Jeudi 5 janvier 2017

Dans la tentative d’explorer le Japon dans ses recoins sociologiques, les séries télévisées nous apportent quelques éléments. La série avec un autiste pour personnage principal, commentée récemment ici-même, a eu deux séries « parallèles » (sans aucun lien scénaristique) avec quelques acteurs en commun et surtout le même acteur principal (de surcroît star d’un boys-band local fêtant rien moins que ses 25 ans d’existence cette année, et gagnant un peu d’argent avec sa tête dans les rayons des pharmacies).
Nous voilà navigant actuellement entre les deux autres séries, l’une avec un professeur n’ayant plus que 10 mois à vivre (où l’on baigne, entre autres, dans l’univers codé des relations entre collègues et celui des relations étrangement paternalistes prof-élève), l’autre avec un homme quitté par sa femme et se retrouvant face à la réalité d’être père d’une enfant de 5 ans, une enfant dont il ne s’était jamais occupé, bouffé par le travail. Cette réalité, malgré des caractères vraisemblablement trop appuyés pour permettre bien sûr au héros d’évoluer dans le bon sens en une dizaine d’épisodes, est bien plus réaliste, dans cette société tendanciellement coupée en deux, que l’idée que les petites filles jouent aux raquettes pour la nouvelle année. D’ailleurs, la petite fille joue de l’harmonica.

Le mot du jour : 履歴書 (りれきしょ). CV.

Mercredi 4 janvier 2017

Shimogamo. La foule est là pour un improbable match de « foot » typique de l’époque Heian, il y a un millier d’années environ. C’est une forêt de bras, avec au bout un appareil photo ou un téléphone portable, qui est le spectacle principal pour moi, toujours autant interrogatif sur cette présence de l’Histoire frisant le folklore, même si, un peu au fond du sanctuaire, le petit bras d’eau est un recoin calme où l’on vient humidifier des papiers sur lesquels, je suppose, apparaissent des vœux et quelques chose de gracieux dans l’ambiance générale.

Le film du soir, モヒカン故郷に帰る, choisi dans les rayonnages en raison de l’acteur principal, Ryuhei Matsuda, vu ici ou là (et même à 15 ans chez Mishima pour un premier rôle sulfureux dans Taboo), passe de l’habituelle question des relations entre les générations (le jeune punk galérant à Tokyo retournant, avec sa copine enceinte, sur l’île où vivent ses parents) à des scènes plutôt burlesques pour se terminer dans un humour étonnamment noir lors de la mort du père. Rafraichissant.

Lundi 2 janvier 2017

La fiche Wikipédia sur le Nouvel an japonais précise qu’à cette période, les petits garçons jouent au cerf-volant et les petites filles aux raquettes. Cette généralisation semblant provenir d’un livre d’images français des années 50, a sa réponse toute empirique et personnelle lorsque nous allons sur les bords de la rivière, après avoir acheté un café dans un konbini pour le boire en regardant Hiei san : tout le monde fait du cerf-volant et les raquettes semblent avoir été remises au placard pour ce jour familial.
Au retour vers la maison, l’avenue Kitaoji est étonnamment vide, la quasi totalité des rideaux métalliques étant baissés. L’ambiance est alors propice à un poil de folie toute japonaise pour notre carte de vœux annuelle. Mais c’est surtout l’effervescence chez les voisines, une effervescence de cours de cuisine qui se transmet jusque chez nous en raison de l’intérêt porté sur notre four. Et une effervescence en bouche et toute en saveurs françaises le soir-même.

Dimanche 1er janvier 2017

L’une des (nombreuses) coutumes locales, pour le nouvel an, est de faire la queue. Hier soir, pour sonner un coup de cloches dans un temple. Aujourd’hui, pour une prière au sanctuaire, l’achat d’omikuji, d’autres prières encore. Pour l’une comme pour l’autre, nous restons spectateurs (ou auditeurs), n’étant acteurs que pour le premier bain de l’année au sento, coutume beaucoup moins courue, mais beaucoup plus humide.


Samedi 31 décembre 2016

La photographie montrerait l’ambiance embuée d’un onsen. Une nappe de lumière proviendrait du plafond, tel un signe divin, et l’on mettrait un certain temps à voir qu’il y a là un escalier en colimaçon perçant le plafond, sans savoir qu’il mène à une terrasse ouverte avec quatre petites baignoires remplies d’eau à environ 46 degrés. Dans la pénombre due au contrejour, on distinguerait cependant assez distinctement, sur la droite de l’image prise en format portrait, un corps, debout, de profil, pâle, musclé, fessier rebondi, d’environ 1m72, de peut-être 26 ans, ruisselant sous une douche. La chevelure, retombant jusqu’en bas du cou, ne laisserait pas imaginer l’énorme boule frisée d’une quarantaine de centimètres de diamètre qu’elle était quelques minutes plus tôt. Le spectateur de la photographie devinerait, par quelques reflets, qu’il y a entre lui et la scène une vitre, celle qui sépare le vestiaire du bain. Un léger flou brouillerait un peu l’image.

