Jeudi 1er octobre 2015

Je ne m’attendais pas, en lisant le discours de Kenzaburo Oé lorsqu’il reçut le prix Nobel de littérature, à découvrir que l’une de ses références était le conte de Nils Holgersson. J’ai 10 ans, le dessin-animé tiré du conte passe à la télévision chaque samedi après-midi et c’est sur le matelas épais et l’édredon fleuri de ma grand-mère que je regarde avec émerveillement l’histoire de ce garçon et des oies sauvages. J’ai alors rêvé, les années qui ont suivi, comme l’enfant devenu minuscule, d’être emporté au dos d’une oie dodue pour voir le monde… rêve bien plus accessible que de tuer des monstres interplanétaires en Ulysse du 31ème siècle.

 

 

Mercredi 30 septembre 2015

Après l’exercice bimestriel de japonais (1h15 chez le coiffeur, rien que ça), je file vers les étagères de l’Institut, desquelles j’extrais quelques ouvrages desquels j’extrais quelques notes, deux haïkus et le sentiment que le temps va manquer pour tout lire, tout retenir, tout apprivoiser ; une vie ne suffit pas. Enfin d’autres étagères, de bois (précieux ?), livres d’art, verre de Sauvignon.

Lundi 28 septembre 2015

« I’m wondering if they can fit the building…because they are a big group… »

Soleil. La terrasse parisienne serait bondée, on s’y battrait pour une place, même au bord d’un boulevard bruyant. La terrasse kyotoïte, en bordure de rivière, vision sporadiquement troublée par une voiture roulant lentement, est vide. Il n’y a qu’une table et deux chaises, et la dizaine de clients est à l’intérieur, où la climatisation ronronne et me fait frissonner lorsque je vais payer et qu’elle me fait remarquer, dans un sourire, qu’aujourd’hui je suis seul.

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Dimanche 27 septembre 2015

Le parfum offert hier par J, une fois sur moi, m’évoque immédiatement celui qui le portait. Il me poursuit toute la journée, accompagné d’un sentiment nostalgique et triste : c’est comme si j’entendais son rire par-dessus la musique, comme s’il était là, assis dans un fauteuil Voltaire, deux doses de Ricard dans un peu d’eau et un paquet de Rothmans.
Mais plus tard, nuit tombée, nous trompant de bar pour justement retrouver J, c’est le fou rire qui vient ; il en aurait ri aussi, doucement moqueur, de cette femme assise là, devant son petit écran.

Concert Rhizottome - Yokai Soho - Kyoto 150927-DSC_9595

Samedi 26 septembre 2015

Lors du dîner dans ce restaurant à l’ambiance curieusement parisienne qui fera grincer certaines dents, dont les miennes, étant donnée l’attitude (… remplacer par l’adjectif de votre choix …) des serveurs, lors du dîner, donc, la voici, Japonaise plus française que certains d’entre nous, qui raconte son pays, c’est à dire un certain de côté de son pays, un des plus sombres actuellement, ce jusqu’au-boutisme nationaliste pour sortir le Tohoku du marasme.

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Mercredi 23 septembre 2015

Ôhara. Nous revoici là, bar désuet, toucher du velours et odeur poussière, mais la femme n’a plus les cheveux violets. Le souvenir date probablement de juillet 2012, mais je ne creuse que dans mes souvenirs et pas dans les pages de ce journal. Alors d’autres lieux reviennent, ce petit restaurant au nord de Kibune, loin, lieu imprécis précédé, j’en suis sûr, par le doublement d’un taxi avec deux geishas à bord. Parmi tous ces lieux d’autrefois et de maintenant, nulle image dans ma sélection bordelaise. Ils s’accumulent, attendant leur tour.

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Dimanche 20 septembre 2015

Nous sommes, de nos ancêtres, les fantômes de chair. Ils se servent de nos corps vivants pour hanter ce monde. Et nous voici, éperdus de tous ces morceaux dont nous sommes faits, et auxquels il convient de donner une apparence unique, cohérent et entière. Nous promenons nos corps constitués des bouts des uns et des autres à la recherche d’un principe qui les fédère, et que nous appelons moi, les jours de bravade, quand en réalité tout cela bataille en nous, tous ces ancêtres dont chacun voudrait avoir la préséance, faisant pression sur nos mimiques, et sur nos pensées peut-être, toute la horde des aïeux qui n’acceptent par plus de disparaître que les spectres des contes, et qui colonisent nos corps, pour durer encore, à leur façon.

