« It’s crazy how, by eating berries, they can create this » (K, devant du fil de soie)
Le film du soir : 味園ユニバース
« It’s crazy how, by eating berries, they can create this » (K, devant du fil de soie)
Le film du soir : 味園ユニバース
Tu crois qu’il a compris qu’on voulait un gratin ?
Depuis l’Europe, les shungas, les estampes érotiques japonaises, semblent être des « objets » presque communs. Mais il n’en est rien et y consacrer une exposition au Japon est un événement (lire à ce sujet l’article de Philippe Pons dans Le Monde). Nous arrêtant devant le musée, un « Oh tiens si on allait voir ça aujourd’hui ! » nous fait pousser la porte du musée où se tient l’exposition-événement-ohlala que nous avions, de toute façon, l’intention d’aller voir. Or, c’est dimanche. A l’intérieur, c’est coude-à-coude et touche-touche – champ lexical corporel bien adapté -, et donc l’on fait la queue – hum… – à pas lent pour voir de près toutes ces images habituellement sous le manteau, un manteau duquel dépassent ici les sexes démesurés. Voilà qui change des minettes en petite culotte à la vue de tout le monde dans les supérettes… le Japon n’étant pas à une contradiction près.
Il n’était jamais venu. Son visage, sa réserve, étaient toujours là-bas, chez lui, chez eux. Ce soir, agréable surprise, il accompagnait D et K pour la projection du soir, le cercle amical et resserré dans lequel nous nous trouvons tous les quatre, ou tous les cinq si l’on ajoute A, étant tout à fait apte à l’y laisser entrer. Le film, Maborosi (幻の光), le premier Kore-eda, agréable surprise, nous emporta du côté de Wajima, village côtier dont on reparlerait ici 3 semaines plus tard.
Alors les voici épinglées sur le mur gris clair, un gris qu’on qualifiera de souris ou de tourterelle peut-être. Il peut paraître triste de sceller ainsi leur sort, définitivement objets épinglés ou épinglables, mais tel était leur chemin depuis le début, la solution technique bordelaise leur ayant donné un peu de répit. C’est de tout façon moins triste que le sort humain en général, pas le mien oh non, mais par exemple celui du personnel et des patients de l’hôpital qui jouxte la rivière et qui, depuis que les travaux ont commencé, ne peuvent plus accéder aux berges pour une cigarette, un bol d’air, quelques minutes d’envolées d’oiseaux, une vision plus verte que leur blouse en d’autres saisons.
Les Beatles, dont je n’ai pas écouté les chansons depuis une vingtaine d’années, s’immiscent parfois dans d’incontrôlables fredonnements. Ce fut le cas entre 11h50 et 14h20, le temps que le postier, qui m’avait demandé une certaine somme que je n’avais pas sur moi, revienne et puisse encaisser la somme en question, quémandée par le service des douanes après un incompréhensible pli dans la langue locale, de moultes interrogations, quelques inquiétudes et un échange de courriels semble-t-il efficace puisque, oh voilà déjà le postier.
Hey Mr Postmahahahahaaannn, chantonnai(s)-je alors, les paroles refaisant surface sans trop savoir de quel recoin de ce cerveau, qu’il serait bon de vider pour faire de la place pour le vocabulaire japonais… bref…
– Mais pourquoi tu n’as pas payé par carte bancaire ?
– Heu… Ah ben oui c’est vrai ça… Heu…
– Tu vis à l’époque d’Edo, toi…
– Non, Meiji : j’ai un vélo.
Le film du soir : 俳優 亀岡拓次, littérallement « Actor Kameoka Takuji ».
Est-ce que quelqu’un peut me dire pourquoi j’ai écrit « Atarashii kare o tsurete kitaitte » sur mon carnet ? Parce que bon… a priori ça ne veut rien dire.
Et les voici enfin, avec leur attirail et les échelles, grimpant, frottant, ça pousse et ça mousse, donnant aux vitres inatteignables un brillant tant attendu.
