Jeudi 25 juillet 2019

Tous les souvenirs enfin s’effacent. Et puis restent les rêves. Alors, il sont seuls désormais, c’est à eux que l’on confie le souci de sa vie.
::: Philippe Forest ; Sarinagara

Je ne suis qu’un prénom qui lui dit quelque chose ; sans doute une politesse venant d’une mémoire tant effacée. Mon visage n’est presque plus rien non plus, puisque que je suis qu’une surface, à travers ses yeux qui n’aperçoivent qu’à peine ombres et formes. Dans ce lieu qui est le sien, totalement le sien, né de son esprit et de sa main, je l’accompagne dans des allers-retours calmes là où elle demande d’aller. Je lui prends la main, le bras, et puis elle revient s’asseoir dans son fauteuil, recouvert d’un tissu fleuri, vif. Elle sait que sur le chemin il y a cette étagère.

Mercredi 24 juillet 2019

Changer d’air sans en changer vraiment. Revenir à celui qu’on a respiré. Presque. Il suffisait de traverser la rue, de passer la place, se perdre un peu peut-être. Se retrouver alors au milieu de la mémoire du lieu et de sa fratrie de béton et d’espaces, mémoire architecturale alignée en dossiers comme autant de façades, à supposer que l’on puisse parler de façades entre les angles et les jardins.

Lundi 22 juillet 2019

Nous avons plié nappes et bagages, avons laissé sur l’herbe les alcools champagnisés qui avaient chaviré, quelques miettes peut-être, les regrets des oiseaux et le reflet d’une monture de lunettes. Le départ se traîne, les embrassades s’esclaffent, le 8 n’a toujours pas fait pfhuit mais soudain la revoici qui passe. Sans nous voir. Combien de longues minutes plus tôt est-elle partie ? Grisés nous ne savons plus. Rieurs nous nous en amusons. Elle m’a dit tout à l’heure qu’elle venait pour le style. Mais elle m’offre une chute.

Dimanche 21 juillet 2019

On glisserait aisément des rayonnages d’hier où j’avais attrapé un recueil de nouvelles de Marie-Hélène Lafon, à l’après-midi d’aujourd’hui car c’est peut-être pendant que nous séchions qu’elle est apparue dans la conversation, même si son apparition – bien qu’allongée par cette quête du nom oublié de l’ouvrage – fut assez brève.
S avait déjà évoqué le terroir de son écriture, avant le rendez-vous manqué d’une fin d’après-midi, la fin du 13 juin exactement. J’avais alors noté l’événement d’une simple croix, m’interrogeant les jours précédents sur ce qui pouvait bien se cacher derrière cette croix, et m’interrogeant toujours aujourd’hui : pourquoi ?

Bref : c’est peut-être pendant que nous séchions, disais-je. On notera l’hésitation même si j’ai retenu la position assise alors expliquons-nous, précisons que le moment avec S, dont le point de départ était une proposition d’exposition, s’est en effet allongé, embrassant une belle partie de ce dimanche entre un café, une marche sans doute trop longue durant laquelle la statue de la liberté mériterait sa place à la fin du pèlerinage, la beauté des images de Harry Gruyaert, un triptyque plus tique que tripes, une baignade à 22 degrés, une bière sur un quai enfin rafraichi et un dîner tel qu’on les envisage sous de telles températures ; même le vin était léger.

Samedi 20 juillet 2019

Dans la librairie, avant un cône surmontée de crème glacée chocolat intense et de sorbet au yuzu – et c’est malheureusement la première qui gouta sur mes lacets blancs – me voici en quête d’ouvrages qui raviraient l’esprit critique de E*. Aux trois sélectionnés pour des raisons diverses et variées mais avec toujours l’idée de combler l’appétit et la curiosité de E, j’ajoute Annie Ernaux (c’est-à-dire Annie E) et cette Place qu’encore j’ai envie de (re)lire, surtout si l’on doit en parler après qu’il l’aura parcouru, puisque toujours j’oublie, ne gardant en mémoire que quelques sensations nées pendant ou après toute lecture.

Il est donc question des livres. On aura peut-être noté dans ce journal une certaine absence, la leur, dont l’italique s’est estompée. Dans la librairie, donc, aussi quêté-je de quoi italiquer. J’hésite car je ne sais pas ce dont j’ai le plus besoin / le plus envie, pour compléter ce qui attend déjà dans la valise et qui devrait, je l’espère, d’une part revigorer les écritures en suspens et d’autre part accompagner la plage de Trouville (donc Duras) et je ne sais quelle terrasse parisienne (donc Michon). J’hésite mais je parviens.

* Pourquoi pas “d’E” ?