Christine Montalbetti ; Love Hotel

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Samedi 19 septembre 2015

« Ouais ben tout l’monde fait pas Guernica« , dis-tu. Je souris.

(Et Théodore Duret, Hiroshima, l’horreur décrite qui démontre qu’une petite légende vaut parfois mieux qu’un étrange dessin, la tristesse d’un musée vide et d’un restaurant de musée d’art contemporain au mobilier ringard et donc hors-sujet, les retrouvailles, les images belles ou drôles de Judith Cahen, les longues discussions autour d’une bière, puis d’une deuxième, puis d’une troisième, puis…)

150919-DSC_9138 Jean-Luc Vilmouth - Hiroshima Art Document Ange Leccia - Shuhô - Hiroshima Art Document Bank of Hiroshima

Vendredi 18 septembre 2015

Alors, entre mes mains, l’improbable : une cruche datant d’environ 1800 ans. Je m’inquiète que mes doigts en soient pas encore tachés de la viande mangée plus tôt, et prends toutes les précautions possibles pour ne pas faire tomber l’objet ; vous me connaissez… La suite est moins ancienne (plusieurs siècles cependant) : masques de nô, rouleaux où défilent monstres et dessins érotiques. Mais l’émotion est là, forte, troublante, peut-être parce que les esprits qui hantent ces objets ne dorment pas.

 

Mercredi 16 septembre 2015

Tout d’abord ce n’est rien, un mouvement insignifiant, quelque chose comme une fêlure sur l’ivoire d’un mur, une craquelure sur un os. Je ne sais pas comment je m’en aperçois, une babiole peut-être qui bouge, les bibelots qui s’ébrouent près de la baie vitrée, quelques points de poussière dans la lumière de l’air. Silencieusement, subtilement, cette chose se développe et suit son cours, elle circule sans relâche.

Michaël Ferrier ; Fukushima, récit d’un désastre.

Mardi 15 septembre 2015

Et c’est donc en voyant une sauterelle au mimétisme presque parfait agrippée à une tige, que l’état rogné des fleurs fut expliqué.

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Lundi 14 septembre 2015

Je regarde ses yeux, à quelques centimètres des miens, proximité inédite, presque troublante. Elle regarde mes dents, débitant au fur et à mesure de son avancée dans l’exploration de mes gencives des numéros en japonais et en anglais, cette langue indo-européenne semblant fournir, par sa prononciation à la japonaise (ouane, tou, souri, foh, faïvu, sikousou…) des références purement médicales et n’étant donc nullement liée au fait que l’homme, profession dentiste, lui avait demandé de parler en anglais pour faciliter notre conversation, homme de bleu vêtu tandis qu’elle portait une blouse en tissu assez épais d’un vert presque inexistant, homme dont les yeux, tout aussi noirs, au-dessus (ou en-dessous, vu de ma place) d’un carré blanc recouvrant une grande partie de son visage, étaient un peu plus tôt tout aussi proches – proximité inédite, presque troublante – pour l’inspection de mes dents, me permettant une nouvelle remarque sur le fait que les hommes ici se taillent les sourcils et que lui, de surcroît, les épile partiellement (peut-être même en comptant ouane, tou, souri, foh, faïvu, sikousou…).

Un peu plus tôt, j’avais revu le cochon rose.

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Dimanche 13 septembre 2015

On sonne. Quand j’ouvre la porte, l’homme devient figé, bouche bée, aucun son ne sort de sa bouche face à mon visage souriant, frisant de plus en plus l’éclat de rire au fur et à mesure que la scène, semblant durer une éternité, se prolonge. Son « you speak english ? » finalement bafouillé ne sert alors à rien, puisque qu’il se met à me parler en japonais, nous laissant 1 semaine pour répondre à ce questionnaire de recensement.

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Samedi 12 septembre 2015

Quand la ville arrive, bien que ses paysages me captivent, je plonge dans le livre à la couverture blanche, comme si ce n’était pas le jour pour autre chose que les montagnes et la mer, des dentelles de rochers, ce Pacifique plus bleu que tout, l’horizon net baigné d’un soleil franc, les toits aux éblouissantes tuiles vernissées… et ce bar à Katsuura frappé par mon fou rire.

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Vendredi 11 septembre 2015

Ton anniversaire, ce jour, raison principale de notre venue ici, ce port, cette baie et derrière le Pacifique. Ciel bleu, légère brume là-bas. Grincement du ponton, chant des rapaces qui commence dans un trait et finit en modulation, onomatopées des corbeaux, bruissement des branchages lorsque les singes s’y promènent, cri d’un héron cendré ou d’une mouette. En face, au-delà des vagues, les verts se multiplient, les voici encore baignés de lumière en cette fin d’après-midi, lumière rasante qui dorait déjà, à notre retour de la plage, les bétons, les bouées, les rouilles ou le large chapeau du pêcheur.

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Jeudi 10 septembre 2015

Je vous ai invité parce que je trouve que vous devez avoir vu cela, même si vous vous ennuyez.

Junishirô Tanizaki ; Le goût des orties.

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Mercredi 9 septembre 2015

Correspondance. Le typhon a annulé quelques express, et ce n’est pas à Owase que l’on change de train, mais à Matsusaka, plus tôt, plus au nord, plus loin de la mer. Le boulevard qui fait face à la gare est bordé d’arcades vieillissantes, de façades décrépites, d’abandon, de l’absence totale de renouveau sauf cette petite boutique de céramiques et de thé s’employant avec gentillesse à nous faire acheter quelque production locale. Il règne une atmosphère sinistrée, une immense tristesse et les fantômes d’une certaine jeunesse partie pour les grandes villes nous regardent sûrement en souriant, tandis que l’on déjeune au-dessus de l’office de tourisme – puisque il y en a un – dans un café 40 ans d’âge (peut-être moins, peut-être plus) encore dans son jus. 800 yens le repas du jour.

Quelques heures de paysages plus tard, nous voici arrivés à destination, Mikiura, village de 600 âmes sur une baie qui lui donne son nom. La vue depuis notre guesthouse est magnifique ; heureux les singes qui en profitent tout au long de l’année… Mais ils font comment, les singes, pour faire leurs courses ? #mamieSupérette.

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Lundi 7 septembre 2015

Il reste encore des expériences à faire au Japon, comme celle d’aller chez le dentiste, mais je ne sais pas, alors, que le rendez-vous suivant sera encore plus intéressant. Le reste de la journée fournira un autre lot d’inhabitudes : transformer la chambre en bureau et le sous-sol en chambre, déjeuner entre amis et aller ensuite à Osaka fouiller dans les occasions du rayon photo et ordi, avec en passant à Fushimi l’image furtive d’une petite fille sur une balançoire à travers la vitre du train, ce qui signifie qu’il y a là un jardin d’enfants au bord de la voie ferrée et donc peut-être une image à faire.

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Dimanche 6 septembre 2015

Alors, au lieu de « devenir autonome », je lis « devenir automne ». La pluie aurait cet effet là, aussi, de nous rendre poète malgré nous ?

Bref… Vous reprendrez bien un petit cake ?

Vendredi 4 septembre 2015

L’étonnante absence de rapaces à Demachiyanagi mais des libellules, telles toutes celles qui s’agitent au-dessus du champ en face de la maison pour faire concurrence aux oiseaux. Le visage rieur qui nous avait accompagné à Teshima et les éclats de rire du déjeuner. Les ouvrages compulsés à la bibliothèque de l’Institut français pour chercher la lumière et rire en feuilletant une nouvelle fois ce joli « Au Japon ceux qui s’aiment ne se disant pas Je t’aime ». L’exaspérante petite musique en boucle pour acheter des kiwis au supermarché. Et Augustin Berque.

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Jeudi 3 septembre 2015

Alors, décidant d’économiser environ 200 yens, j’achetai un passe métro pour la journée répondant au nom poétique de 京阪市地下鉄1dayフリーチケット, incluant donc pas moins de trois « alphabets » sur les 4 avec lesquels la langue japonaise jongle au quotidien, sans qu’on sache pourquoi a eu l’idée de coller ce « 1day » en anglais entre les kanjis (métro de Kyoto) et les katakanas (free ticket), sans qu’on sache d’ailleurs, en définitive, pourquoi la langue japonaise fait tout pour nous compliquer la tache dans son apprentissage et son usage.

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Et aussi : du moisi, le plaisir de déjeuner avec Nath W, la pluie, la perte du passe durant le deuxième trajet en métro réduisant à néant l’économie de 200 yens avec une dépense finalement plus importante et le tirage de 157 photos format carte postale.

Mercredi 2 septembre 2015

Dès qu’un endroit n’est pas très propre on se dit que « ce n’est pas très japonais, ça ». Ce n’est pas très japonais, là, sous et sur ce banc. Pourtant je m’y assieds ; plus loin ce n’est pas mieux. De l’autre côté de la rivière, un son de shamisen, derrière moi le fleuriste où, quel dommage !, ils ne vendent plus ces plantes aux feuilles en forme de papillon, fleurs-avion envolées, et dans le ciel pas un oiseau.

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Dimanche 30 août 2015

La maison avait été l’objet d’une description lors d’un déjeuner puis sur trois pages. Dans la lueur du soir qui, décidément, est le sujet du moment, — la lumière ! la lumière ! —, on visite cet endroit rempli d’histoires et — disent-ils, ils les ont entendus, c’est certain — de fantômes. On reviendra sûrement de jour, quand les fantômes sont plus discrets, pour désherber proposè-je, sans savoir que la semaine filera aussi vite que les autres. On reviendra sûrement de jour, avec plaisir, pour parler de quoi, de tout, d’économie, de la mousse, des pins et de l’ombre peut-être encore.

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Samedi 29 août 2015

Dans leur maison, transformée en mini marché aux puces, la pénombre est de rigueur, mais l’adjectif sombre ne sied qu’à la lumière, car les rires sont nombreux. A l’étage, une lueur inconnue m’interpelle, là-bas, en face, au faîte du mont Hiei. On s’interroge, bien sûr, incendie ou quoi, jusqu’à ce que tout s’éteigne et que, soro soro, l’on reparte, vers le bain.

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Le mot du jour : hashira (poteau)

Vendredi 28 août 2015

Alors au détour d’une recherche, je m’enfonce dans des dossiers recopiés à la hâte il y a 14 mois. Des gigas et des gigas encore sur cet ordinateur croulant sous les images et les images, souvenirs de 2011, 12, 13, des rues à Prague, des murs à Nogent, de la brume dans la Somme, des vaches en Saintonge, dont je ne peux, semble-t-il, m’éloigner. Et puis te voilà, comme sortant de l’écran, rapportant d’Onomichi des ginkan daifuku* croquant comme un soleil. A propos de soleil, vous avez vu cette pluie d’orage qui m’est tombée dessus ?

* Pâte de riz fourrée au kumquat confits

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Jeudi 27 août 2015

Le cabanon est une structure légère presque invisible, toiture métallique largement teintée de rouille. Posé sur l’herbe d’un vert pluvieux, il abrite un long tuyau jaune enroulé et un récupérateur d’eau de la même couleur, assorti également à la zone podo-tactile à droite. Un seau bleu ciel et un panneau de signalisation d’un bleu plus soutenu complètent la gamme de couleurs d’une scène à dominante neutre puisque l’on peut voir des serres en second plan et plus loin des maisons marronnasses – permettez-moi l’ajout de ce suffixe – au toit anthracite. Le ciel est à peine bleu, et c’est bien le problème car j’attends que le soleil, situé à ma gauche, veuille bien apparaître afin d’éclairer un peu le dit cabanon et d’offrir un peu de relief à tout cela. L’attente est finalement trop longue et je pars en maugréant après cet interminable nuage, tandis que les démangeaisons perdurent ; quelques minutes plus tôt, en tongs de rigueur pour pédaler en liberté, je me réjouissais pourtant, les pieds dans l’herbe d’un parc, de ce tableau noir (plus très noir), de ces parasols hommage à John Batho et de ces girafes multicolore tendance camouflage.

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Mercredi 26 août 2015

Voici qu’alors à peine assis mais déjà plongé dans le petit cahier de japonais, le bus tourne à droite, chemin inapproprié et pour cause, ce n’était pas le bon bus, dans lequel j’étais monté par un mélange de bêtise et d’inadvertance et pourtant avec l’improbable certitude que l’un ou l’autre c’était pareil.

