Au « petit temple », comme on l’appelle et où l’on va sans savoir vraiment pourquoi, si ce n’est parce que tu as reçu une invitation et que l’on est curieux, voici que l’on s’amuse de la taille des sabots et que l’on s’interroge sur ces « hosties » (au sens symbolique et non pas géométrique) sous plastique. Et si on allait au musée ?
Mercredi 15 octobre 2014
Alors, devant l’entrée du Pavillon d’or, sans la connaître, je devine, et voici qu’elle me fait un signe de la main, puisque j’avais dans un sourire – « Ce sera plus simple » – envoyé ma photo. Alors tout près il y a ce bar, allure de cafétéria pour étudiant où l’on vend aussi des cravates, trop larges bien sûr, un jour je vous raconterai peut-être mon désarroi dû aux cravates dans ce pays. Alors j’apprends que les moines bouddhistes se marient, qu’il existe des flexitariens, et quoi d’autre encore ?
Alors plus tard, c’est autre chose, il fait nuit, ce sont des lieux de tournage et l’on boit du saké en échange des cartes de visite avec des communiquants déguisés en samouraïs. Ça alors !
Mardi 14 octobre 2014
Objets trouvés : « Lost and found« . Le lieu lui-même, lost and found, lost dans une petite rue à côté de la gare mais found après avoir arpenté les couloirs. Je savais déjà que mon objet avait été found, mais il me fallait tout de même venir là pour les démarches, soudain lost (in translation) dans ce bureau miniature sans agent anglophone.
Lundi 13 octobre 2014
« Le tombé de rideau est approximatif. La faute m’en revient, ayant mal calculé les dimensions de la porte, du tissu, et leur rapport : le velvet bave sur les côtés mais repousse l’air au sol en forment 1 tapon. Parfois, désœuvré en hiver, je passe la main pour apprécier les arrivées d’air froid qui ne manquent pas, malgré ces dispositifs de défense, de faire irruption dans le domaine ; avec 1 sorte de frisson, je goûte l’incurie du monde non moderne et de la France elle-même, avec son bâti de siècles inadaptés au temps présent. »
Thomas Clerc ; Intérieur.
Erik B ayant parlé de jubilation sur ce réseau social bleuté qui finalement traine sa viralité jusque ici, je décidai enfin de m’emparer du livre sus-cité, dans la bibliothèque de la VK, à la lueur d’un moment sans ordinateur, tandis que le dîner se préparait dans divers offices. L’ouvrage faisait chevet de ton côté du lit depuis presque un mois et je me souvenais vaguement de furtifs chapeaux et autres bruits courants sur la qualité de l’ouvrage lors de sa sortie. Dès les premières lignes, je fus emporté dans cet intérieur douillet, précis, pertinent, pétillant, drôle, oh tellement drôle que je regrettai qu’arrivât le dîner, regret éteint par l’arrivée de l’auteur lui-même, toujours autant pertinent, pétillant et drôle, accompagné de ses acolytes, moins moustachus mais tout autant pertinents, pétillants et drôles, osant donc donner dans ce journal un indice et un bref témoignage des moments délicieux partagés ici.
Dimanche 12 octobre 2014
Sur un réseau social, l’image de Marilyn au bord de la piscine, agrippée. Soudain, je revois la photographie – découpée d’un magazine ? – épinglée sur le mur de cette chambre où nous allions si peu, puisque il n’y avait aucune bonne raison d’y aller, à supposer que la curiosité, et ce frisson tiré du plaisir de braver l’interdit, ne fussent pas une bonne raison.
Samedi 11 octobre 2014
Évidemment, il faudrait alors parler des œuvres de cette triennale, de l’art auquel on oserait éventuellement accoler un grand A, de la curiosité alors titillée, des pièces, des photographies, des installations, des surprises, des émotions, et surtout éviter de perdre son temps sur ce cochon tranché ou sur l’idiotie muséale de nous vendre (au milieu d’autres invraisemblances) un « joujou » avec la Joconde à Yokohama parce que ça n’intéresse pas le lecteur, la moquerie un peu facile, à moins de faire preuve de malice sur plusieurs paragraphes et de décortiquer l’absurdité, de pointer du doigt cette mondialisation-là, de se prendre pour Martin Parr, pourquoi pas— même si (avec le temps) on le préfère empathique (cf. son travail à Barbès) plutôt que grinçant. Alors oui, il faudrait parler des œuvres, de celles que j’ai aimées / comprises / longuement regardées, de celles qui m’ont surpris / ému / étonné : les photographies de Ikko Narahara ou Pierre Molinier, les films de Bas Jan Ader ou Jack Goldstein… Mais pourquoi ne pas plutôt parler des enfants jouant dans cette fausse brume et de leur gaité bondissante sous le ciel bleu ?
Vendredi 10 octobre 2014
Métro de Tokyo. En face de moi, une femme lisant un magazine avec à la une le visage de Dany Boon ; à côté d’elle un jeune homme en costume, tenant ce petit sac en carton blanc de chez Aoki, Paris. Je souris devant cette petite coïncidence française entre Roppongi et Shinjuku, un sourire de plus, un autre que celui dessiné en retrouvant/découvrant le parc d’Ueno, les façades multicolores de Akihabara, les petites rues d’Akasaka, les gratte-ciel de Shinjuku, les ados de Harajuku, le calme d’Omotesando, telle architecture, tel visage, tel frou-frou, telle folie, tel petit rien, tel vertige et enfin « notre » petit restaurant.
Jeudi 9 octobre 2014
Depuis l’hôtel où j’ai déposé la valise à 9h15 jusqu’à notre point de rendez-vous de 16h30, j’ai marché. Pas tout à fait au hasard, guidé par cette destination finale vers le sud et le bâtiment de l’Atelier français, curiosité architecturale colorée attrapée dans un guide parmi de « simples » façades blanches ou grises, de verre ou de béton brut. Sur ce long chemin, entre le plaisir étrange de découvrir la banalité de n’importe quelle ville et l’étourdissement des avenues bordées de gratte-ciel, de réelles surprises — ce grand huit, le calme du parc, cette « international arcade » aux allures d’abandon —, des images — ce groupe d’enfants en chapeaux jaunes, les géométries des buildings, ces quatre yuppies semblant poser et dont, ô tristesse, je rate la photo —, et surtout ce long moment à les regarder, eux, sujets sociologiques qui m’avaient déjà interpelé à Paris en passant devant le PMU de la rue du Renard, eux, dans ce monde si masculin, eux, figés et guettant sur les écrans les résultats des courses, accroupis à l’extérieur pour y lire les pronostics, patientant dans ce hall dont quelques piliers viennent rompre l’immensité… Parmi eux, ce que je crois tout d’abord être une femme par ses chaussures, ses vêtements, son chignon, mais dont la voix puis le visage dévoile un homme. Parmi eux, ce que je vois tout d’abord c’est une classe sociale muette, sans la moindre fébrilité visible, sans tension apparente. Faire comme si de rien n’était ?
Mercredi 8 octobre 2014
Mardi 7 octobre 2014
Et soudain, ce sandwich aux nouilles me rappelle la pizza aux frites à Rome.
Mais ensuite, me voici de nouveau sur les bords de la rivière, avec l’étrange sentiment de ne pas être venu là depuis longtemps, surtout sous un tel ciel ; la semaine passée a été bordée d’autres ambiances. J’y retrouve cette ribambelle d’éternels étonnements (oiseaux, espaces…) mais y découvre encore d’autres « portraits » à faire, comme ce garçon qui joue du shamisen. Et puis c’est l’heure fatidique, celle de la première classe de japonais, ambiance amicale et rieuse, nous trois buttant sur la lecture comme de jeunes enfants, et nous heurtant, dans des exercices presque trop simples, à la recherche de la fluidité du langage.
Lundi 6 octobre 2014
Les nuits de typhon, où ranger les chaussures pour l’extérieur pour ne pas les retrouver imbibées au milieu de l’allée ? Pourquoi le cosmos plie-t-il mais ne rompt pas ? L’employé du supermarché doit-il forcément ignorer le contenu des rayons ? Pourquoi trouves-tu que le kit-kat au thé vert a le même goût que le kit-kat au chocolat ? Est-ce le souffle du vent qui a fait passer le temps si vite ?
Dimanche 5 octobre 2014
Vous avez goûté les pâtes de fruit au yuzu ?
Samedi 4 octobre 2014
Prendre des tas d’images, fraîches, fleuries, lumineuses, attrapées, ratées, heureuses, soulagées, souriantes, colorées, vives malgré les pieds coupés, éclairées, amicales, ministérielles, dansées… Et puis oser photographier la princesse, là, seule, seule et grave sur sa chaise blanche, solitude désuète dans un tailleur bleuté évoquant Jackie Kennedy. Regarder l’image, encore et encore, fasciné.
Vendredi 3 octobre 2014
Jeudi 2 octobre 2014
Mercredi 1er octobre 2014
Mardi 30 septembre 2014
Lundi 29 septembre 2014
Le quartier où nous vivons, résidentiel – maisons ou petits immeubles -, ponctué de champs ou de serres, n’est pas celui des cartes postales. Pour les images de cartes postales il faut s’éloigner un peu, à peine, vers ce temple plus au nord, où au sud, Imamiya pourquoi pas, Daitokuji évidemment. Le quartier où nous vivons, j’aime y faire des détours, parfois minimes, quelques minutes, un peu, à peine, lorsque je vais simplement faire quelques courses, errant à vélo à travers les petites rues, passant et repassant devant les jardins d’enfants en y cherchant une autre manière de les voir. Et parfois, au hasard d’une rue inconnue, apparait la tristesse d’un toboggan presque oublié, le silence d’une cours d’immeuble, et la surprise horticole de glands couverts d’épines.
Dimanche 28 septembre 2014
Samedi 27 septembre 2014
Ce n’est qu’une fête d’anniversaire comme on en aurait à Paris, les unes et les uns déguisés en l’autre. Mais soudain, ici, on interroge les signes corporels qui font sexe ou genre, la frontière masculin/féminin, la discrétion tendancielle des poils et des poitrines. Chez elles, la moustache devient signe digne distinctif, et la masculinité se fait machiste, brune, âpre, brutale, troublant le calme habituel du lieu et l’image délicate et rieuse de K.
Vendredi 26 septembre 2104
Il y a dans ce que je suis, comme elle, Calcutta, des palais à l’abandon. C’est le début, il n’y en a pas d’autre. Quelque chose s’est résumé dans cette phrase. Je ne l’ai pas inventée. C’était ds semaines après Calcutta. J’écoutais des violons et des violoncelles travailler un concerto de Haydn, j’ai sorti le carnet de mon sac et je l’ai notée.
Dominique Sigaud ; Partir, Calcutta
Cette douce promenade entre Imamya et Daitokuji sous le soleil avec M&C arrivés la veille et repartis le soir ; cette visite de cette artiste danoise, rayonnante sous sa chevelure presque argent ; ce passage au bureau de l’immigration pour en savoir plus ; ce café chaud avec B dans ce café chaleureux ; cette merveilleuse petite librairie dans Shijo et ses trésors inabordables ; cette bière dans ce bar aux teintes de vieille bonbonnière pour faire passer le goût de cette pâte de riz recouverte de miso ; ce ciel ; ce dîner où la mousse au chocolat a encore fait des ravages.
Jeudi 25 septembre 2014
Mercredi 24 septembre 2014
Femme au foyer, agricultrice, oncle, mercredi. Ce sont des mots qu’il ne dira probablement pas mais qu’il me demande de lire pour comprendre la prononciation de cette langue, la mienne. Il répète après moi, hésite, se heurte aux difficultés : ces successions de consonnes, ce e muet à la fin… Il part à Paris vendredi après une autre compagnie que celle prévue, et je m’improvise professeur de français dans ce café au départ un peu trop bruyant pour comprendre, moi, ce mot japonais qu’il répète à ma demande.