Jeudi 18 juillet 2019

Ne rien dire, comme si de rien n’était. Voilà peut-être ce qui nous résume. Durant une heure trente, attablés, après avoir mis fin à ce que nous avons été, la discussion est allée là où elle toujours allée, sans fracas, hors de cet intervalle, hors de cette faille. Je ne sais pas si cela m’attriste ou m’apaise.
Mais c’est surtout là, dans cette faille, dans un sens géologique figuré ou en tant qu’intervalle fragile, que nous n’avons pas pu.

De tout ce qu’il y a à dire de ce jour, je choisis ces six lignes, à supposer que ce soit un choix dans l’exercice de l’écriture et de comment elle nait. De tout ce qu’on pourrait raconter de nous, il reste les petits cailloux posés ici depuis le 15 mars 2009, et cette photo où l’on t’apercevait avant que les premières années ne disparaissent d’ici. Où l’on t’apercevait, flou parce qu’en mouvement.

Mercredi 17 juillet 2019

Tu ouvres la boîte en carton et me fais entrer dans ton passé. J’y vois ceux dont je ne retiens pas les noms et leurs visages souriants qu’ils partagent soudain avec tes parents. J’y vois ce dont tu m’avais parlé et que j’avais doucement rapporté ici, dans l’approximation qu’offrent ma mémoire et l’écriture, parce que le mouvement de ta main avait été d’une joliesse que je ne voulais pas oublier.

Lundi 15 juillet 2019

On se rappellera les inquiétudes d’un été japonais, le premier, ou le troisième si l’on regarde les traces et qu’on caresse la chronologie des juillet. D’emblée j’écris “premier” car c’est celui qui m’inscrira définitivement dans la japonité. Que serait le Soleil levant sans cette petite carte, qui m’offrait trois ans là-bas, carte obtenue après tant d’attente et qui fut trouée par un individu au guichet de l’immigration de l’aéroport d’Osaka-Kansai le 1er mai 2017 ? Clac.
Ainsi je cherche à te rassurer et te comprendre par ma propre expérience, qui n’a de comparable qu’une tracasserie administrative non sans importance. Qui a de comparable peut-être aussi, vaguement, d’une certaine manière, l’idée d’un deux, c’est-à-dire de ce qu’un permis de séjour donne comme permis de vivre quelque chose à deux.
C’est justement ce pays qui revient. C’est là où tu iras bientôt et d’où tu reviendras. C’est donc là que tu t’interroges.

Dimanche 14 juillet 2019

Il s’approche. Nous serons tout d’abord deux sur la photographie qu’il prendra. Nous discutions alors de fleurs, je crois. Et puisque il fait le tour, elle penche la tête, en arrière, le regarde. Ils sourient.

Jeudi 11 juillet 2019

Il exprime son absence, son silence, tous ces mois de silences. Plus discrètement ce moment partagé, sa fuite. Les excuses m’étonnent, j’ai toujours su qu’il reviendrait, ayant toujours eu l’indiscutable sentiment qu’il n’était pas réapparu parce que ce n’était pas le moment.
Nous supposons que c’était un jour d’automne assez frais. Je pense que je ne connaissais pas encore E. Nous savons que lui non plus. Il me semblait avoir décrit dans ce journal le motif de son manteau, avoir évoqué les mots ; il aurait alors été simple de retrouver la date. A trop vouloir être vague, souvent je ne me comprends pas, je ne me retrouve pas. Et puis il suffit d’insister. Janvier.

Mercredi 10 juillet 2019

Les mois ont passé. Du Kenya je n’ai rien dit, alors il était temps, et l’écriture se précise, j’élague. Je parle à E d’une version allégée. Dans ce journal de là-bas, j’écris qu’alors j’écris à Jean-Luc, des mots que jamais il ne recevra de ma main. J’y interroge les troncs pris en photo sur la plage, je me demande si ce ne sont pas là les portraits que je n’ai jamais faits. Derrière les troncs il y a la mer, ce bras qui longe la mangrove et qui n’est pas l’océan. Derrière ces troncs il y a ce “Jusqu’au rien” dont parle Duras, et que j’étire pour lui donner un sens.

Mardi 9 juillet 2019

Ainsi nous formons, petit à petit, une habitude. Riant de nos dissemblances, corrigeant quelque vue péremptoire, acceptant une dissonance, salant un autre goût, montant en mayonnaise un œuf de la mauvaise couleur, écoutant ce que l’autre n’ose pas dire, attendant ce que l’on ne saura pas soi-même apporter, prenant ce que l’on entend dire de soi, nous devisons ainsi, de tout de rien de nous, pour devenir ici, et nous projeter là-bas. Quand sera-ce déjà ?