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Mardi 25 août 2014

J’attends alors que la pluie cesse, ou à défaut qu’elle ne soit plus que gouttelettes. Au bain, comme si la pluie y était pour quelque chose, la zone habituellement habitée de quelques deux roues est étrangement vide, et une femme me conseille plutôt de me garer là, à l’intérieur, un peu plus à l’abri. Une fois à l’intérieur, une majorité d’Occidentaux au babil nederluxien : deux barbotant à l’extérieur et surtout un groupe de quatre aux serviettes de bain disproportionnées et aux va-et-vient grégaires, comme aimantés, dont l’un semble handicapé d’un tic sonore qui m’attriste, imaginant les difficultés liées à ces grognements en pointillés. J’imagine surtout, souriant, qu’un tour-operator gay réalise des croisières sur le lac Biwa avec sortie nocturne à Kyoto et passage obligé par le funaoka onsen. C’est au moment de repartir, presque secs et se rhabillant, que l’ambiance devient espagnole, marque du bronzage à l’appui. Un extrait du livre de Dominique Noguez dont tu termines en ce mardi la lecture et dont j’avais lu quelques pages lors de nos vacances, dont un passage sur les bains publics, tomberait alors à point nommé, mais je vous laisse plutôt imaginer.

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Dimanche 23 août 2015

Soudain de la musique, là-bas, pas très loin, en bas de la côte peut-être ; j’imagine des lumières, des sourires, des enfants, des danses, j’imagine que cela accompagne parfaitement le sujet de la conversation téléphonique, j’imagine mais ne verrai pas, pourtant cela pourrait faire quelques images de plus, mais il y en a déjà tant.

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Samedi 22 août 2015

Cette chambre arrondie avec de grandes baies qui s’ouvrent sur un parc, où repose ma grand-mère, dans une vieille bâtisse où ma mère me dit que je suis née – dans cette même chambre.

Le parc, autour – où elle est assise, sur un banc – et nous autour.

Par terre, sur un rebord, ou un trottoir étroit, un premier souvenir, sous l’avancée d’un toit, où je vois, tenant la main de ma grand-mère, un petit oiseau mort par terre.

Frédérique Soumagne ; Extrait de la liste interminable des lieux, espaces
et divers endroits rencontrés dans ma vie

Ce livre dans une enveloppe à bulles accompagné de dessins d’enfants et d’une carte. Une lettre de quatre pages écrites à la plume. Un « Petit carnet de Lectoure pour notre ami Arnaud » et une carte postale PADC. L’amitié m’attendait au retour des vacances ; déjà la journée avait été jolie, surtout à Kurayoshi.

Vendredi 21 août 2015

Il y a dans la moquette des hôtels quelque chose de triste, comme un mauvais goût poussiéreux. Celui du matin, pour un café, malheureusement sans la mer ou un autre horizon derrière les baies. Celui du soir, pour le o furo, malheureusement sans âme, sans amusement, sans coucher de soleil. En plus il pleut. Et puis je tends le porte-clefs à l’enfant qui sourit ; le bonheur vient des autres quand il ne vient pas des lieux (dont cette pelouse qui entoure la maison, maison qui aurait dû faire l’objet d’un texte, remisé sous un coude).

Jeudi 20 août 2015

Alors on ferme les livres et l’on va au musée. Shoji Ueda, poésie familiale et photographique sur dunes de sables.
Puis au bain public, le même qu’hier, plonger dans l’eau, plonger dans l’autre et ses tout autres habitudes : les trois enfants jouent, ce n’est pas moi au même âge.

Mercredi 19 août 2015

On le sait désormais : ce n’est pas qu’Internet est sans scrupule, c’est que créant de l’irréversible, il est sans remords possibles.

 

Tout ça m’emmerde, pour le dire crument, parce que ça m’est rentré dans le corps directement hier, à la République, et que quand je ne suis pas au bord des larmes je maugrée, râle, tempête, gueule. Je sais , ce sont des balles qui ont éclaté la tête de douze personnes hier dans le onzième, et moi je suis vivant, mais ce qui m’est entré dans le corps, porté par le son mat des kalachnikovs filtré par les iPhones, c’est l’irrémissible faillite du monde qui pourtant, en principe, depuis Auschwitz, devrait ne plus trop faillir, et qui n’a jamais cessé de le faire, parfois allègrement, même si je sais, au fond, ou plus exactement si je découvre que je sais depuis longtemps que la faillite est l’horizon du monde.

Patrick Boucheron, Mathieu Riboulet ; Prendre dates.