Mardi 23 septembre 2014
Herbe verte, ciel bleu, je les ai rejoints, ambiance amicale. Et puis l’homme s’approche, nous tend ce petit bout de plastique après avoir soufflé dessus, petit moulin malin dont on cherche à reproduire le mouvement. Le voici qui passe à autre chose, un petit tour de magie sans prétention. Wakatta ? Oui oui, on a cru comprendre, mais lorsque Asumi reproduit le tour sans difficulté, les rires explosent, tout comme plus tard, en regardant les images de leurs visages hilares ; tout comme avant, page 65 de cette Théorie de la carte postale (qui devrait m’inspirer pour en écrire une ou deux).
Lundi 22 septembre 2014
5h39, le soleil pointe son nez. Tu viens de partir vers la gare. Les rues sont vides ; manière de dire qu’il n’y a quasiment personne, sauf moi, déjà là, à chercher ce vide et sa représentation photographique, sauf eux, troisième ou quatrième âge, vivant semble-t-il au rythme du soleil, et quelques taxis, et petit à petit la ville s’anime, il livre, ils vont travailler, elle attend le bus, et petit à petit la lumière est plus belle, cette lumière d’automne dont je pourrais parler chaque jour.
Deux heures plus tard, après avoir principalement erré sur Senbon dori, me voici au bord de la rivière. Il fait déjà grand jour, il est encore si tôt, et les activités sont plus matinales, plus méditatives, plus lentes qu’en pleine journée ; nul joueur de pétanque ou de golf. Seuls les promeneurs de chien ont ce même rythme, petit sac en plastique à la main.
Dimanche 21 septembre 2014
Samedi 20 septembre 2014
La curiosité nous entraîne vers un village étonnamment triste au milieu des montagnes, par loin, là, juste derrière ; sur les hauteurs les garçons jouent au base-ball et les filles au football. Mais c’est finalement la ville qui nous fait aimer ce samedi, qui le rend joli, à supposer qu’un samedi ne puisse pas être aimable, à supposer que la surprise de ce village ne soit pas aimable. A la galerie où tu as donné rendez-vous à Ph, de passage, c’est finalement ce popup book store qui retient mon attention : le « New Perspectives in Photography », logotypé Ph – hasard capital – y est tellement soldé que je ne peux pas résister et que j’emporte avec moi l’objet lourd que je ne feuilletterai que le soir venu. Puis on s’amuse des « salons de thé » flottants, posés ici ou là le long de la rivière et l’on s’étonne des nuages dans le ciel, coups de pinceaux rosés disparus bien vite et je m’arrête sur une photo d’Anna Gaskell et sur cette phrase de HP Lovecraft reprise dans le texte d’accompagnement, là, à gauche de ces sols enneigés : « The oldest and strongest emotion of mankind is fear, and the oldest and strongest kind of fear is fear of the unknown ». Et je m’amuse de la jeunesse de J, de sa présence, de son blouson trop grand qu’il porte ravi, ravi parce que vintage, blouson qui m’évoque la mienne, de jeunesse, blouson trop grand, grand comme sa soif de découvrir, loin de la moindre « fear of the unknown ».
Vendredi 19 septembre 2014
Je n’ai pas saisi tout de suite la signification de l’absence de réponse à mes questions. J’ai compris plus tard que, comme le dit Roland Barthes dans son discours sur le neutre : « La question est terroriste. La question est une forme de violence. » Il faut du temps, pour un Occidental de passage au Japon, pour accepter que la réponse « décalée » de l’interlocuteur nippon soit une réponse à la question malgré ce que, armé de notre propre bagage culturel, nous pouvons en penser.