Vendredi 30 décembre 2016

Elle cogne à la fenêtre, forcément souriante, et me tend – après que j’ai ouvert – trois branches ponctuées de petites boules de pâte de riz, provenant de chez Mitate. Elle apporte également du fil, moitié blanc, moitié rouge, pour lier les branches, en faisant bien attention d’utiliser les deux couleurs. La petitesse des branches, quelque soucis de compréhension et ma maladresse ralentissent un peu la manœuvre, et elle repart aussi vite qu’elle était arrivée, me laissant avec un porte-bonheur de plus en cette période bourrée d’habitudes, symboles et autres superstitions.

Mardi 27 décembre 2016

C’est à Nisshiki, le marché de Kyoto, que se fait notre sortie du jour, histoire de humer, goûter, regarder, car tout cela vaut bien un paysage. Au milieu de la foule de touristes, quelques locaux bien sûr, surtout chez le fleuriste où les envies se font fortes et se terminent pour nous dans d’élégants et frêles chrysanthèmes, les bras déjà chargés d’une pauvre bête et d’un kilo de châtaignes (pelées dans un efficace raclement mécanique, merci). Ta curiosité gustative plus forte que la mienne, tu t’arrêtes ici ou là. « Tu ne goûtes pas ?« , me demandes-tu. Je ne pense pas à te répondre que je me nourris de l’ambiance et que j’observe mes contemporains et leur attitude joyeuse dans cette longue et étroite caverne d’Ali Baba.

Le film du soir, « セイジ -陸の魚 » , nous confirme qu’il y a vraiment autre chose à voir que Kore-eda dans le cinéma contemporain japonais.

Lundi 26 décembre 2016

Alors l’on pleure la mort d’une pop-star, punaisée à l’époque de son duo sur le mur de la chambre de mes sœurs, et accompagnant en solo quelques semestres de lycée avec l’un de ses albums, écouté en boucle ; c’était l’époque des cassettes achetées ou offertes avec parcimonie ; c’était avant la découverte enthousiasmante d’autres genres de musique et avant les achats compulsifs de CD.
Mais je ne pleure pas la mort des célébrités ; il y a tant d’autres souffrances à pleurer. Je ne pleure pas non plus ces années ; il y a eu tant de bonheurs depuis.

Et puis la journée passe : glace au thé vert (malgré l’hiver), miso au yuzu dans une charmante petite boutique d’un autre temps, thé chez D&A, et puis le film du soir, le prochain film de Franssou Prenant, objet dont le montage son me demande un long moment d’adaptation.

Dimanche 25 décembre 2016

Soudain, me reviennent en mémoire les photos prises ce même jour, il y a cinq ans, au même endroit : les puces. C’était la même lumière, mais les passant et les vendeurs étaient bien plus emmitouflés et j’étais encore (mais ne le suis-je pas toujours ?) dans l’excitation de la découverte de ce grand inconnu qu’est le Japon ; et je n’avais pas acheté mon premier suzuri.

Le film du soir : le dernier Kore Eda et une nouvelle et énième histoire de famille décomposée, mal composée, recomposée… et sans sous-titres anglais ou français dans le DVD malgré son passage à Cannes.

Jeudi 22 décembre 2016

Acheter des carottes ailleurs qu’au supermarché est un acte simple, il suffit de demander, là-bas, chez Higuchi san, agriculteur-star vendant aussi sur son pas de porte, un pas de porte qui se prolonge en une ruelle boueuse au bout de laquelle l’on s’affaire à trier, nettoyer, ficeler, emballer des tas de légumes. En vouloir un kilo est déjà plus compliqué, parce qu’alors on vous regarde étonné, même s’il y a une balance juste derrière, et vous précisez donc « Mmmm… 15? » en hésitant forcément sur le numérateur à utiliser dans cette fichue langue où vous ne direz pas la même chose si vous voulez dix petits lapins, dix cailloux ou dix saucisses… Les avoir avec les fanes est plus difficile, puisque malgré mon « Les fanes c’est bien » (trop timide, sans doute), les voici qui les coupent, et ignorent autant mes paroles que cet ingrédient que tu souhaitais ajouter aux rondelles.

Mercredi 21 décembre 2016

Je fais face à un rayonnage de petits gâteaux appétissants, au milieu desquels mes yeux fixent des « yakiimo » m’évoquant la série que l’on regarde actuellement. Ton appel déplace mon regard et les choses à faire dans les minutes qui vont suivre : nous devons nous retrouver là, au coin de Teramachi et de Oike, dans quelques minutes. J’ai donc le temps, et tu me le confirmes, d’aller à la boutique d’à-côté, acheter quelques cartes de saison, et reviens devant les petits gâteaux. Je n’en prends qu’un, car je me dis que tu n’aimeras pas, je paye, pars, avance un peu, et mords dans l’objet du désir. Délicieux. Demi-tour : il faut que tu goûtes ça.

Mardi 20 décembre 2016

L’idée d’exposer à Kyoto avant de revenir en France traine toujours, mais si l’envie est là, la mise en place est plus compliquée car il faut trouver un lieu. Me voilà parti pour en visiter un, potentiel m’a-t-on dit, mais il n’en est rien, car les travaux à venir ou en cours ne permettent pas d’imaginer, là, tout de suite, un possible. On rêvera donc de revenir en 2018 pour quelque chose d’abouti. Mais on amorcera plutôt, plus raisonnable surtout, plus difficile peut-être quelque chose en France.