 

Mardi 18 août 2015

Mais la ville, un jour, de fond en comble fut bouleversée par l’arrivée inopinée qu’on annonçait à son de trompes dans nos murs de « quelqu’un », de quelqu’un, d’un jeune homme de vingt-cinq ans au plus, beau comme le jour, beau comme les dieux, beau comme on n’avait jamais rien vu d’aussi beau (la rumeur s’en portait garante), qui cheminait les pieds nus lentement le long du boulevard de la gare, sous une robe de bure, l’ivoire de son visage couronné d’un simple ruban ébène et encadré d’un auréole d’or, tel qu’on imagine saint François ou saint Antoine de Padoue eux-mêmes, à croire que l’une de leurs statues avait quitté son socle et l’église un moment, pour courir les rues, et si l’on eût demandé à ce baladin ce qu’il cherchait, il eût répondu simplement qu’il venait chez nous embrasser son frère.

Marcel Jouhandeau ; Mémorial IV – Apprentis et garçons

 

 

Du lundi 17 au samedi 22 août 2015

Au bout d’un nombre trop important de minutes et de kilomètres, un choc : j’ai oublié mon appareil photo. Il faut des heures pour se faire à l’idée, pour digérer cette idiotie. Un acte manqué ?
Il n’y aurait pas forcément eu beaucoup d’images à faire, mais vous me connaissez, il y aurait eu beaucoup d’images faites.
Il y aura tout de même quelques images prises avec la tablette et le téléphone, le mont Daisen bien sûr et l’élégance de sa courbe ; le musée Shoji Ueda et la sobriété de ses angles ; les deux réunis.
Il y aurait eu des images de montagnes, la beauté sans fard du sanctuaire de daisen-ji, les moindres détails de la maison au fond des bois et de tout ce vert qui l’entourait, des myrtilles, un poney, des jeux d’enfants peut-être, la voiture de location, les immeubles au milieu des rizières, un peu la mer. Il n’y aurait pas eu la couleur rouge-sang du coucher de soleil du mardi, vu depuis le onsen. Il n’y aurait pas eu ton visage surpris en voyant M, là, oui là, non mais c’est incroyable.

Dimanche 16 août 2015

Et nous voici ensemble, parce que nous réunit cette house, comme un an plus tôt, pour voir le feu au loin dès 20h précises, feu dirigeant les gens d’autrefois vers leur céleste demeure. L’on boit, mange et rit, tel à un banquet astérixien mais où ne furent probablement que peu évoqués nos ancêtres les gaulois.

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Samedi 15 août 2015

Je suis prodigieuse. C’est écrit en caractères majuscules et argentés (des paillettes peut-être ?) sur un morceau de tissu bleu, format de brassard, une bande grise (argentée peut-être) sur un côté. Ce pourrait être un porte-monnaie de grande taille, quelque chose comme 12 centimètres sur 8. L’objet est à terre, je l’aperçois tandis que nous cherchons ce lieu dont on nous a parlé à deux reprises, dimanche puis lundi, ce lieu où, au nord d’Ohara, on peut se baigner. On vient de pique-niquer sur un bord de rivière peu avenant, et en écrivant cela je me rappelle soudain ce pique-nique à Uji, dans un recoin si misérable de rivière qu’un fou rire avait effacé le reste.

Un peu plus tard, on use de qualificatifs synonymes de prodigieux pour la dernière réalisation de F puis d’autres moins pailletés peut-être pour ce moment à Yusenji : on y danse pour les morts, procession, litanie, je cherche les visages, je cherche la lumière, je regarde les autres, parfois ému par les mouvements graciles me semblant arythmiques, parfois d’un air amusé : lui qui joue sur son téléphone, frénétique ; elle, sosie de Y, dont la sonnerie retentit : la chanson des sept nains.

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Vendredi 14 août 2015

Depuis combien de temps suis-je ici ? Des jours, des semaines, des mois. Peu m’importe. Dans cette ville le temps s’écoule sans forme ni contour, les jours se mêlent jusqu’à se confondre, fluides et désarmés.

Olivier Adam, Kyoto Limited Express

Je choisis ce livre dans la bibliothèque en prévision de nos vacances. Je ne sais pas si, alors, je lirai beaucoup. Mais le livre, mi-roman mi-photos, commence par ces phrases qui pourraient être miennes. Les images aussi, peut-être, un peu, quoi que… non peut-être pas… bref. D’ailleurs le photographe s’appelle Arnaud. Bref…

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Mercredi 12 août 2015

Alors, proposition graphique, je pose sur mes ancêtres des couleurs, avant de poser un visage sur ce prénom et cette rencontre.

