir…