Je suis sur les deux images que tu m’offres. Je suis surpris, forcément touché, inquiet : où les ranger sans les abîmer ? Elles sont extraites d’une pile, rangée elle-même dans une boîte, une pile dont l’harmonie et la douceur me plaisent : il y a beaucoup de toi dans ces images. Il y a ce regard, ce plaisir du presque rien, une exigence qui s’estomperait à l’approche d’une main, peut-être cette clairvoyance, peut-être ce que tu attends du monde. Peut-être qu’ici je ne t’avais jamais tutoyé. T’en souviendrais-tu ?
Samedi 1er février 2020
Vendredi 31 janvier 2020
Il fait de grands gestes, je ne saisis pas. C’est mon tee-shirt qu’il montre, qu’il aime. Ainsi nous engageons la conversation. Avec lui, deux touristes américains. Il est anglais, il vit à Paris ; ils se sont rencontrés, là, un peu plus tôt. Je ne sais pas encore que nous rirons beaucoup. Je ne sais pas non plus que nous ne parlerons pas d’Ursula Schultz-Dornburg, ni de Sebastao Salgado, et pourtant.
Jeudi 30 janvier 2020
Mercredi 29 janvier 2020
Mardi 28 janvier 2020
Le film est de ces films français qu’on regarde comme une chronique qui, tôt ou tard, nous rappellera des souvenirs, bons ou mauvais, de notre vie amoureuse. Et puis il y a une chanson, c’est en italien, l’air rappelle un peu Love in Portofino. Alors on attend la fin du film, on googlise que le début des paroles, on trouve un autre version de la chanson, chantée par Luigi Tenco. On lit les mots qui disent : J’ai compris que je t’aimais quand j’ai vu qu’il suffisait de ton retard pour sentir s’évanouir l’indifférence, pour avoir peur que tu ne vinsses plus, parce qu’il y a ce sifflant délicieux subjonctif imparfait : venissi.
Et puis on chante.
Venissi, aussi.
Lundi 27 janvier 2020
Je glisse alors les cinq blinis rescapés de samedi soir dans le grille-pain. Branche. Appuie. Paf. Noir. Noir noir ? Noir noir !
Dehors il fait nuit, par conséquent ici aussi. Nul réverbère depuis mes fenêtres. Tu avais heureusement ton téléphone dans la main, la lumière qui s’en dégage te guide jusqu’à moi, puis nous jusqu’à l’alignement de fusibles. Clac. Lumière. Ici ou là ça clignote, sur le four il est minuit.
Dans le grille-pain, on dirait que certains blinis ont tenté de s’enfuir, les voilà coincés dans les grilles métalliques du petit matériel d’électro-ménager dont les courbes sont d’autrefois. L’un d’eux restera là, ça nous en fait donc 4, plus simple à partager quoi qu’on n’aurait pas hésiter, courtois, à abandonner sa part ou, trop gourmand, à couper l’individu en deux.
Dimanche 26 janvier 2020
Sur sa table basse, une revue sur la communication publique. Il me dit que je devrais m’y abonner. Il a raison. Je lui dis qu’il me faut revenir aux fondamentaux de mon métier, et pour cela lire, lire ce qui ce fait, ce qui se dit et ce à quoi d’autres ont déjà réfléchi ou ce que d’autres ont déjà analysé et trouver le temps de réfléchir derrière tout ça, le digérer pour retrouver une légitimité, une assurance, une clarté, les mots. Je lui parle de tout ce que j’ai à faire et il y a les mots multitude, grand écart, précipitation. Je regarde derrière moi, je vois que le CELSA c’était il y a bientôt 7 ans. Je sens que quelque chose m’échappe.
Au téléphone il y a ensuite Z. Nous parlons de ce projet qui aurait pu m’emmener dans son pays si j’avais dit “Oui” et si j’avais été sélectionné, mais les raisons du “Non” sont multiples. Il me demande alors ce que c’est qu’être artiste. Mais il préfère que l’on attende de se revoir. Je chercherai sur Internet, d’abord, dit-il.
Samedi 25 janvier 2020
Vendredi 24 janvier 2020
Jeudi 23 janvier 2020
Mercredi 22 janvier 2020
Mardi 21 janvier 2020
Lundi 20 janvier 2020
Dimanche 19 janvier 2020
C’était je crois le 2 février 2018, à la cité scolaire de Nontron. Elle avait oublié les photographies qu’elle devait m’apporter. J’en fis peu de cas, comme avec les autres élèves, et d’ailleurs, c’était beaucoup mieux comme ça, souvent. Ils me racontaient les images, la circonstance de leur prise de vue, ce qu’on y voyait. Souvent ils se trompaient.
Elle me raconta l’une des images en précisant d’abord le lieu : une chambre d’hôpital où elle se faisait soigner pour un cancer. Elle me dit que l’infirmière entra, avec des clowns, et qu’elle prit une photo d’elle dans son lit. J’imaginai alors une vue de loin, la jeune fille entourée des murs tristes de la chambre et de tout l’inévitable matériel médical.
Le lendemain, elle m’apporta les photos. La première aurait mérité à elle seule une histoire mais allons tout de suite à celle qui nous intéresse. Elle ouvrit donc la chemise cartonnée, et me tendit l’image, une photocopie laser couleur remplissant un A4. Ses lèvres rouge vif se détachaient sur des teintes douces et blanches ; c’était un portrait très serré, sur sa tête un foulard.
L’image était magnifique. J’avais rarement ressenti une telle émotion : la veille d’abord, et puis là.
Lorsque, quelques mois plus tard, nous avons fait l’exposition liée au projet, elle ne voulut pas monter cette photographie. Elle accepta que je la garde, nonobstant un subjonctif présent. Depuis, je l’avais égarée.
Ce dimanche soir, une fois rentré chez moi après qu’on avait parlé des ambiances d’hôpital sans clowns qui entrent rigolards dans une chambre d’enfant, il me prit sans hésitation de ranger mon appartement : il méritait qu’on remît un peu d’ordre pour accueillir potentiellement, le lendemain, JLM, qui devait passer chercher je ne sais quoi. Mon regard se posa sur cette immense publication, posée dans la petite corniche, qui commençait à se tordre. Depuis des mois, je l’ignorais bêtement. Je l’attrapai, la feuilletai. L’image y était, glissée entre les feuillets : lèvres rouges, teintes douces.
Samedi 18 janvier 2020
Where
Where are they now?
The ones with whom I laid in summer
You lover somehow
I’ll find a way to keep forever
Je pense à toi depuis que j’ai acheté cela en ligne, une heure plus tôt. Je pense à toi sans y penser réellement, parce que c’est toi qui m’a fait découvrir Michelle Gurevich et parce que certaines de ses chansons ont été nous et ce que nous avions à nous dire.
Alors je lis les paroles de celle-ci
Alors soudain tu reviens dans les mots. Tu es encore là. Comme en été, lover somehow. Forever.
Alors je t’envoie une image. Je suis surpris que nous n’ayons pas signalé la nouvelle année par des vœux. Pourtant, peu de temps avant minuit, ce 31 décembre, encore nous échangions. Sur ma carte de vœux, il y a ce cœur qu’ainsi je t’envoie. À tout le monde il s’adresse. À toi il dit autre chose.
Alors tu me réponds. Tu m’envoies des images de cette mer qui coupe ta ville en deux. Je le suis peut-être aussi un peu, coupé en deux, traversé par les flots. Forever ?
Vendredi 17 janvier 2010
Alors sa voix, soulagée.
Jeudi 16 janvier 2020
Il a déjà commencé à parler. Vous vous doutez qu’il parle de ce pourquoi je viens, cette proposition accrochée sur les murs, reprenant sous une autre forme un projet photographique qui creuse l’intime et pour lequel il a publié un livre à la couverture rouge frappée de caractères chinois de couleur blanche.
Forcément ça m’intéresse : l’intime, tout ça… À Pascale, je dis que ça me parle. Pourtant j’ai attrapé des bribes entre le discours entamé et le dossier de presse posé à côté de moi, je ne suis pas de savoir qui est cette femme pour laquelle il dit amie, même s’il nous montre quelque chose de corps nus, quelque chose c’est-à-dire quelque chose d’autre devant lequel longuement je m’arrête. Il a parlé de sa femme aussi, ses enfants, de la distance, Skype, et puis il y a des phrases en anglais, l’Asie, et sur les murs quelque chose qui ressemble peu à ce qu’on voit habituellement donc forcément cette quête d’un accrochage “différent”, ça me parle. À Pascale je dis que moi aussi, je cherche, comment parler de l’intime, comment mélanger les images et les mots.