Le soir, faire des fu.

Lundi 19 décembre 2016

Il est vêtu d’un survêtement en matière synthétique brillant sous les néons du supermarché. Je tends l’oreille pour savoir ce qu’il dit à la caissière et poursuivre mon apprentissage empirique de la langue et de ses usages. Contrairement à la plupart des personnes, il répond à la caissière qui lui pose les deux habituelles questions relatives à la carte du magasin (qu’il n’a pas) et aux sacs en plastique (dont il n’a pas besoin). Et surtout, il la remercie. Vous allez me dire que c’est normal, mais non, ici ça ne l’est pas, pour des raisons de rapports sociaux dont on discutera le soir même avec D après qu’il nous aura annoncé, entre deux verres de saké, son mariage avec A.

Jeudi 15 décembre 2016

Au milieu des rayonnages, tu avais choisi, par hasard, une série qui nous accompagne à un petit rythme depuis ce week-end : 僕の歩く道. Le personnage principal, un autiste âgé d’une trentaine d’années, a le niveau intellectuel d’un enfant (de 10 ans, nous précise Internet), et est sujet à de multiples craintes et tics. Le plaisir à regarder cette série, c’est tout d’abord bêtement parce que les conversations entre lui et les autres, articulées et lentes, nous sont plus facilement compréhensibles, à supposer qu’il ne parle pas avec son grand-frère, ce dernier ayant un débit et une diction hors de notre portée. Mais l’autre plaisir, c’est l’attachement à ce personnage touchant, évoluant et dépassant ses limites grâce à son nouveau travail dans un zoo. Les personnages autour de lui évoluent en même temps, comme ce jeune homme censé lui expliquer le travail, passant d’un agacement certain à une attention profonde et humble. Ce type de personnage me semble être à l’image de l’intégration des handicapés dans ce pays, où tout est pensé par exemple pour les aveugles (les signaux sonores ici ou là, les plans en braille dans les parcs…), les sourds (des sous-titres dans tous les programmes télé…) ou les handicapés moteurs (ascenseurs dans le métro…) et où ils sont, en conséquence, une minorité bien visible.

Mercredi 14 décembre 2016

Odeur de thé fumé, je n’ai pas le temps de décrypter le menu que J arrive déjà avec la minute d’avance qu’il lui plaît de respecter. En t’attendant, nous parlons surtout de mes projets et de mes activités actuelles, ce CV, ces envies, ces interrogations, ce retour. Et puis te voilà, et rapidement, avant que ne soit servi le déjeuner, il nous ouvre et déroule son carnet de pèlerinage, le troisième je crois. Les calligraphies qui s’étendent par-dessus les tampons rouges sont splendides et j’imagine, en les voyant, libérer mes traits lors du prochain cours.

Odeur de café, je me suis arrêté chez Hashimoto. Autour de la table centrale, trois vieux messieurs, conversations incompréhensibles. Au milieu, une composition spéciale Noël, dont la description pourrait prendre plusieurs page. Elle penche.

Dimanche 11 décembre 2016

Elles rient. Dans mon dos. Nous venons de passer devant elles, car nous marchons plus vite, et elles éclatent de rire. Non pas qu’elles se moquent, mais de mon sac à dos dépassent 20 cm d’une brassée de fanes de carotte, panache vert. Un peu plus tôt nous avions souri : une femme, qu’on nommera Sisyphe, balayait les feuilles dégringolant de la forêt.

Le film du soir : 岸辺の旅

Vendredi 9 décembre 2016

Les chansons de Noël ont envahi rues et magasins depuis un certain temps déjà. Sous les arcades de Sanjo, alors que je crois aller à ta rencontre mais que tu t’es garé ailleurs, une reprise de Last Christmas par une voix féminine me fait sourire. Elle ne sera pas la seule, durant toute cette saison, à exercer sur moi une tension des muscles zygomatiques, surtout si la musique est accompagnée du costume (Père-Noël, Rennes, etc.) d’un vendeur. Bref.
Nous nous retrouvons finalement comme prévu chez Inoda, où la serveuse un peu raide mais forcément souriante n’a pas pour consigne de porter un costume de rennes. Une boisson et zou, direction le cinéma pour voir Koto (Vieille capitale). Cette carte postale pénible, bourrée de clichés sur Kyoto et Paris, et même colorisée ici ou là pour offrir par exemple aux montagnes d’Arashiyama des teintes d’automne saturées, est tellement caricaturale que je te chuchotte « C’est sponsorisé par la ville de Kyoto ? » juste avant que le maire ne passe en figurant haut-de-gamme.
À cela s’ajoutant une incompréhension totale de l’histoire, nous sortons agacés de cette séance… un agacement finissant en fou rire lorsque l’on apprend que la même actrice joue les rôles de deux sœurs jumelles (ce qui dit, comme cela, n’est pas forcément drôle).