Le café est à l’étage, il y a de la place à la table le long de la baie vitrée ; il est déjà tard, le last order approche mais nous venons juste pour un café puisque l’on a pique-niqué, là-bas, un peu plus au nord, sur ce coin de rivière rocailleux où les berges ici ou là boueuses obligeaient à sautiller, ici ou là. Il reste encore deux tasses où l’on s’assied, celles des clients à peine partis ; on regarde la rivière, la même, et comme souvent tu me dis que ce serait bien de venir travailler ici. Ce serait bien.
Le soir un visage de passage, les années passent (treize peut-être) et le hasard fait que l’on se retrouve parfois, ici ou là. Ici ce soir.
La voici, heureuse, pour cinq mois je crois, rendez-vous devant la mairie, un verre chez Japonica, point un peu central d’une rue inévitable. Dans son sac, un Sauvignon rouge joliment emballé : « J’ai trouvé que c’était mieux que du papier cadeau. »
Le film du soir : Iya monogatari : oku no hito. Où comment être emballé par des poupées dans un village reculé puis perplexe devant un retour à la réalité urbaine.
« Y avait personne pour faire des photos ? »
Évidemment, on ressent quelques manques quand on vit ici. Le fromage, c’est la première réponse. Et puis il y a les éponges, parce qu’ici, le synthétique atteint une espèce de paroxysme dont Wikipédia vous parlerait en terme de faible pouvoir d’absorption. Certes, nos visiteurs auront remarqué l’éponge posée sur le rebord de la baignoire, une éponge dont le coloris rose éclate sur l’émail blanc, une éponge en tissu qui, voyez-vous, ne nous sied guère pour l’incontournable tâche ménagère de la vaisselle (食器 お 洗う, n’est-ce-pas…). Et là, bien sûr, vous allez me dire « Mais ça ne pèse rien, vous pouvez en mettre dans vos valises« . Sauf si l’on oublie. Et donc quel rapport avec la journée ? Le colis reçu.
Ils sont 6, sales, pelés, pastels. Au milieu, un bac à sable, et au milieu de ce bac un éléphant, autre style, mais bien connu de ma photothèque, la trompe en arc de cercle fièrement plantée dans le bac. Ils sont les frères de ces trois animaux dont l’image trône sur mon profil Facebook depuis des mois. Alors je tourne autour. Et tourne encore, insatisfait, gêné par tout ce qui reste dans le champ ou ce qui n’entre pas. Et puis un enfant passe, rieur, m’ignorant, cartable bleu sautillant. Au loin d’autres voix légères.
Je vous ai parlé des cours de danse de salon ?
Le film du soir : Sugihara Chiune, puisque vous ignoriez sans doute, vous aussi, qu’un diplomate japonais avait sauvé des milliers de Juifs durant la 2ème guerre, et que de surcroît nous étions capables de rester là, confortablement installés dans ces mêmes fauteuils rouges décrits il y a quelques jours, pour regarder ce genre de film historique.
Je vous ai parlé des cours de danse hawaïenne ?
Il y a des films de référence, qui, un jour, enfin, dépassent leur aura et quittent l’irréel pour être enfin vus. La Ballade de Narayama fait partie de ces films de référence, entre autres parce que Slow Life y faisait référence et surtout que les spectateurs, eux-mêmes, y faisaient référence. Et voici donc le film, film animal, intemporel, film, comme ça, vite dit, tellement japonais, tellement enfoui dans le Japon, dans ses saisons, dans sa négation de l’individu, dans, dans, quoi d’autres ? bref… Et palme d’or ayant « battu » Furyô au festival de Cannes de 1983, merci au jury de m’avoir écouté.
Plus tôt, soleil couchant, Kyoto baignée d’un rouge inédit. Plus tôt encore, matin, Kyoto baignée de soleil, ce petit temple au jardin accueillant et cette librairie presque parisienne, du quartier Takano, un quartier… tellement enfoui dans le Japon.