Alexandre Dimos, in Back Cover 6
Jeudi 18 septembre 2014
Mercredi 17 septembre 2014
Rangé ici ou là dans l’espoir de quelques minutes de couture, il attendait depuis quelques années une renaissance. Ce nouveau rythme de vie lui a offert du fil blanc, une reprise ici, une consolidation là et un rafistolage approximatif qu’il faudra revoir.
Un fois la nuit tombée, je pars une nouvelle fois à la recherche d’une idée, de quelque chose, de la représentation de cet éloge de l’ombre, du sombre, de l’absence d’éclairage, posant sous le réverbère d’un parc ou attendant sur Senbon que la circulation cesse.
Mardi 16 septembre 2014
Lundi 15 septembre 2014
Il est 18h. Chez elle 23h, c’est encore dimanche et avec ces 19 heures de décalage horaire je me demande soudain comment la terre tourne. Elle me parle de cet état américain à moitié japonais, des pluies tombant d’on ne sait où, des vagues pas si pacifiques, de cette langue qu’elle est venue apprendre, si loin. Je lui parle du champ d’en face, de la rivière qu’elle connait tant, de mes activités qui alors l’intéressent, de cette langue que j’apprends à mon rythme, ainsi. Je ne lui parle pas de cette idée que les enfants ici ont des souvenirs pastels.
Dimanche 14 septembre 2014
Me voici seul. Je pars un peu « comme ça », sans but, comme parfois, laissant le vélo glisser par les grandes avenues ou les ruelles. Un aller-retour approximatif le long de Senbon jusqu’à Nijo, et un détour par le Parc Impérial, avec un arrêt sur un banc, grignotant des sablés sous emballage individuel : un peu comme moi, individuel et emballé (par la lumière magnifique de septembre).
Samedi 13 septembre 2014
Sous-sol du grand magasin. Le lieu n’est ni attachant, ni lumineux, ni agréable, mais dans la vitrine les pizzas en résine m’ont attiré. Tu m’as déposé pour aller à un déjeuner sans pizza ni sous-sol ; sur le scooter comme à chaque fois on ne se lassait pas de regarder la nature (shizen) mais ici les fleurs sont fausses. Peut-être comme la poitrine exubérante de cette jeune femme venue acheter un petit quelque chose au stand d’en face, poitrine fixée par le vendeur aussi longtemps qu’il a fallu, à elle, pour choisir, regardant la vitrine à travers d’immenses lunettes de soleil, la main gauche caressant sa longue chevelure faux blond vénitien. Mais voici qu’elle s’en va, il peut alors détailler la seule chose à n’être ni immense ni longue : la robe aux motifs de papillons, robe courte, courte comme ce moment fugace, les papillons déjà envolés vers la sortie. Le voici alors qui s’ennuie à nouveau, soupire parfois discrètement, mâchouille quelque chose (un chewing-gum ou sa langue ?) pour passer le temps tandis qu’en fond sonore je subis une espèce de sous-Beatles nasillard coin-coin. Mais voici une autre cliente qui caresse sa longue chevelure, brune cette fois, hésitant puis repartant dans ses habits trop sages sans avoir rien acheté ni avoir offert le moindre moment de rêverie érotique à ce pauvre garçon qui s’ennuie donc à nouveau mais puisque un sexagénaire gourmand arrive (en même temps que ma pizza) finalement le travail reprend.
Vendredi 12 septembre 2014
Train pour Nara, surtout ne pas se tacher. Sur nos genoux, un appétissant bento choisi parmi les rayons multicolores de Iseitan ; de quoi nous réconcilier avec ces encas bien pratiques mais toujours un peu similaires. Lorsque le train démarre, la boîte est vide, les pantalons impeccables, la cravate remise à sa place et les soubresauts ne nous dérangent pas pour goûter cette pâtisserie de saison : quelques amandes dans la pâte de riz.
