Samedi 29 novembre 2019

Transformé, T nous accueille dans cet antre chaleureux où les tapis se chevauchent, les flamands sont d’une feutrine respectant la couleur d’origine sans avoir ingurgité la moindre crevette et la petite chambre sert de cabine d’essayage pour définir si oui, le XS grignote les aisselles. Une contrepèterie oserait peut-être demander ce que le XL fait aux aigrettes, mais tandis que le lecteur chercherait un verbe inconnu, on passerait aux jeux, dans ce qui semble être un moment venant d’outre-Manche, entre flegme et humour bien à soi, donnant aux franchouillards de quoi presque rougir.

Vendredi 29 novembre 2019

Sur les réseaux sociaux, il montre une image où l’on voit son père, de dos, marchant. Son père est, depuis, parti, parti comme dit dans un euphémisme douloureux. M et moi nous connaissons depuis 10 ans, presque jour pour jour. Je suis soudain dans le rôle du lecteur qui découvre, chez celui qu’il connait, une sensibilité, un phrasé et le besoin de dire. Dire ce qu’une image et un panier rouge de plastique ne disent pas.

Jeudi 28 novembre 2019

Tu avais noté que ce serait un 28. “Hé tu sais que…” avais-tu écrit. J’avais aimé que tu regardes ainsi les jours, dans leur numérologie cyclique, comme moi j’aime le faire, juste pour dire, comme ça : “Tiens.” Parfois ils m’offrent un élan pour l’écriture, je m’y accroche. Comme aujourd’hui.

Mercredi 27 novembre 2019

Elle domine le village, lui-même haut perché avec ses raidillons coupe-jarrets, ses monte-à-regret cabrés vers le ciel, l’emmêlement têtu, le ruissellement gris bleu de ses toitures d’ardoises, ses étagements de balcons, de tourelles en encorbellement arrimés aux redans du rocher, avec l’ample retombée de ses jardins en terrasse, ses volées de marches dévalant la pente, impatientes de se faufiler au milieu du quant-à-soi des vergers, entre les hauts murs de granit, gainés de mousses et de lichens, alourdis par le débord cornucopien des arbres en espalier, la plénitude tentatrice des reines-claudes, des figues fleurs, des sanguinoles ou des pavies, tunnels d’ombres et de feuillages le long desquels on dégringole en criant à tue-tête pour déboucher enfin, hors d’haleine, échevelés, les joues en feu, au milieu des éclats de rire des berges, des courses trébuchantes sur les bancs de galets, face à l’éclaboussement des corps nus dans l’eau froissée de soleil.
::: Christophe Pradeau ; La Grande Sauvagerie

Mardi 26 novembre 2019

Parfois, malgré tout, on s’échappe. Ainsi me parle-t-il de ce voyage qui a changé sa vie. Parce qu’il n’y avait rien, rien de tout ce qui peut nous détourner de ce qu’il faut regarder ; simplement ce qu’il faut, et puis le hasard d’une présence.

Dimanche 24 novembre 2019

Le boulot était un horreur, donc l’univers me devait un cadeau.” m’écrit N en me parlant de V, avec cette approximation sur le genre du mot et cette construction de phrase correcte mais avec ce je-ne-sais-quoi de fragile. Peut-être est-ce parce qu’en le lisant j’entends sa voix, une hésitation, et son sourire qui laisserait à peine le temps au point de s’installer à la fin de la phrase. Quelques lignes de dialogue plus tard, il ose un regard amusé sur le temps qui passe et sur ce que, de soi-même et de notre jeunesse, l’on retrouve chez d’autres tel que V.

Lorsqu’il m’est venu à l’idée de prendre rapidement des nouvelles de N, je venais de brancher la clé USB intitulée AU REVOIR, dont j’espérais à nouveau lire le contenu, puisque un incident technique récent m’a fait découvrir quelque solution pour récupérer des fichiers perdus. Je n’ai jamais jeté cette clé, devenue illisible loin d’ici, il y a deux ans, chez P, là où il ne pleut jamais et il y aurait tant à dire sur le fait d’avoir là-bas, avec lui, perdu ce que C m’avait donné deux mois plus tôt. Je n’ai jamais regardé entièrement le film qui s’y trouve, mais j’y sais la voix de Duras (et qui d’autre ? Yann Andréa ?) et j’y sais C et moi qui nous jetons des boules de neige dans un ralenti qui tentait peut-être, dans un étirement douloureux, de faire encore durer notre relation. Quelque chose du bonheur de notre histoire se trouve dans ces images en mouvements prises un soir d’hiver et je crois, en y pensant, encore entendre son rire. Ces images pourrait rejoindre cette photographie que j’aime tant, où C court dans la neige, chez J. Il s’éloigne, entouré de blanc, dans un flou de mouvement. Je ne sais pas exactement ce qui me pousse à garder cette clé et vouloir – ce sera vain cette fois encore – en récupérer le contenu. Je ne sais pas si c’est la curiosité, le respect pour C, l’idée que cela pourrait générer quelques lignes ici… ou simplement le besoin de me débarrasser de ce film fantôme et de l’affronter enfin.

Le hasard avait fait se rencontrer N et C dans un bar du marais, et les voici donc à nouveau réunis dans un même moment de ma vie, ce dimanche après-midi, distants cependant d’un saut de ligne. Plus tôt j’avais mangé un feuilleté débordant du souvenir d’A, et le petit Totoro offert par P avait fait signe au milieu du bazar du bureau.

Plus tard, le soir venu, Serge, puisque parfois les prénoms se donnent entièrement, me fera changer la lumière, ne supportant pas l’ampoule nue au plafond. Comme C.

Samedi 23 novembre 2019

Alors nous voilà, nous esclaffant en descendant du tram, légers et joyeux, peut-être un peu grisés par le vin et les usagers qui nous regardent amusés. Le trajet n’est alors pas la plus courte des lignes droites, mais finalement nous arrivons, dans cette ambiance heureuse d’un samedi soir fiévreux où l’on attend pas que les bides gisent.

Mais bien vite on oublie ce jeu de mots — et en écrivant soudain je repense à l’amie d’A, à cette terrasse de Sébasto où avait crissé un siège et la distance entre nous, qui racontait que son temps préféré était le présent de narration — et l’on revoit T, L, R, E, V, I qui se fait appeler J, etc., etc., ribambelle de visages, soudain l’un barbe pailletée, puis l’autre bonnet-d’âné, etc., etc., qui sais-je encore, et puis nous, revenons à nous, sautillant pendant Corine, slowant dans – je cite – le meilleur moment de la soirée, nous séparant trop tôt, mais J tangue un peu trop. Alors, dans cette forme de solitude au milieu d’autres, spectateur resté là dans mon blouson trop chaud, je regarde la foule. C’est La Bordelle. Et j’aime ça.

 

Mercredi 20 novembre 2019

Elles sont assises, là, juste en face. Nous sommes montés au même arrêt. Je les avais doublées en arrivant sur le quai ; l’odeur de la cigarette m’avait frôlé. C’est la mère qui fumait, la mère dont les yeux sont maintenant rivés sur son téléphone. Alors la voix annonce “Hôtel de police” et la petite fille, de sa voix fluette, dans un léger mouvement de tête :
– Ah si on voulait porter plainte ce serait là ?
– …
– Maman ?
– …

Mardi 19 novembre 2019

La foule attend que la fusée se détache de terre, et c’est peut-être là que le film décolle. Peut-être même que c’est là que, moi-même, je suis pris dans un même mouvement ascensionnel, pourtant scotché au fauteuil bleu. Les gens, là, des femmes blondes et des militaires, des inconnus ayant aligné leur mobile-home et sorti leurs jumelles, attendent.
Une heure et demi plus tard, en liesse, une autre foule, faite d’autres gens, dans un autre ailleurs, au milieu des buildings et des confettis, accueille les héros de la mission Apollo 11, dans des couleurs et un mouvement époustouflants tandis que sur scène trois musiciens continuent de nous envouter de leurs nappes.
J’étais venu vaguement à reculons, un peu obligé, un peu curieux, un regard sur l’horaire, l’autre sur le vide de mes sorties culturelles bordelaises tous les soirs de cet automne. Et puis, durant 1h40, je viens de retrouver ce truc qui s’appelle le cinéma. Alors j’apollodis (jeu de mots avec Apollo et applaudis mais je sens bien que c’est un peu opaque).

Vendredi 15 novembre 2019

Gustawa Goldwag, sa mère, l’avait aussitôt convaincu de s’inscrire en droit à l’université. Bernard, son fils aîné, que tous appelaient Berl, finissait ses études de médecine, et Gustawa, en bonne mère juive, rêvait d’un fils médecin et d’un autre fils avocat. Mais Vicente, lui, rêvait d’un autre horizon, d’un horizon plus lointain et plus vaste que celui qu’offrait ce vieux continent, que menaçait déjà le malheur.
::: Santiago H. Amigorena ; Le Ghetto intérieur