Nishinoyama house

Jeudi 8 décembre 2016

Nous attendons, donc nous discutons. Elle a le même discours que la plupart des Japonais qui ont, pendant plusieurs années, quitté leur pays. On lui fait parfois remarquer sa façon de parler, sa franchise, son comportement : elle n’est plus comme eux et elle oscille donc entre indifférence et agacement. Elle me parle de son neveu homosexuel à Tokyo, des rapports familiaux, des gens de Kyoto… Les gens… Ils sont nombreux, un peu plus tard, autour du grand sapin de Noël qui décore la gare, ou sur les marches qui clignotent. Je cherche à les attraper dans la lumière, avant de m’embarquer dans cette gare dont je découvre la photogénie nocturne, une photogénie que je capterai maladroitement : il faudra y revenir.

Mercredi 7 décembre 2016

Il s’agit alors de sourire. Non pas moi, mais C, dans mon viseur. La lumière décline joliment, presque trop fortement puisque presque à l’horizon, éblouissante. L’arrière-plan est de moins en moins rouge puisque passent les jours et tombent les feuilles, mais l’on trouve quelques recoins colorés. Il s’agit alors d’arriver à la faire sourire, dire quelques bêtises, ou plutôt quelques phrases qui ne génèreront pas ces éclats de rire qu’elle n’aime pas trop sur les images et qui moi me conviennent pour leur fantaisie, leur joie, leur éclat, leur naturel. Avec ou sans écharpe ?

Le soir, conférence d’Arnaud Vaulerin autour de son livre (La Désolation), paru il y a plusieurs mois en France et récemment traduit au Japon. Il revient sur ce qu’en France on appelle simplement « Fukushima », comme on dit « Tchernobyl », comme si les sonorités étrangères projetaient le drame ailleurs, derrière les milliers de kilomètres et les syllabes. Pourtant nous sommes tous concernés, tous, pas seulement ces hommes jetables dont Arnaud Vaulerin chercha le témoignage. Hommes jetables : terme terrible mais qui dit tout ce qu’on ne veut pas dire, ce qu’ils (responsables avec un grand R) ne veulent pas dire et ne veulent pas qu’ils disent. Parce qu’hommes jetables et poussés au silence.

Mardi 6 décembre 2016

Alors que la calligraphie que je pratiquais autrefois n’était que décorative, celle qui vient d’entrer dans ma vie, et qui illustrera certains mardis soirs, est bien autre chose que de la calligraphie. Il n’est finalement pas question de savoir tracer correctement, il est plutôt question de comprendre l’essence même de cette pratique : l’origine des caractères, la profondeur de leur sens… Un kanji est bien plus qu’un kanji. Et ce soir, l’oiseau tracé était, en prévision de la nouvelle année, un porte-bonheur que l’on offrira. Il s’agit ensuite (tout de suite, quasiment), de se laisser aller. Laisser la main s’envoler avec l’oiseau…
Mais, de manière plus basique, c’est aussi un cours de japonais où l’on évitera au maximum l’usage de l’anglais, un cours d’histoire qui rappelle s’il en est besoin que le Japon ne serait rien (ou autre chose) sans la Chine, et finalement un cours de sociologie, où l’on découvre par soi-même (ce qui confirme divers témoignages) que le professeur japonais est forcément élogieux : l’oiseau, même massacré, engendrera des gazouillis flatteurs. À ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie…

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Lundi 5 décembre 2016

Au milieu des vidéos de vacances, de ceci ou de cela, vidéos qui prennent trop de place et qu’il faut effacer, il y a soudain celle qu’on avait oubliée, prise vite fait dans l’unique but d’en faire un pense-bête, sur laquelle on distingue rien, mais où une voix, étrangement nasillarde, peut-être enrhumée, vraisemblablement déformée par l’enregistrement, dit quelques phrases sur l’amoureux de ma grand-mère, avant mon grand-père et remplacé par celui-ci à une époque où, à un moment, il fallait bien finir par se marier. Il y a toujours alors, dans ces histoires, la question en suspens : qui serions-nous si… ?

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Dimanche 4 décembre 2016

Il est toujours vertigineux de voir à quel point les corps photographiés du passé, peut-être plus que ceux en action et en situation devant nous, se présentent immédiatement au regard comme des corps sociaux, des corps de classe. Et de constater à quel point également la photographie comme « souvenir », en ramenant un individu – moi, en l’occurrence – à son passé familial, l’ancre dans son passé social. La sphère du privé, et même de l’intime, telle qu’elle ressurgit dans de vieux clichés, nous réinscrit dans la case du monde social d’où nous venons, dans des lieux marqués par l’appartenance de classe, dans une topographie où ce qui nous semble ressortir au relations les plus fondamentalement personnelles nous situe dans une histoire et une géographie collectives (comme si la généalogie individuelle était inséparable d’une archéologie ou d’une topologie sociales que chacun porte en soi comme l’une de ses vérités les plus profondes, si ce n’est la plus consciente).

Didier Eribon ; Retour à Reims

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Jeudi 1er décembre 2016

Aveuglé par cette impression de m’être arraché à un mal qui jusque-là m’avait semblé incurable, j’oubliai quelque temps la résistance du corps. Je n’avais pas envisagé qu’il ne suffisait par de vouloir changer, de mentir sur soi, pour que le mensonge devienne vérité.