Lundi 8 juillet 2019

J me parle des premiers jours. Je lui parle des premières semaines. Comme à chaque conversation, nos histoires vont et viennent. Que ne se dit-on pas ? Pourtant je ne dis rien de ces musiques que tu m’as fait découvrir, rien de ce morceau qu’ensuite j’écouterai et qui réclame à l’autre les first six monthes of love, tant d’années après.
Je ne dis rien. Pourtant c’est important. Un liant : avec F elle m’avait entraîné ailleurs, avec Ch elle enveloppait les silences, avec Z elle nous faisait danser. C’est peut-être ce qui nous a manqué, avec P, la musique. Souvent il chantait dans sa cuisine, pourtant.

Dimanche 7 juillet 2019

Elle sait pas trop si elle est artiste. C’est ainsi qu’on la qualifie, pourtant. On, c’est-à-dire les autres.
C’est vous l’artiste ?, lui avait-on dit. Là c’était nous, on.
Elle faisait tourner un artefact de ses jumelles sur pied qu’on trouve ici ou là, souvent au bord, parfois en surplomb, toujours loin de quelque chose. Il faut un panorama, un point à fixer, peut-être des oiseaux pourraient-ils passer dans le champ une fois qu’on aurait mis la pièce dans la fente. Tac.
Je n’ai pas compris exactement comme ça marchait, ces jumelles, c’est-à-dire les siennes, les fausses, en carton, on y voyait des rues, Google nous montrait le quartier, pas loin, et j’ai dit oui, ah, d’accord. C’est là qu’elle a dit que c’était elle l’artiste, mais bon qu’enfin heu sinon elle était architecte.
Vous êtes artistes ?, nous a-t-elle demandés. J’ai dit oui, un peu photographe mais enfin heu sinon…

Samedi 6 juillet 2019

Elle s’approche. Elle dit que c’est elle, la photographe. Peut-être a-t-elle entendu ce que l’on disait d’elle. Te souviens-tu ce que l’on en disait ? Te souvenais-tu qu’on en avait aimé ailleurs ?
Il y avait beaucoup de choses à dire sur les images de Valérie Six. Les couleurs, les lignes. les rapprochements. Parfois elle en disait peut-être trop ; tu sais comme j’aime le silence, surtout celui des images.

Jeudi 4 juillet 2019

Et soudain cette image que l’on aurait pas dû voir. Elle fait entrer l’autre, celui sur l’image, déjà présent dans ce que l’on en entend et de ce que l’on en dit, dans une autre dimension, visuelle, palpable. Elle fait rester l’autre dans ce rôle qu’il finira bientôt par quitter, puisque tôt ou tard, tout se déplace.

Mercredi 3 juillet 2019

On inventerait le verbe cresser. Sa définition hésiterait entre la prière, la quête autour de soi pour qu’un projet se concrétise, l’espoir. A une terrasse alors, puisqu’il le dit encore, puisqu’il veut qu’on m’édite, cressons.

Mardi 2 juillet 2019

Elle me demande quel jour nous sommes. Je n’en sais rien. Je ne sais plus.
Il faut creuser. Elle me demande quel jour c’était le rendez-vous d’aujourd’hui. Mardi, je lui dis en riant.

Lundi 1er juillet 2019

Me voici en partance puisque déjà j’y pense : Trouville. Dans un mois, pour deux jours. Oui c’est tout. Oui c’est court. Oui c’est bien. Oui seul. Trouville c’est Duras, et son fantôme passant un jour sur la plage. Trouville c’est ce 30 mai improvisé et des rires soulagés. Trouville c’est donc l’absence, puisque tout est absence. Absence = vide = trou –> Trouville. Rire.

Dimanche 30 juin 2019

Il y a cet équilibre à trouver dans l’espace et dans le temps. Il passe aussi pour moi par le besoin d’exprimer ce qui se passe et de comment cela se passe. Être loin, se voir peu, dans une alternance de tout et rien, voilà ce qui est, mais le rien n’est pas rien puisque nous sommes là, je veux dire que même loin, dans la non-présence physique, l’autre est là. Et ce n’est pas rien. Mais que faire des peaux ?

De ce que nous ressentons, toi, moi, de ce que nous sommes, toi, moi, ou ensemble, de ce que nous proposons, interrogeons, taisons, imaginons, évoquons, au détour d’un verbe, d’un adjectif, d’une traduction incertaine, de tout cela souvent nous rions. Je cherche ainsi à rire de moi, à te faire rire de moi puisque c’est cela que nous voulons, être légers et rieurs, ainsi toi-même tu oses proposer autre chose de nous, là allongés après le déjeuner sur ces matelas recouvert de matière plastique, et malgré tout j’en ris. Un rire teinté peut-être.