Et puis quelqu’un a dit que Sophie Calle avait fait un peu pareil. Mais non : Sophie Calle, j’avais ri.
Mercredi 15 janvier 2020
Ainsi contraint, je me rends deux mardis matin par mois dans un institut médical conventionné situé rue du Louvre, mes soins consistant à monologuer sous l’œil mi-clos d’un psychiatre nommé Jean-François Bardot. Je soupçonne ce Bardot d’assurer de telles vacations publiques dans le seul but d’arrondir ses fins de matinée, rajoutant une pincée d’épinards dans un beurre – vu ses tenues sur mesure et son Audi Q2 garé devant l’institut – qu’il doit épaissement tartiner dans le privé.
::: Jean Echenoz ; Vie de Gérard Fulmart
Mardi 14 janvier 2020
Aujourd’hui, jeudi 27 novembre 1997, la nuit tombe alors que le train traverse les Landes, ou les côtoie, entre Bordeaux et Dax. Au pied des pins s’étend par endroits une couche superficielle de brouillard très dense, comme un gaz de combat, et au-dessus, vers l’ouest, de déploie sur le fond jaune du ciel un éventail de petits nuages gris ardoise. Comme presque toujours, les efforts que fait le paysage pour ressembler à un tableau – ici, un tableau de Friedrich – me mettent de bonne humeur.
::: Jean Rolin ; Traverses.
Lundi 13 janvier 2020
Je regarde l’heure, mais j’ai encore du temps. Les pâtes chauffent. Tu m’avais dit que c’était beau, sans cela je n’aurais pas prêté attention à ce film. C’est peut-être un peu cela qui a déclenché mon retour dans ces salles qu’on dit obscures : te séduire un peu en montrant que je m’intéresse à toi, à d’où tu viens, nous rapprocher d’une manière ou d’une autre, pour une raison ou une autre, quoi qu’il advienne de nous, tandis que nous parlions de théâtre et qu’au milieu de la programmation est apparu ce film. Alors l’envie d’un film est devenue l’envie de films.
Il est 19h09 et je t’envoie un mot, léger. Autrefois on pokait les gens sur Facebook. Ailleurs on envoie un tap. Là c’est un peu ça, c’est une phrase, ma main se soulèverait, les doigts bougeraient un peu pour te faire signe, je sourirais en envoyant cette phrase où ma main dit faire autre chose, légère.
Et puis les heures passent. Celles du film, qui m’attrape. Celles du soir. Celles muettes.
Dimanche 12 janvier 2020
Samedi 11 janvier 2020
Quel est mon pays ?
Celui où je vis, où je retrouve donc E et L, terrasse locale, moi vêtu de ce nouveau manteau qui, depuis des semaines, me regardait à travers la vitrine, manteau qui est peut-être la représentation parfaite du manteau dont j’ai toujours rêvé, quelque chose qu’on enfile et qui, immédiatement, vous habille tandis que le vendeur me dit qu’il est fait pour moi et qu’il ne sait pas à quel point oui, il est fait pour moi entraînant alors le paiement du produit et le bénéfice de 40% de réduction.
Celui d’où vient une part de moi, puisque l’histoire m’a fait naître ici des décennies après qu’on sera venu de cette Espagne que je partage avec J, lui qu’elle constitue à 100%, moi à 25. Cette différence chiffrée en fait-elle une ? Devant les panneaux de l’exposition que nous visitons ensemble et dans laquelle je tente de glaner quelques savoirs et quelques idées (de phrases ? de paragraphes ? d’idées ? Oui des idées d’idées, un élan à l’écriture quoi…) pour cette arlésienne littéraire dont à peu près tout le monde ne sait rien, devant les panneaux donc nous sommes face à notre place ici et à notre nom.
Celui où Plossu nous emmène ensuite, mais me voici déçu, la Rome du photographe ici m’indiffèrerait presque. L’auteur n’est pas là, j’avoue ne pas être venu pour lui, j’étais venu parce qu’on était là, tout près, j’ignorais qu’il devait inaugurer, mais n’ignore pas qu’il est l’un des responsables de cet autre pays dans lequel je vis, le pays photographie. Et l’Italie sinon ? Elle revenait, ce matin encore, comme un horizon, l’envie qu’elle soit pays.