Édouard Louis ; En finir avec Eddy Bellegueule

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Mercredi 30 novembre 2016

Bords de la rivière, entre Kitayama et Kitaoji, détour sans pareil pour aller à la salle de sport. Je compare les couleurs avec celles d’il y a trois semaines, le ciel s’est un peu éteint et le marron l’emporte désormais. Soudain au loin, un immanquable kimono aux motifs et couleurs d’automne ; elle pose à côté de son futur mari vêtu de noir. L’assistante (vêtue de noir) se démène tandis que le photographe (vêtu de noir) leur fait prendre la pose : lorsque je passe à côté le futur tend le bras vers l’ouest, un éventail dans la main…

Salle de sport. Un homme a fait un malaise il y a quelques minutes, mais puisque l’on s’affaire autour de lui, et que de toute façon je ne vois pas en quoi je pourrais être utile, je poursuis mes activités et compare les kilos poussés / tirés / soulevés avec ceux d’il y a trois semaines, et… comment dire… le ciel s’est un peu éteint ? Soudain regardant à nouveau vers l’homme, je vois qu’il est entouré de deux personnes en uniforme et immanquablement, malgré l’inquiétante immobilité du sexagénaire (assis), je souris. La scène n’est pas drôle, me direz-vous, mais les uniformes, teinte crème évoquant un vieux costard des années 70 ou quelque chose d’Europe de l’Est à l’époque soviétique, sont portés par une espèce de couple à la Laurel et Hardel, ou à la Dubout, bref : une petite grosse et un grand maigre… surmontés d’une casquette disproportionnée. Je tente bien sûr de cacher ce sourire idiot, mais cela devient difficile lorsque arrive le brancard porté par… des hommes casqués, version casque de chantier, voyez-vous ?
C’est lorsque l’homme s’assied sur le brancard, visage figé et raideur encore plus inquiétante, que mon sourire retombe.

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Mardi 29 novembre 2016

Le premier bonheur du jour, comme chantait Françoise Hardy, n’est pas un rayon de soleil (qui s’enroule sur ta main, etc.) mais les lignes colorées au-dessus de la terre, là-bas vers le nord, tandis que l’on survole la nuit.

Le deuxième bonheur, c’est la visite d’un hôtel ouvrant ses portes le 1er décembre. Pourquoi bonheur ? Parce que le lieu, constitué de 10 maisons anciennes, parvient à sauver, ces 10 maisons, tandis que le reste de la ville se transforme, se plastifie, s’uniformise. Le touriste lambda, ne franchissant pas les portes, profitera seulement des façades sauvegardées conjuguées à la modernité d’un portail de métal, mais le touriste moins lambda (et aisé) profitera de la jolie conjugaison entre ancien et moderne, dont on nous rebat les oreilles avec le Japon, certes, mais qui permet de sauver ici ce petit bout de patrimoine vernaculaire. Au milieu de cette conjugaison, les fleurs de chez Mitate, les plantes sélectionnées par Seijun Nishihata, le graphisme de Kazuya Takaoka et les « monochromes » photographiques de Taisuke Koyama.

Le troisième bonheur, c’est de retrouver son lit à 20h.

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Du 10 au 27 novembre 2016

Revoir Ivry, Paris, Chaniers, Saintes, Bordeaux, Rome et Limoges.

Regarder alors les quelques images faites, quelques couleurs d’automne seulement dans la campagne saintongeaise, puis les ocres romains et les visages effacés des statues.

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Mercredi 9 novembre 2016

Décalage horaire américano-nippon oblige, la journée passe l’œil rivé sur les courbes de chance que Clinton ou Trump soit élu(e). Il est tôt lorsque la ligne bleue démocrate commence à chuter, j’entame alors le repassage de quelques vêtements, et cette déclivité transforme alors un intérêt pour ces élections en une obsession, une immense tristesse voire un effroi à l’idée que l’Amérique soit dirigée par ce type, même si l’idée d’une Hillary ne faisait pas sortir les confettis.
Mais c’est dans un commentaire sur Facebook que s’aggrave, non pas mon obsession, mais mon effroi, effroi dû à la verbalisation de la haine de l’autre, verbalisation toute trumpienne s’étalant là sous des prétextes de liberté d’opinion pour une vaine histoire de photo de nu censurée sur ce réseau social. À un commentaire insultant et déplacé, j’ose répondre un commentaire agacé, et me voilà traité de censeur par un individu qui confond liberté d’opinion et liberté de tout exprimer, vraiment tout exprimer, tout, surtout des propos inconvenables, haineux, de préférence exagérés et donc erronés, voire simplement idiots après que l’individu en question a lu ce journal.

Évidemment, il est bon de dire qu’il ne faut rien répondre à ce genre de médiocres crachats provenant de paranoïaques aux œillères brunes, mais je crains que ce qui était une minorité silencieuse avant l’avènement des réseaux sociaux et des commentaires dans la presse en ligne ne devienne trop bruyante et s’impose. L’auto-censure, directe conséquence du respect dont nous devons tous faire preuve, est semble-t-il une notion ignorée par cette partie de la population…

C’est donc agacé que j’arrive chez C, bras plâtré mais radieuse, qui nous raconte sa journée avec le Dalai-lama, ce dernier conseillant à chacun de chercher l’amour qu’il a au fond de lui, pour s’aimer lui-même et donc aimer les autres. Y en a qui vont devoir creuser…

Dimanche 6 novembre 2016

Avoir une invitée péruvienne à déjeuner = comprendre qu’on est totalement ignare en géographie = se dire qu’il va falloir y mettre les pieds, un jour, de l’autre côté.