De la suite on retiendra (ou pas) la longue marche qu’on n’imaginait pas si longue, le tapis rouge au milieu du vert, le garçon aux cheveux bicolores, le petit carton rouge, le ticket jaune moutarde, le montage éclair de l’estrade de l’autre côté de la vitre, le chapeau en forme d’abat-jour, le défilé de mascottes (daim, poussin écrasé, avion, etc.) donnant des airs d’Intervilles à cette ouverture de festival, le Powerpoint, le discours du président du jury, la difficulté de monter sur une estrade quand on porte une kimono, la première partie du film et ses quelques très beaux témoignages, le plaisir de comprendre les phrases prononcées lentement, les petites lumières dans le parc, l’idée toujours agréable d’un moment à part, les corps musclés des joueurs de tambours (« Tu vois ils n’ont pas besoin d’aller à la salle de sport« ), le plaisir fugace de dire à N.K. qu’it is really beautiful, la liberté pas trop frustrante d’être venu sans appareil photo.
Jeudi 11 septembre 2014
Se réveiller, ne pas comprendre l’allusion quand tu me dis « Tiens, hier, j’ai appris comment on demandait poliment l’âge de quelqu’un » et dix minutes plus tard, réagir. Et célébrer, comme il se doit, la date, avec quelque chose de pétillant et curieusement sucré, quelques petites choses douces et joliment présentées…
Mercredi 10 septembre 2014
Mardi 9 septembre
« Qu’un gogo parle, que la bêtise fuse, que le mensonge infuse et immédiatement, il se mettait en colère, alors qu’il eût été plus simple, beaucoup plus simple, pour avancer dans le monde et la vie, de ne jamais rien voir, de ne jamais rien entendre, de ne jamais rien dire, et surtout de ne jamais se souvenir, de perdre la mémoire avec la voix, ainsi que l’écrivit, il y a bien longtemps, un sénateur romaine accablé par la brutalité de son époque.
Sébastien Lapaque ; Théorie de la carte postale
Lundi 8 septembre 2014
La porte de Takashimaya – Les Galeries Lafayette locales – s’entrouvrent. Elle avance, tailleur bleu, et se met à parler, avec les mains aussi, ce qui semble être de la langue des signes plutôt que quelques mouvements accompagnant les paroles. Je suis trop loin pour entendre, mais elle semble répéter paroles et gestes, avant de reculer et de refermer la porte : il n’est que 9h59. Sur le visage de la femme à ma droite, une moue. Je m’éloigne, reviendrai plus tard pour récupérer le pantalon, pars à Yodobashi acheter un capuchon d’objectif pour remplacer celui perdu dans les dunes de Tottori, déchet que j’imagine avoir rapidement été enfoui sous le sable, rappelez-vous du vent.
Et puis on oubliera les difficultés à récupérer un colis pour ne parler que de la joie de l’ouvrir : trois livres joliment et amicalement choisis.
Et puis on oubliera la déception de ce concert au temple Hirano…
– C’est un peu variétoche…
– Mmmm… y a un répertoire très étendu… car ce n’est pas du tout à ça que je pensais.
Dimanche 7 septembre 2014
La soupe froide (au potiron de préférence) fait donc l’unanimité en cette saison encore chaude et en cette journée enfin ensoleillée. Au menu du buffet d’autres mets moins home-made et la tea-surprise de Miss K, de l’autre côté, face à la ville.
Plus tard d’autres convives et la petite fille rieuse dont le prénom fait se rencontrer le soleil et la lune. Dans les vitres, cette dernière, voire plusieurs ; après-demain elle sera pleine, on évitera son reflet – croyance locale.
Samedi 6 septembre 2014
En bas du pantalon, pour un futur ourlet, une clochette. Le tissu est sombre, recouvert de croisillons turquoise et cobalt – du bleu, encore du bleu. Il complètera la veste noire achetée un peu plus tôt sur laquelle on avait hésitait : bleue ?
Vendredi 5 septembre 2014
Je retrouve, sur les présentoirs de cette boutique qu’on ne fréquentait plus depuis plusieurs séjours, la délicatesse et l’embarras du choix. Qui se porte sur un petit objet fragile, vase minimaliste à peine caressé d’une trace bleutée.