Là nous écoutons Bizet. Je n’avais jamais entendu la version italienne de cet air que j’aime tant, que j’aimerais tant pouvoir/savoir chanter, et que tu as choisi de me faire écouter. Je souris. La musique c’est aussi les peaux, ça passe par là, regarde mes bras frissonnent. Par où passent ces airs que je t’envoie, de ma voix hésitante et que tu dis aimer ? La musique c’est aussi les corps qui dansent, encore, décidément c’est tous les jours se dira le lecteur, ainsi nous tout à l’heure, Danze danze mit mihr, dans cette rue avant la Loire longée par ce chemin, avant les plantes, les orties, les chardons, avant l’espace rien que pour nous deux et cet horizon d’arbres.

Que dire encore de ce dimanche ? Oui dire les paysages, ceux d’Olivier Debré, et qu’alors tu parles du ciel et du regard qui s’envole au-delà des étendues rouges, bleues, jaunes. Dire les êtres de Fabien Mérelle, entre légèreté délicieuse et crayonnés acharnés donnant aux forêts et aux oiseaux qui s’envolent des contours inédits. Dire le livre sur les espaces et leurs usages au Japon, toi le tien, moi le mien, pour ne pas seulement partager un air de Bizet qu’on croit entendre encore.

Samedi 29 juin 2019

Tu danses. Là où demain tu danseras encore. C’est peut-être cela, la présence des corps, qui s’impose. Tu portes une légère audace, que les passants parfois souligneront.

Vendredi 28 juin 2019

C’est un film d’une heure environ. Son auteur, qui n’a sauf erreur à son actif aucune autre réalisation, y interroge l’amour. Film-miroir, film-regard : l’auteur ouvre des tiroirs. Ici son petit ami et lui-même analysent leurs sentiments et l’évolution de leur relation. Là ses amis s’égarent sans trop savoir dans quelle direction, pour définir l’amour, dire l’amour, aimer l’amour, fuir l’amour. Et puis là-bas, quelque part sur terre, via visio-conférences, d’autres définissent encore et disent encore, et comme le son est pourri la philosophie all over the world grince un peu dans les hauts-parleurs. (Note à moi-même : Chercher à glisser un jeu de mots avec “beaux parleurs”)
L’objet filmique intéressant sur le papier, bien sûr touchant ici ou là, propose quelques beaux moments quand on coupe les cheveux ou quand les amis savent de quoi ils parlent et surtout comment en parler (merci Brice) mais le voici à mon goût malheureusement trop fragile dans sa construction, dans cette tentative d’autofiction où le je n’a tellement rien à dire qu’il doit montrer qu’il en a une grosse, dans son absence de montage, et je le répète car je crois que moi non plus on ne m’entend pas très bien, dans un son extrêmement mauvais (comme c’est pénible). Ainsi, l’obsession de plonger le spectateur dans la réalité fait plouf. Ou splash. Ou scouitch. L’objet est comme l’histoire, comme l’amour de ces garçons : il faut tendre l’oreille.

C’est peut-être parce que le film renvoie à ce qui se déroule ici qu’il me déçoit. J’attendais autre chose. Quelque chose de mieux, de mieux que ce que je fais, oui. Quelque chose qui offre de la fougue peut-être, juste une fois, hop, un grognement, tac, un saut. Tac. J’aurais peut-être fait la même chose, à l’âge du réalisateur, à l’âge où ne sait pas ce que c’est, à l’âge où j’ai écrit Je t’aime sans aimer.
Si j’aimerais aimer le film, c’est peut-être parce qu’il renvoie à ce que je disais à Pascale, il y a une semaine, à propos de l’intime qui existe ici, et qui existe aussi dans des images et des textes restant enfouis, pour l’instant ou pour toujours, qui existe dans des recherches de correspondances entre les hommes et les territoires, dans des paysages-peaux. Continents d’amour, ça s’appelle. Elle a noté le titre. Le lendemain tu riais parce que je te photographiais.

Jeudi 27 juin 2019

J’ai derrière moi un nombre précis mais oublié de moments musicaux dans les églises, celle de Clichy principalement. C’était autrefois. En creusant, on s’amuserait à trouver le nombre en question, trois dimanches par an, dans un rythme et d’autres cycles que j’ai fini par ne plus aimer. Je raconte parfois le papier laissé sur le piano.

Ce soir c’est au temple. On pourrait réciter un Notre Père, qui es aux cieux. Mais on ferme les yeux. Parfois on regarde un chanteur, qui est soucieux.

Mercredi 26 juin 2019

Au même moment ma mère, qui suit ses études d’optique, s’est enamourée du curé de Courlandon ; elle vole de l’argent à sa tante pour le lui apporter ; elle se fait accompagner à bicyclette par sa sœur Gisèle et sa cousine Micheline jusqu’au presbytère ; les deux complices font le guet tandis que ma mère échange les quelques billets qu’elle a réussi à chouraver contre les étreintes du prêtre.
::: Hervé Guibert ; Mes parents