Le film du soir (plutôt joli, sachant prendre son temps) : 群青

Samedi 5 novembre 2016

Elle porte une blouse marron clair, aux rayures plus foncées et son teint hâlé contredit plutôt l’image habituelle des patients dans les hôpitaux. De la petite cafétéria où les autres patientes font surtout un passage (lent) à la machine à glace pour remplir leur sac, le Mont Hiei domine l’horizon. En contrebas, la rivière bordée de cerisiers dont les feuilles rouges s’éparpillent de plus en plus. Elle nous confirme que, oui, c’est joli Takao, surtout à la saison des érables qui rougissent.
Alors nous voilà au milieu des montagnes et des couleurs, car Takao est tellement près… Au milieu des Japonais, aussi, puisque c’est la saison où on les retrouve en-dessous de chaque érable : l’impermanence, etc.

Et s’étonner (encore) des patates vendues à la pièce et (déjà) d’un sapin de Noël bleuté devant un immeuble.

Jeudi 3 novembre 2016

Une idéologie du clivage et de l’aspiration petite-bourgeoise à un statut supérieur conduit le travailleur intellectuel à considérer les classes laborieuses  avec arrogance, cynisme, mépris, et une forme de peur. Les artistes, en dépit de leur romantisme et de leur propension à l’encanaillement, n’échappent pas à cette règle.

Alan Sekula, Défaire le Modernisme

Le jour de la culture est un jour férié qui nous emporte dans une liste à la Prévert de lieux vus et moments vécus, liste pas aussi longue que la queue pour visiter le Palais du Ninna-ji, mais tout de même, on y trouve un magasin de mochis, un hôpital temporairement déserté par l’amie au bras cassé que nous venions voir, un temple jamais visité et sus-nommé, un restaurant de sushis, un fleuriste dont on avait tant entendu parler, jouxté par un petit café-boutique tellement « kyotoïte » qu’on se demande si les serveuses ne sont pas recrutées chez des bonnes-sœurs et duquel on sort pour féliciter le fleuriste pour sa jolie boutique (fleuriste garant donc sa voiture à point nommé / fleuriste dont la coupe de cheveux ne pouvait être oubliée depuis cette même soirée avec cuistot danois à pull multicolore et artiste animalo-aquarelliste / fleuriste faisant donc courbette et sourire en retour de mes félicitations) et un sanctuaire où l’on célèbre on ne sait quoi et où le prêtre shinto suit la procession assis dans une décapotable.

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Mercredi 2 novembre 2016

Retrouver les tonnes poussées-tirées-cumulées à la salle de sport. Retrouver Kurodani pour y enregistrer les prières du soir (mais il faudra recommencer). Découvrir qu’il y a un deuxième rayon pour apprendre le japonais à la librairie de Bal. Découvrir enfin Forum et y goûter une bière légère et locale. Choisir un restaurant de ramen après avoir compris qu’on ne voulait pas de nos têtes d’Occidentaux au comptoir. Choisir ?

Regarder un bout du film(酒井家のしあわせ) débuté la veille et arrêté ce soir avant la fin parce que bof on comprend rien laisse tomber cette histoire de famille avec le mot « bonheur » dans le titre.

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Mardi 1er novembre 2016

Écrire. L’ouvrage est en attente depuis des années, souvenez-vous de la chambre en Bretagne où il avait vu le jour, entrecoupé de la lecture de La Recherche et de bains de mer un peu frais. L’ouvrage progresse depuis quand une idée est notée, qu’un souvenir revient. Rien que sporadique. Rien que quelques pages. Depuis hier, une étape est franchie : les photographies, sources de la suite du récit, sont copiées sur la tablette. Il y a alors la vague mise en place d’un protocole d’écriture, qui bien sûr se heurtera à la réalité. Et l’idée d’un rythme imposé, qui bien sûr se heurtera à la réalité.
Vers 13h30, il faut donc penser à laisser le clavier et à manger. Puis, vers 15h, puisque il fait encore assez beau, il faut penser à prendre l’air, et aller voir dans le quartier ce qui offrirait quelques photographies, sources d’un autre récit, celui du quotidien, narré ici maintenant ou ailleurs à l’avenir.
Dehors, 15h20, c’est l’heure de la sortie d’école, joyeuse et colorée comme des cartables vifs. Et puisque les nuits sont fraîches, le camion distribuant le fioul est en tournée, petite chanson dans les rues et bip bip bip en reculant.

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Lundi 31 octobre 2016

Ils sont de passage, eux que je pense n’avoir jamais vus et que tu as eu la bonne idée d’inviter à dîner. Bien sûr, la conversation s’immisce à un moment donné sur les lieux à voir, et sur Nara, qu’ils ont prévu d’aller visiter. Nara, l’ancienne capitale, ne fait pas partie de notre to-see-list (malgré le joli souvenir du parc, dès que l’on s’éloigne un peu des meutes de daims) et les amis ont vraiment visité la ville nous en ont rapporté le témoignage de temples bien trop envahis de touristes ou le peu d’intérêt en dehors du gigantisme de certains lieux. Les voilà donc attentifs à nos conseils de lieux calmes, éloignés des foules, et leur envie d’un peu de campagne prend forme.