La sueur apparait d’abord sur son crane, là où les cheveux sont ras, au-dessus des oreilles. Quelques minutes plus tard, l’effet des piments est bien plus visible, et il s’éponge sans s’émouvoir, prenant du plaisir à manger ce bol de ramen dans cet agréable petit restaurant, bon et bien situé et donc à noter sur les tablettes.
Avant, ils avaient ri, comme hier, puisque les travaux durent trois jours, des rires communicatifs et bien inhabituels, ici où l’on n’entend généralement que ceux des corbeaux.
Après, l’anime du soir : Miss Hokusai.
Ils sont arrivés tôt et ont recouvert d’un film plastique opaque la grille qui donne sur la petite terrasse, exposée au nord, et dont l’usage est de deux ordres – y étendre le linge et permettre une séparation visuelle avec la pièce qui faisant jusqu’en juillet office de chambre -, un film plastique opaque empêchant que la terre retirée pour la tranchée ne vienne s’y éparpiller.
Ils sont arrivés tôt, avant que je prenne ma douche, car dès potron-minet il y fait trop froid, d’ailleurs à peine étais-je levé. Il est donc peut-être 9h30 quand, nu comme un ver, je fais quelque pas pour refermer la porte et aperçois, au-dessus du film plastique opaque légèrement retombé, deux yeux droits dans ma direction.
Comme chaque matin, elle passe en courant. Mais ce matin il n’y a pas le bruit des talons qui claquent (batabata) sur le bitume, il y a le son feutré de ses bottes fourrées sur la neige. Et plus tard le silence de la montagne.
+ Le film du soir : Life, ou l’histoire des photos célèbres de James Dean, photos qui évoquent pour moi le mur de la chambre de ma sœur, mais tout cela est une autre histoire.
Lui : 会いたかった。 会いたかった です。
Elle (très troublée) : …
Nous : Hein ? Quoi ? Qu’est-ce-qu’il a dit ? Reviens en arrière !
Puisque S nous racontait, hier, comment la fiction s’était transformé en réalité pour K (vous savez, la voisine, etc.), nous voilà partis, chez le loueur de DVD, T jaune sur fond bleu, à demander cette série télévisée – nan mais une série télé japonaise, vous imaginez ? -, série dont le nom à l’anglaise suscita une première incompréhension avant que tu n’insistes et que l’on puisse obtenir le petit boitier contenant les deux premiers épisodes.
Nous avions appris, par S et par la même occasion, que les séries télévisées diffusées sur NHK pouvait oser des sujets comme l’homosexualité ou le fait qu’une femme de 45 ans tombe amoureuse d’un homme marié de 25 ans sans révolter les annonceurs puisque la chaîne… n’a pas de pub ! Le film du soir n’aurait rien à voir, un Ume no futa (Le couvercle de la mer, ne me demandez pas pourquoi…) rentrant dans la catégorie des films japonais contemporains « bien gentillets », tendance amitié et bord de mer, après un moment rentrant dans la catégorie « cérémonie de thé à l’aveugle » bien bien plus agréable qu’on ne l’imaginait.
Le film du soir (parce que la voisine etc.) : heu… c’était quoi déjà ?
Tout se passe bien jusqu’à ce qu’elle me montre une photo d’un fauteuil double. Je comprends bien qu’on doit être s’y mettre à deux, enfin c’est évident, mais que veut-elle que je lui dise ? Est-ce que ça veut dire qu’il y a aussi des fauteuils non-double ? Elle veut juste un « oui oui » ? Cette capacité japonaise à compliquer des situations simples par des questions supplémentaires, souvent posées pour ne faire que confirmer ce qu’on vient de demander, est bien souvent totalement désarçonnant et c’est encore le cas cette fois-ci en raison d’un débit trop élevé, d’un vocabulaire trop étoffé et d’une indifférence totale au fait que je viens de lui dire que je ne comprenais rien, tandis que derrière moi la file s’allonge (mais pas encore par terre). Quand on arrive dans la salle – parce que mon « OK » a été utile ou qu’elle a fini par abdiquer ? – la surprise est de taille, d’abord parce qu’il n’y a que 5 rangées de ces fauteuils doubles (et rouges), ensuite parce que les fauteuils sont au ras du sol. Et nous voici donc confortablement affalés par terre, au milieu de quelques coussins, tendance « comme à la maison », pour le film, agréable histoire de fantômes post-horreur atomique à Nagasaki, éclairante sur certaines pratiques catholiques au Japon, avec un Ave Maria faisant ressurgir les souvenirs de Lourdes et une fin digne des plus dégoulinantes fresques baroques…
12h25. Bruit de tracteur, parfois un hurlement de chien, comme la veille. Il va déposer son sac poubelle rempli de canettes de bière, qui ne sera ramassé que le lendemain, contrairement aux directives et aux bonnes pratiques qui prévoient un dépôt le matin même. Il est, comme chaque matin d’hiver, vêtu de cette doudoune vert pomme dont je regrette moi-même l’achat en raison de la difficulté évidente de l’assortir avec d’autres vêtements, et, comme à chaque fois, il regarde vers chez nous avec insistance, cherchant à apercevoir quelque chose, tâche aisée. Il n’est pas japonais, il pourrait être français, et me voit peut-être parfois, en ce moment, cueillir des narcisses derrière chez nous et regarder vers chez lui, sans insistance.
Il porte une cravate très large, très très large, vert foncé à motifs blancs, et le nœud est tout aussi large. Il est assis en compagnie de trois amis – à leur âge on pourrait même dire camarades – et leurs activités personnelles sur téléphone mobile sont entrecoupées de quelques rires charmants. La frange caresse ses yeux, son costume est gris, le fauteuil vert-de-gris. On se demande un court moment ce qu’ils font là, dans cet hôtel que la curiosité nous a poussés à visiter alors que nous venions voir ce qu’il y a en face, le centre de congrès tout de béton bâti. Les filles, autrement habillées, de couleurs et de froufrous, nous éclairent : ils sont là parce que c’est le jour – férié ! – où l’on met à l’honneur ceux qui viennent d’avoir vingt. Le bel âge.
+ Le film du soir (parce que notre voisine est une actrice et qu’il faut se tenir un peu au courant) : おかあさんの木 (Les arbres de ma mère)
Autrefois, à une époque où ma présence en ligne était un bric-à-brac, on pouvait y lire mes réponses au questionnaire de Proust ou de Sophie Calle, laquelle demandait quelle tache ménagère nous rebutait le plus. En ce deuxième samedi de l’année, je trouvais une réponse supplémentaire : le nettoyage du rideau de douche qui a insidieusement fixé de minuscules pointes de moisissure dans son ourlet. Suivait une tache bien plus agréable, la confection de confitures de clémentine-kumquat, vous m’en direz des nouvelles…
+ Le film du soir : Furiko
Je lui tends ma carte et lui dis que c’est la première fois. はじめてです。Il me montre où sont les vestiaires, bien sûr il faut se déchausser, là-bas les douches, ici les casiers, attention à ne pas oublier le numéro, vous voyez pour la clé il faut faire faire comme ça. Quand j’ai fini de me changer, il a disparu, vraiment, non non il n’est plus là. Heureusement j’arrive à décrypter les panneaux et je me souviens du chemin suite à la visite de l’an dernier, l’escalier en colimaçon, le couloir qui longe la piscine, encore des escaliers, ça monte et ça descend pour accéder à la salle. Là encore je dis que c’est la première fois. はじめてです。Mais cette fois c’est inutile et après lui avoir demandé de parler moins vite, je comprends juste que… si je ne comprends pas je dois demander.
13h, je pensais que l’on se retrouverait en bas, et c’est finalement sa collègue, par le hasard probable d’une fin de déjeuner, qui passe devant moi, me sourit de manière aussi radieuse que d’habitude et m’invite à monter, tandis que H san, qui l’accompagne, me demande, rigolard, si j’ai bien dormi, puisque il était l’un des « deux autres » Japonais, arrivés par surprise et pour notre plus grand plaisir.
A l’étage je découvre ces lieux qu’ils me proposent pour exposer. Je réfléchis, on mesure le couloir, j’imagine, mais ça ne colle pas avec le projet, le couloir est trop étroit, le mobilier sera trop présent, l’éclairage est un peu bas. Dans la discussion du soir – était-ce avant ou après le dîner avec D qui n’a rien cassé, E qui a aimé mon pantalon et N qui ne sait pas qu’elle conduit une Daimler ? -, tu évoques un autre possible, un jeu avec le lieu, un projet qui collerait, la présence du mobilier. En effet, pourquoi pas?
Les particularités japonaises – c’est à dire surtout l’absence de réglementation – en matière d’urbanisme offrent au regard du promeneur 2015 2016 une terrifiante multitude de maisons de plastique poussant comme des champignons. Mais, pendant des décennies, elles ont aussi laissé construire des bidules géants faisant office de lieu d’habitation, hôtel… ou clinique dentaire. C’est donc vers l’un d’eux – aussi vite construits que détruits, faut-il le préciser – situé à côté de la gare de Momoyama minamiguchi (« sortie sud de la montagne aux pêches »), que l’on se dirige en ce dimanche, sans trop savoir s’il faut qualifier ces gestes architectoniques d’amusantes surprises ou de simples horreurs sortant d’esprits mégalos… bref…
… Pour compenser, nous poursuivons vers le sud, vers Uji, et le hasard nous assied dans une charmante gargotte tellement traditionnelle que l’on se demande comment elle tient encore debout, pour déjeuner – ô merveille – de soba au matcha, la nouille verte pouvant être considérée comme une amusante surprise.
Tandis que la foule des touristes se rue sur les artères commerçantes et les temples conseillés par tous les guides et accessibles par quelques moyens de transport sur ou sous terre, nous retrouvons le Manshuin, havre de paix, après un autre lieu étrangement désert, la ほりかわクリニクoù le docteur Pascher s’était fait rassurant, comme s’il copiait la leçon Assimil n°46 sans avouer pour autant que c’était probablement dû à un simple excès de nourriture. 大丈夫です。
Et nous poursuivons, dans les montagnes, pour déjeuner grassement de nourriture « locale » puis pour lui montrer ce lieu que nous aimons, cette rivière bordée de bâtiments immenses qui abritent des tronc non moins immenses, ce lieu qui, les décennies passant, ne sera probablement qu’un fantôme.
A l’aller, vers l’aéroport, c’est très simple : il suffit de ne rien comprendre aux indications pour louper l’entrée de l’autoroute et prendre la suivante, plus loin, là-bas. Au retour, c’est également très simple : il suffit d’une seconde d’inattention ou d’une évidence pour le copilote et c’est le drame : les embouteillages d’une nationale à la place de la fluidité d’une autoroute. A ta gauche cette fois, Lili, là là.
Règle numéro 35 pour se sentir un peu plus japonais : se garer en double-file.
Et se retrouver témoin de scènes de dortoirs ou de vestiaires, la jeunesse plus ou moins pubère se comparant les aisselles (entre autres parties du corps, entre autres gestes, entre autres détails qui pourraient s’étendre, mais fermons la parenthèse), dans des éclats de rire, des étonnements, des questionnements ou de franches provocations. Autour, quelques moues.
En haut, oui là-haut, dominant la ville, il fait chaud. Mais soudain la pluie. Sur les bords de la rivière, après une descente rapide et glissante, on trouve un café « parfait », un peu kitsch, douillet, température élevée évidemment, velours rouges, jazz, décoration à l’européenne, bibelots et lampes des siècles précédents, un vase derrière toi (et donc sur ces photos que je ne montre pas), le tout m’évoquant, avec le sapin de Noël richement décoré, le lobby de l’hôtel de Londres de décembre 2008, même s’il n’y avait peut-être pas de sapin. La clientèle est âgée, et peu avant midi, elle rejoindra la maison de retraite d’à-côté pour le déjeuner, sauf ce couple à droite, quinquagénaire triant des photographies, ignorant comme il se doit les signes de politesse de la serveuse tout de noir vêtue.