Mardi 11 août 2015

« Oh la la c’est vraiment dur le turrón…. C’est comme le fromage en Mongolie ! »

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Lundi 10 août 2015

Il y a derrière moi, lors du déjeuner, une caisse de disque vinyles d’autrefois. Il y a devant nous tant de Kurosawa à voir.

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Dimanche 9 août 2015

Il propose Kurama. Pourquoi pas. Mais c’est finalement dans un autre bain qu’on se retrouve, plus proche, plus adapté aux températures du jour. Curieusement l’eau froide est peu fréquentée, le Japonais préférant l’eau chaude. Mais pourquoi ? Pourquoi pas…

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Vendredi 7 août 2015

Il nous surplombe au-dessus des escaliers, fait la circulation dans la gare, dirigeant d’une voix ferme le flux continu sortant et sortant encore des trains. A côté de lui, ignorant le volume sonore sortant et sortant encore du mégaphone, elle trifouille son téléphone. Les positions sont parfaites, l’angle de vue aussi, mais je ne peux pas m’arrêter pour un cliché, emporté par une foule prête à faire des « Aaaah !  » et des « Oooooh ! ».
Plus tôt, avec C, on avait parlait d’Annie Ernaux, du crabe colline, et de ma nouvelle lectrice, la maman de P., que je salue donc au passage.

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Mercredi 5 août 2015

Tu espérais me rapporter cette spécialité qu’on aime tant, le moelleux cachant la saveur sucrée de la mandarine. Bien sûr je l’espérais aussi. Mais tu ne rapportes, magasin fermé, déçu et désolé, qu’un léger goût de yuzu et quelques fruits couleur de papillon et de nuage…

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Mardi 4 août 2015

Parc impérial. Le ciel à l’ouest est barré d’un trait. Un gardien, vêtement bleu de rigueur, droit, raide. Deux jeunes occidentaux sur un banc, l’un des deux regardant son téléphone, l’autre tout et rien. Une femme au chemisier jaune promenant son chien. Quelques cyclistes prudents sur le gravier. C’est l’heure où les locaux sortent enfin, c’est l’heure où les touristes respirent enfin. Et puis le jour décline, on retrouve la foule sur les bords de la rivière, regardant les lumières. Je regarde plutôt ceux qui regardent les lumières. Et puis d’autres apparaissent là-bas derrière l’horizon du nord ouest : les éclairs. Rentrer vite.

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Lundi 3 août 2015

J’ai été quelqu’un de gai, tu sais, malgré ce qui nous est arrivé. Gaie à notre façon, pour se venger d’être triste et rire quand même. Les gens aimaient ça de moi. Mais je change. Ce n’est pas de l’amertume, je ne suis pas amère. C’est comme si je n’étais déjà plus là. J’écoute la radio, les informations, je sais ce qui se passe et j’en ai peur souvent. Je n’y ai plus ma place. C’est peut-être l’acceptation de la disparition ou un problème de désir. Je ralentis.
Alors je pense à toi. Je revois ce mot que tu m’as fait passer là-bas, un bout de papier pas net, déchiré sur un côté, plutôt rectangulaire. Je vois ton écriture penchée du côté droit, et quatre ou cinq phrases que je ne me rappelle pas. Je suis sûre d’une ligne, la première, ‘ma chère petite fille », de la dernière, aussi, ta signature, ‘Schloïme’. Entre les deux, je ne sais plus. Je cherche et je ne m’en rappelle pas. Je cherche mais c’est comme un trou et je ne veux pas tomber. Alors je me replie sur d’autres questions : d’où te venais ce papier et ce crayon ? Qu’avais-tu promis à l’homme qui avait porté ton message ? Ça peut paraître sans importance aujourd’hui, mais cette feuille pliée en quatre, ton écriture, les pas de l’homme de toi à moi, prouvaient alors que nous existions encore. Pourquoi est-ce que je ne m’en souviens pas ? Il m’en reste Schloïme et sa chère petite fille. Ils ont été déportés ensemble. Toi à Auschwitz, moi à Birkenau.

Marceline Loridan-Ivens ; Et tu n’es pas revenu

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