Dimanche 30 octobre 2016

Les dessins sont sages, animaliers, amusants ici ou là ; bestiaire aquarellé où les hasards de la matière proposent des pelages inédits. L’auteur, revu récemment au hasard d’une soirée, est un visage croisé de temps en temps avec qui les conversations tournent court, une référence de ta résidence ici il y a cinq ans, et l’un des rares hors du placard, ce qui est à noter – et donc je le note. Le dernier dessin vu, au moment de partir, c’est à dire le premier accroché mais que je n’avais pas vu en rentrant et qui est aussi celui du carton de l’exposition, rappelle les visages torturés de ce recueil que je regarde toujours avec intérêt à Ivry. Mais c’est un lapin, pastille rouge en bas à droite pour signaler la joie de l’auteur.

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Samedi 29 octobre 2016

Ils partiront demain, les voilà donc à déjeuner, duo inséparable… jusque dans les chaussettes à l’envers… mais dont la différence se fera sur le goût pour les trottoirs. Non pas ceux des villes, mais ceux des tartes.

Le film du soir : オカンの嫁入り, dont on dira moins de bien…

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Jeudi 27 octobre 2016

J’avais appelé la veille pour prendre rendez-vous. La voix était rapide, l’anglais bancal, les propos presque incohérents, mes réponses n’avaient pas le temps d’être prononcées mais le tout était plutôt folklorique et j’avais plutôt ri en raccrochant, quoi qu’un peu inquiet tout de même, mais pour une consultation dermatologique je ne risquais pas grand chose… M’y voilà donc à 10 heures, cabinet Ono dans l’immeuble Ono, tout est Ono probablement, et dans l’entrée blanchâtre les chaussons sont bien alignés dans les casiers ; j’en choisis une paire à motifs verts. Derrière le comptoir d’accueil, deux jeunes femmes, communication quasi muette, puisque moi-même j’ai comme un peu perdu mon latin. Salle d’attente. Et la voilà. Elle passe dans un sens, démarche rapide et brusque, me dit d’attendre. La voix d’hier. C’était elle : le médecin. La suite est surréaliste, de sa bouche sort un mélange d’anglais et de japonais improbable, pondu dans un débit improbable, elle est improbable, elle me fait physiquement penser à cette femme méchante dans un James Bond… bref… je repars tout de même avec 2 tubes de pommade et (seulement) 1110 yens en moins.

La suite est constellée de scènes à raconter ou de lieux à décrire : le petit café sans charme, la librairie avec charme, la jeune fille sage qui change de place dans le métro (parce que les deux autres en face ont le visage couvert de piercings ?), le soleil couchant et la prière à Kurodani. La suite se termine par le spectacle de Luis Garay à Kyoto Experiment, spectacle pour lequel nous assistons à la « couturière », mais la couturière n’a pas dû être débordée, car il n’y pas beaucoup de danseurs habillés. Moi qui fait souvent l’impasse ici sur les spectacles / conférences / concerts auxquels nous assistons, cela me démange tout de même de décrire ce « El lugar imposible », lieu impossible sans décor (lignes blanches au sol), quelque chose peut-être du Paradis ou de l’Enfer, lieu où règnent les corps, mouvements, contorsions, contournements, mouvements lents, mouvements cycliques, ping-pong, aller-retours, regards fixes, regards absents, et en définitive un moment déroutant où les postures et la fascination balayent l’imposture crainte au début. Alors, essuyer ses chaussures, tapoter son bas de pantalon et repartir sans savoir.

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Mercredi 26 octobre 2016

Les histoires comme celles-ci sont pareilles au Nil, elles n’ont pas un commencement. Elles en ont une myriade. Et toutes ces sources engendrent des rus qui se jettent, l’un après l’autre, dans le cours principal du récit – le grand fleuve.
Prenons une de ces sources. Nous sommes à la mi-décembre 1977, la nuit tombe sur Niigata. Naoko Tanabe, collégienne de treize ans, revient de son cours de badminton.  Les rues qu’elle emprunte ne sont guère passantes : ses parents habitent un quartier résidentiel de demeures à un étage.

Eric Faye ; Éclipses japonaises

Alors, tandis que je pèle les fruits pour les recouvrir de sucre tout en écoutant pour la énième fois ces fichues leçons Assimil pas du tout assimilées, j’ai comme une envie de montrer ça, cette couleur orange des kakis et des mikan… Alors je me dis que c’est peut-être l’occasion de retrouver ce compte Instagram sur lequel traînent quatre malheureuses photos, d’autant plus malheureuses qu’il y a cette vieille dame peut-être décédée, que c’est peut-être l’occasion de mieux connaître ce réseau et ses usages… Mais finalement, on n’y voit pas la confiture.