Plus loin, même rue, une banquette jaune au prix indécent, des abat-jour danois qui font concurrence aux origamis japonais… Puis je fais mine d’ignorer ce magasin de papier pour m’aventurer plutôt dans les pays lointains d’une autre échoppe – bleus profonds venant d’Iran, poteries poussiéreuses turques – et choisir la modestie d’une coupelle du Pakistan.
Jeudi 4 septembre 2014
Et B&N arrivèrent, lui aux anges d’être de retour au pays tant aimé, elle tout autant ravie d’être enfin là. Après une invention du langage mise en mouvements par Didier Galas, on les retrouve pour un dîner, lui toujours autant souriant, là, au coin du pont de Sanjô, souriant, souriant encore, voulant tout voir, tout revoir. En si peu de temps ?
Mercredi 3 septembre 2014
« Oui c’est moi… Tu fais quoi cet après-midi ? » Rien, enfin rien de précis, rien d’indispensable, rien d’urgent. Alors j’y suis allé : habituelles images des hommes casqués et puis d’autres, qu’on gardera pour archives. Elle, souriante et curieuse, demande à voir et à les recevoir. « Pour les mettre sur mon blog, c’est possible ? »
Mardi 2 septembre
Et voici que soudain, parce que je décidai de tourner à droite, je découvrai les commerces de Omiya dori, interminable rue de Kyoto dont l’extrémité nord regorge de primeurs aux devantures rouillées, de boutiques désuètes de vêtements pour femme, de pâtisseries chic, de ce petit restaurant qu’il faudra tester, d’une jardinerie qui deviendra sûrement une destination régulière, d’une immense poissonnerie tout autant indispensable, de cafés comme je les aime et comme il y en a tant, retrouvant quelque chose de ces villes françaises dont on regardait un peu tristement l’atmosphère d’abandon.
Lundi 1er septembre
« You’re using Nikon!« , me dit-il depuis l’extérieur. Il a entendu le déclic de mon appareil tandis que je photographiais cette enveloppe reçue des mains du propriétaire, et me fait la preuve de son oreille de spécialiste – puisque les photographes n’ont pas qu’un oeil. Je suis à peine surpris qu’il soit encore là, mais voilà donc 3 heures qu’il tourne autour de notre « house » pour ce magazine. Le ciel est nuageux ; cela lui convient.
Dimanche 31 août 2014
Samedi 30 août 2014
Les feuilles de thé vert sombre, une fois passées sous la meule, deviennent une poudre d’un vert éclatant. Ce n’est que le lendemain que je fais le rapprochement entre ce moment coloré de notre visite d’usine et ce qui m’avait poussé à étudier la chimie : l’étonnement, et l’inexplicable enfin expliqué par de vastes histoires d’oxydation, d’effet Markovnikov et d’une multitude de je ne sais plus quoi… J’ai, depuis, trouvé d’autres sources d’étonnement… comme ces fables et légendes qui remplissent les romans et les films japonais. Mais cette histoire de raton et de renard vue ce soir aurait mérité meilleur traitement pour m’enthousiasmer.
Vendredi 29 août 2014
Iterashai, crie l’enfant, courant soudain le long du quai. Deux autres garçons le suivent, l’un d’eux répétant la même chose, puis une fille. Tous ce même sac à dos jaune vif : moment furtif de gaieté. Plus tard ce sera un autre sac, bleu ciel à pois, que je tenterai d’attraper sous les néons jaunes d’un escalator. Mais d’autres images m’attendent, les fleurs dans ce petit chemin que je n’avais emprunté qu’une fois depuis mon arrivée, et les travaux, encore, dont le deuxième étage entrevoit la fin : voici qu’on aménage.