Plus tard le hasard de retrouver ceux que tu avais rencontrés hier à 9,2km d’ici, puis enfin Furyô. Enfin Furyô, oui, enfin.
Lorsque D m’a envoyé l’info de l’expo, j’ai pensé que c’était des photographies faites par un garçon. En arrivant dans le petit lieu, troisième étage, dehors la pluie, ce sont des dessins à l’encre, quelques-uns seulement, alors on fait vite le tour et déjà sur le palier, elle nous suit, nous demande d’où l’on vient et répond que c’est elle l’artiste.
Avant qu’elle ne me pose une question à laquelle je ne saurai pas s’il faut répondre par oui ou par autre chose, je lui dis que c’est un cadeau. Alors elle sort une jolie pochette dans une sorte de matière un peu duveteuse et je lui que oui c’est parfait. Hai, kekkô desu… qui veut aussi dire le contraire, puisque c’est parfait comme ça, mais parfait comment ? Parfait à quel moment ? Et voilà une autre question, zut, et j’ajoute un Hai sono mama, un « oui comme ça », et elle reste sur le comme ça, le « comme ça » qui pour elle veut dire « oui comme c’est déjà présenté quoi »… alors que pour moi non non c’est plutôt « comme ça » quoi… Elle repose la jolie pochette, fourre la boîte dans un sac banal, et je repars avec mon latin perdu, n’ayant plus osé rajouter qu’une simple forme de politesse et un sourire (jaune).
Et puis là haut on se dit au-revoir…
Errer. Le verbe me convient. Habituellement ailleurs. Mais cette période de Noël m’entraîne plus que d’habitude et plus que de raison dans les boutiques, petits et grands magasins (藤井大丸 is my atarashii paradise), et jusque dans les cabines d’essayage, en vain malgré le bleu et le confort de ce blouson, en vain malgré la joliesse de cette chemise, en vain malgré l’insistance du vendeur (prononçant Henri Cartier-Bresson avec difficulté et adorant Mario Giacomelli) qui me permet néanmoins d’essayer d’improbables space-shoes de chez Y3. Et te voilà, alors on s’y entraîne mutuellement, puisque te voilà, entre obligation et hésitation, puisque me voilà, ne l’as-tu pas senti ?, entre hésitation et hésitation… Quoi ça ne te plait pas ça ? Et n’oublions pas de remettre la palme du vendeur du jour à la personne mega-gender de chez Vivianne W, même si je l’ai un peu obligé(e ?) à ranger la cabine avant d’essayer ce pantalon en velours rouge pas cher mais trop slim car je n’ai plus 25 ans (même si, en relisant ce qui précède, je me le demande…).
Oh bien sûr on pourrait sourire pour la robe. Mais après tout, c’est Noël. Et puis on ne rit pas en écoutant Listz ou Ravel.
De toute façon on ne rit pas du tout aujourd’hui après la triste nouvelle du matin, qui se teinte presque de conditionnel, comme si l’incompréhension et le peu d’informations précises pouvaient effacer la mort. Je l’avais rencontré deux fois cette année, et auparavant son nom revenait souvent. Il restera la joie d’une photo ensemble, de jolis souvenirs attablés, et ces trois pendules arrêtées.
« Quand nous mourons dans l’opacité africaine, sur des rafiots birmans croisant en mer de Chine ou dans l’enfer glacé de Madagan, nous ne mourons pas, hommes, comme des chiens, nous sommes des chiens et comme tels nous mourons. Mais quand nous mourons là où l’esprit occidental a placé son centre de gravité et dicte son temps au monde, nous mourons comme des chiens parce que nous sommes des hommes et que les hommes ne meurent pas dans la rue abattus comme des chiens mais dans leur lit, paumes ouvertes. Les heures ne sont pas les mêms pour tout le monde, la chronologie est une fiction. Une balle à bout portant tirée en pleine rue.«
Mathieu Riboulet ; Entre les deux il n’y a rien.