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Mardi 25 octobre 2016

Scène 1. Matin. Marché aux puces.
Je m’accroupis, regarde des tasses, juste comme ça… Le vendeur se lève, me dit que c’est époque Meiji et que ce sont des vues du Mont Fuji. Et il s’approche, prend une tasse, me redit que c’est Fuji san, et pointe du doigt non pas une, mais deux montagnes… Heu… C’est le Mont Fuji, ça ?, je lui demande en souriant. Il tourne la tasse dans tous les sens à la recherche du symbole japonais… et je m’éloigne en riant de l’homme gêné, lui qui avait l’air vraiment sincère et qui n’avait donc jamais dû regarder son lot de près.

Scène 2. Après-midi. Caisse du Fresco.
Elle prend mes trois kilos de sucre posés dans mon panier, en pose deux derrière, et par le mot hitori au milieu d’une phrase en japonais prononcée trop vite, je devine qu’il y a restriction. Cela me semble improbable, alors je lui demande de répéter, puis lui demande pourquoi mais la réponse est incompréhensible et je crois bien qu’elle répète la même chose, encore trop vite. Je dis que je ne comprends pas, en regardant la femme derrière moi, la quarantaine, visage fermé, elle s’en fout, elle veut juste payer ses articles. Alors, comme souvent dans les moments de communication impossible (cf. la scène non racontée, il y a une dizaine de jours, d’un problème d’abonnement à la salle de sport), j’hésite entre en rire ou en pleurer, mais en tout cas, là, à ce moment précis, je déteste tout, tout le monde, ce pays, la personne en face et moi-même. Je retrouve alors un réflexe de franchouillard agacé en lui disant de manière sèche que j’irai donc en acheter dans un autre magasin, hésite à lui demander si c’est la guerre, répète sa phrase d’excuse en la finissant par quelques vagues borborygmes, et paye, malgré tout, parce qu’il y a peut-être une raison.

Scène 3. Soir. Restaurant.
Nous sommes tous les quatre au comptoir. Le cuisinier et sa femme s’affairent, se croisent. K leur dit que c’est comme une danse. Je traduis à peu près. Elle rit. Comme nous rirons souvent, au cours de ce dîner merveilleux, chaleureux, délicieux.

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Lundi 24 octobre 2016

Temple Manshuin. Elles posent ; la mère et la fille, probablement. C’est le père, probablement, qui prend la photo. La lumière est magnifique, mais avec ce jardin dans le dos, on peut imaginer un contre-jour. À mes pieds, la moquette rouge est frappée par le soleil, et les boiseries ont pris cette teinte rouge elles aussi. Et puis le fils les rejoins. Il pose alors à-côté du père, et je n’y vois qu’une simpliste généralisation des rapports familiaux japonais, effaçant dans mon esprit qu’ils sont peut-être juste heureux d’être ici ensemble.

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Dimanche 23 octobre 2016

Having parted with the evening glow
I meet with night.
But the angrier red clouds go nowhere
and just hide in darkness.

I don’t say goodnight to the stars
for they always hide in daylight
The baby I once was yet remains
in the center of my growth rings.

No one ever, I think, vanishes.
My dead grandfather grows like wings on my shoulders.
He takes me to places outside of time
along with seeds left by dead flowers.

‘Good-bye’ is a temporary word.
There are some things that bind us together
far deeper than remembrance and memory.
If you believe that, you needn’t look for it.

Shuntaro Tanikawa

La porte était bien sûr ouverte, ils sont là, nous attendent.

Samedi 22 octobre 2016

Alors on loue une voiture et on part vers là-bas, sud-est du lac, Shigaraki, Iga… parce que l’on t’y attend, parce que l’on aime ce coin, parce que l’on aime retrouver la campagne, voir un autre horizon et ces autres gens, prendre des routes bordées d’arbres à kaki ; le ciel est gris.
Au Miho museum, c’est la même fascination que la dernière fois pour quelques objets de Mésopotamie ou d’Égypte antique, cet œil, cet ibis, ce personnage assis en tailleur, cet œil surtout… ça balaye tout le reste, surtout la grandiloquence du lieu, bien que j’aime particulièrement les jeux de lumière du tunnel par lequel on accède.
Du reste de la journée, on oubliera les sujets à moquerie (la prétention de l’une, les céramiques de l’autre) pour la joliesse de tous les objets que l’on a(urait) envie d’acheter, pour un bon gâteau en feuilletant un magnifique livre de photos, pour deux kilogrammes de champignons achetés dans un marché « bio », pour le joli début d’un film qui ne sera que début, puisque l’on s’endormira.

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Vendredi 21 octobre 2016

Il arrive en pull multicolore au milieu de la foule neutre (des gris, des gris, des gris, un beige ici, des noirs bien sûr, du bleu marine saupoudré, et moi-même peu éclatant dans ce gilet bordeaux). Le pull est très ample, bien plus que les coupes ajustées des hôtes, même si, dans les rayons de la boutique inaugurée ce soir (inauguration suite à laquelle nous nous retrouvons dans un moment festif qui m’amusera beaucoup), oui donc même si l’on a vu ce soir des coupes larges comme les Japonais(es) en portent avec aisance et élégance. Ses yeux bleus et sa taille aussi se remarquent, indices scandinaves même si je ne connais pas les normes danoises. Voilà plusieurs mois qu’on ne l’a pas vu et l’on parle très vite de se retrouver à la maison pour dîner et lui piquer une nouvelle recette simple à reproduire… mais on reprendrait bien un verre de vin d’abord.

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