Jeudi 14 novembre 2019

Il m’attend, j’ai mal lu, je fais un détour, me voilà, il m’attend. Nous n’avions pas vraiment pris le temps de parler lorsqu’il m’avait invité chez lui : il y avait foule. Foule relative mais disons foule, ses invités étaient assis, une vingtaine peut-être déjà arrivés, oh oui, une bonne vingtaine. Je crois qu’il avait fallu faire la bise à tout le monde, dire mon prénom, oublier le leur. Nous n’avions pas vraiment parlé, peut-être parce que j’étais dans ce sentiment qu’il me fallait trouver ma place, là, debout, me resservant un verre de vin de temps en temps, ni à l’aise ni mal à l’aise, juste pas trop au bon endroit au bon moment.
Nous voilà, un bar, une pinte, quelques cacahuètes, meilleur endroit, meilleur moment, évoquant notre relation commune, cette soirée, pour en venir à ce qui nous relie, la photographie, les projets, les envies, les idées, les expériences, les hasards, les rencontres, l’heure file, on m’attend, il vient, il n’a rien à faire alors on va voir, là-bas il y a les autres, on regarde, on commente mais pas trop, le vin est un peu bouchonné, le lieu aussi : il y a foule.

Mercredi 13 novembre 2019

Les sachets trainent dans les placards depuis tant de temps : la date de péremption est péremptoire. Je me dis qu’après tout, ça peut changer un peu, et puis ce sera chaud. Alors je fais bouillir de l’eau, j’ouvre le premier sachet de poudre et de minuscules morceaux de tofu lyophilisés comme de petits bouts de céramique blanche échappés d’un souvenir lointain, j’ouvre le deuxième duquel j’extraie la pâte marron, sproutch serait l’onomatopée mais c’est silencieux, je verse l’eau bouillante. Je laisse refroidir, c’est beaucoup trop chaud, et puis les minutes passent, voilà, je goûte. Bam. C’est le Japon qui revient, là, sur les papilles, ça enveloppe, on ne pourrait pas vraiment dire si c’est bon ou mauvais, c’est au-delà de tout : c’est ailleurs.

Vendredi 8 novembre 2019

Tu attends. Tu crois que je te prends en photo mais je te filme. Les sourires que tu esquisses en parlant, puisque tu parles pour rompre la gêne, sont une délicieuse craquelure. Te voici donc ici, déjà hier on voyait ta main, là nous prenons un café. Tu l’allonges, je le double.
Hier ta main agrippée à la couverture rouge, aujourd’hui ton regard porté sur l’Espagnol en blouson chaud, seul, là, en face. Ton regard parfois sur moi. Tu m’accompagnes, de même que je t’accompagne : pour nous deux c’est la première fois. La Sainte Chapelle n’était que ce qu’on nous avait dit sur elle, que ce que l’on avait déjà vu. Réelle, devient-elle. Wow, t’esclaffas-tu.

Et puis M, un comptoir, et puis S, retrouvailles aussi. Avenue de l’Opéra une femme chute, je l’aide à se relever, on s’assure que rien n’est tombé de ses poches.
Elle a perdu quelque chose ?, demande une jeune fille.
Oui l’équilibre, réponds-je.
Je ris.

Ce vendredi comme un nouveau départ ? Peut-être que je m’élance, le Japon à nouveau m’appelle, les hommes de là-bas m’enveloppent de leur humilité, le vieux Monsieur m’embarque à Ueno, et le dîner avec Nigel part vers les steppes, les confidences et les souffles des autres mondes. Pas plus inatteignables. Juste non attendus.

Jeudi 7 novembre 2019

J’ai, un peu plus tôt, laissé N au milieu des travaux qui bordent le MacVal, lui sur son vélo, moi dans un mouvement vers ce nouveau rendez-vous avec toi, cherchant à te déplacer, à me glisser un peu plus loin de toi dans le crissement d’un pied de chaise à une terrasse du boulevard Sébasto, à te donner une autre place et laisser l’espace pour un autre dans cet affront qu’est le réel.
Ce n’est pas si mal, dis-tu. Tu viens de faire la liste de ce qui t’occupe et t’emporte. Tu es radieux dans ton pull rouge, tu sembles léger, heureux, peut-être enfin débarrassé de ce qu’il n’y a plus besoin de dire puisque nous prenons d’autres habitudes. Bientôt ta collègue arrivera, radieuse, solaire, bouche éclatante d’un rire généreux.

Dimanche 3 novembre 2019

Le Rêveur de la forêt” s’appelle l’exposition. Elle me fait découvrir le musée Zadkine, bijou caché rue d’Assas, caché dis-je car jamais visité sans trop savoir pourquoi, peut-être pour dire tôt ou tard qu’il reste tant à voir ici. Nigel surtout me fait découvrir le musée Zadkine, comme déjà Rodin ou Picasso, m’entraînant dans sa soif par ce moment se terminant délicieusement par le film La Forêt des gestes, d’Ariane Michel.
De la forêt, alors, on passerait à Marie. Des amis, peut-être, chantonneraient. Avec d’autres, japonais, on dînerait.