Après avoir croisé son regard et son chemin, je le suis car nous allons dans la même direction, là-bas, au bout du couloir où sont les toilettes. Il dégage quelque chose d’un peu condescendant, même de dos, derrière cette coiffure savamment travaillée et il marche avec l’air assuré des adolescents qui trainent fièrement leurs chaussures trop lourdes, le port altier, tapotant sur un téléphone portable relié aux oreilles par des écouteurs. A peine arrivé devant l’urinoir, il laisse échapper le téléphone qui tombe, poum, sur la céramique probablement à peine rincée par la chasse d’eau précédente. Se déclenche alors chez moi un rire que je cherche à cacher, mais je sens qu’il tourne un peu la tête vers moi, je devine qu’il voit mon rictus et les soubresauts de mes épaules… Lorsqu’il quitte ce couloir blanc, croisant mon regard rieur car je t’attends à la sortie, il poursuit son chemin en trainant ses chaussures trop lourdes, l’air de (presque) rien. Et te voilà : « Pourquoi ris-tu ?« .
Devant le théâtre de kabuki, c’est un autre genre de spectacle que celui qui se déroule en général à l’intérieur : deux grosses mascottes – un peu ridicules ou amusantes, c’est selon -, et des (personnes déguisées en ??) policiers qui distribuent des mouchoirs. Michel, avec qui nous avons rendez-vous, interrogent les policiers – puisque ce sont réellement des policiers – et nous apprenons qu’ils font campagne contre les yakuzas. La police plutôt que les yakuzas, voilà qui nous semblent plutôt justes, et le policier nous donne, ravi, un deuxième paquet de mouchoir, dans lequel on découvrira plus tard qu’il y a aussi un petit sac en plastique multi-fonction, puisque le policier lutte contre les yakuzas, pas contre la sur-consommation de plastique.
Le documentaire du jour, 犬に名前をつける日, nous entraîne du coté de Fukushima, où certains animaux, chats, chiens, vaches, errent bien tristement. Mais comment on dit « Ouaf Ouaf ! » en japonais ?
S’éloigner, puisque la clémence du temps le permet. L’idée d’aller plus loin est toujours un peu freinée, bêtement, par les quelques taches habituelles ou pas, qui attendent à la maison, mais qu’importe. Regard sur un plan de la ville, chercher ce qui reste accessible avant de partir au hasard, imaginer ce que l’on peut contourner dans ce recoin aux côtes parfois abruptes, voir depuis Google maps les aires de jeux non visitées même si c’est toujours le hasard qui m’a fait trouver les plus intéressantes, séparées du ciel par quelques arbres souvent, encaissées parfois. C’est vers le sud que je vais d’abord, trouver cet endroit aperçu depuis le bus, il y a déjà longtemps, arrêt Senbon-Marutamachi, vous voyez? Vers l’ouest ensuite, explorant ce quartier résidentiel avec, pour presque unique bruit de fond, le train qui passe, cette ligne qui va vers là-bas, Arashiyama et puis plus loin encore, pourquoi ne l’avoir jamais prise ? Il va falloir aller là-bas, je dis « falloir » comme si je n’en avais pas envie, c’est idiot, aller là-bas, encore plus loin, pour ne pas quitter Kyoto avec le sentiment de n’avoir rien vu, pas assez vu. Car le temps passe.
Et puis le soir on retrouve ce bar, tu n’y étais pas revenu je crois, moi si, mais il faisait beaucoup trop chaud, tu sais combien les Japonais, si je dois généraliser, n’ont qu’une vision très restreinte des économies d’énergie quand il s’agit de climatisation ou de chauffage. Les murs de céramique sont toujours là, toujours les mêmes, les mêmes qu’avant et les mêmes qu’au bain, plus loin dans la rue.