Celui où le cinéma me ramène ce soir, le cinéma et toutes les images et les sons que porte cet art, les sons et donc la langue, ce Japon qui dans un Jésus doux, écrasant du poing ce que la religion veut être et nous faire croire, ce Japon qui joue un peu dans la neige. Je dis en général que c’est mon deuxième pays, c’est ainsi, un amoncellement de mois, je m’en limite à ça, une donnée chiffrée, un monde vaguement connu, duquel je peux parler, dire une géographie, des paysages, des habitudes. Mais soudain, cachée dans le bruit d’une porte qui coulisse, dans le profil d’une rue bordée de maisons bleutées, ou dans la présence d’une particule à la fin d’une phrase, soudain la nostalgie.
Vendredi 10 janvier 2020
T est là. Il est venu me vêtir. De sa douceur, aussi, m’envelopper. De son délicieux accent, aussi. Alors il me demande si je veux faire un goûter, et sort de son sac une boisson chocolatée et des barres fourrées dont le goût s’accorde. Nous parlons de Noël, je parle de toi, alors t’envoie un message, disant que je parle de toi. Ainsi ton silence se rompt, comme un flottement, comme on sort joliment du sommeil, prononçant quelques phrases ponctuées de smileys sans nez.
Jeudi 9 janvier 2020
Je suis en retard de 8 minutes, optimiste 15 minutes plus tôt sur le temps de parcours. Mon appareil photo est à l’épaule quand je franchis sa porte, alors il me demande si je me suis arrêté faire des photos en chemin. Oui, je me suis arrêté. Ainsi je lui montre la silhouette de ce jeune homme devant le trumeau du porche de Saint André, juste le temps que je l’attrapasse au vol, puisque bien vite il repartit : il s’était arrêté faire des photos en chemin.
Mercredi 8 janvier 2020
Mardi 7 janvier 2020
– Moi : Alors là, elle me dit “Oh Bordeaux ? Les pauvres commerçants ! Ils étaient complètement désastré hein !”
– Lui : …
– Moi : Alors je lui réponds blablabla et puis oh mais enfin blablabla… Sainte Catherine… touristes…
– Lui qui poursuit le dialogue…
– Moi qui explique…
– Lui qui continue…
– Moi : J’ai dit “désastré” ?
– Lui : Oui.
Lundi 6 janvier 2020
“Non mais tu m’imagines, moi, faire boucherie ?” braille-t-elle soudain au type qui l’accompagne, de cette voix pincée dont les décibels néfastes brouillent le silence et ma lecture depuis que je suis monté dans la rame. Sa gouaille pourrait aller de pair avec l’ambiance parisienne du roman, mais le narrateur n’évoque pas, lui, les magasins Séphora, auxquelles l’après-guerre a échappé.
Dimanche 5 janvier 2019
Et puis c’est revenu, là, au fond, quelque part dans les tripes. Ça n’a pas été soudain, il y avait eu quelques frétillements, quelques titillements, dont quatre films en si peu de soirs sur Mubi. Hier, sur la table du bar, J avait posé le programme de la salle de cinéma d’où il revenait de presque trois heures dans le noir ; j’avais feuilleté l’objet délicatement.
Alors j’y suis allé. Avec envie.
C’était comme si j’allais retrouver un vieil ami, je voulais passer du temps avec lui, plonger dans ses bras. Il aurait dû être chinois et m’embarquer dans les monts Fuchun, il a été brésilien, et il m’a tenu, comme ça, durant 2 heures et vingt minutes. A la fin, ému, il m’a chanté une chanson d’Amalia Rodrigues. Ç’avait été beau.
Samedi 4 janvier 2020
Depuis hier, la femme de Kyushu est sur le mur. Elle tient sa chevelure devant un horizon nuageux presque absent, il vient de commencer à pleuvoir.
Nous ne parlons pas d’elle au cours du dîner. Il est pourtant question de cheveux : les miens et ceux avec lesquels mes amis luttent. Il est pourtant question d’images : moi ici ou là sur le mur d’E. Il avait pourtant été question d’horizon : on avait choisi le 10 avril.