Jeudi 28 août 2014
La voix trop parfaite du bus “nord 1” annonce «Kitaozi» avec un Z sortant d’on ne sait z’où. Le bus s’engouffre dans le souterrain avant de repartir vers son terminus (Demachi yanagi) et ma destination (le magasin D2 pour y acheter pots, terreau, vis, etc.). Petit à petit, ma pratique du bus me permettra de pratiquer les meilleurs conseils à nos hôtes, indiquant l’horaire du prochain 46, la meilleure solution pour rejoindre le métro ou l’inutilité de courir vers l’arrêt pour prendre ce bus qui… n’est pas le bon.
Mercredi 27 août 2014
Parmi les commerces du quartier, il en est un que l’on a découvert récemment et que l’on n’avait jamais testé : le bain public. Aucun occidental ne résidant dans le coin (ou alors ils se cachent bien), on peut se demander si les regards posés sur nous en entrant ne dégageaient pas un peu de surprise… peut-être le reflet de la nôtre devant la modestie et la petitesse du lieu (et l’absence de bain froid).
Mardi 26 août 2014
J’avais noté – et tenté de me rappeler – récemment les mots pierre, caillou, persuadé qu’ils seraient utiles quand on en viendrait à parler de ce petit chemin que je balaye presque chaque matin et sur lequel glissent inlassablement terre et sable. Mais au moment de cette discussion bien sûr ils étaient oubliés, de même que j’avais omis l’inévitable roulage de R pour prononcer « rocks ».
Lundi 25 août 2014
Nous avons oublié son prénom ; il était un visage habitué avant de quitter ce bar, où nous-mêmes nous n’allons plu. Le voici, comme nous, aux puces ; il porte sous son bras une immense toile et l’on se rappelle évidemment ses dessins, ces visages aux traits particuliers. Nul tissu pour nous, mais fidèles à nos habitudes, de la vaisselle bleue, une plante aux fleurs violacées et un arbre à yuzu.
Le soir, une sorte d’autre ancienne habitude un peu passée : un film. Mais de l’occitan nous n’avons point coutume.
Dimanche 24 août 2014
Samedi 23 août 2014
Confirmer – comme si n’en avait pas encore complètement conscience – que la montagne est proche. Découvrir ce temple aux allures d’abandon. Rechercher dans les boutiques ce qui pourrait être une affaire. Dormir presque trop, comme si c’était possible et déraisonnable. Et puis s’attabler, écouter ces conversations où les langues se croisent, écouter cette histoire en rêvassant, ce qui n’aide pas à la comprendre. « Trois ans ?« , disent-ils surpris.
Vendredi 22 août 2014
Jeudi 21 août 2014
Je n’écris plus. Je ne note plus les petits riens et les jolis plaisirs, que, par conséquent, j’oublie : la date d’arrivée d’une carte postale, le chant des cigales qui a disparu, la pluie qui tombe, les ouvriers perplexes, le jardinier aux gestes improbables, les cris des corneilles, le sommeil dès 21h45, l’anglais hésitant, les premiers gestes du matin – balayer le chemin, arroser les plantes -, les listes de vocabulaire, les visages dans le bus, les phrases trop rapides de la fille du pressing, le jour précis où l’on a mis dans l’eau les graines de lotus. Dis, c’était quand, les grains de lotus ?
Mercredi 20 août 2014
Derrière l’accueil, contente de ses vacances, elle me demande si je compte travailler là aujourd’hui. Ma réponse négative la rassure car la clim est en panne. On parle peu car il y a (toujours) ces histoires de travaux qui m’attendant à midi, mais les quelques mots osés en japonais me confirment que hanasanakereba narimasen.
Mardi 19 août 2014
(…) Adolescent, je me baignai un jour à Malo-les-Bains, dans une mer froide, infestée de méduses (par quelle aberration avoir accepté ce bain ? Nous étions en groupe, ce qui justifie toutes les lâchetés) ; il était si courant d’en sortir couvert de brûlures et cloques que la tenancière des cabines vous tendait flegmatiquement un litre d’eau de javel au sortir du bain. De la même façon, on pourrait concevoir de prendre un plaisir (retors) aux produits endoxaux de la culture de masse, pourvu qu’au sortir d’un bain de cette culture, on vous tendit à chaque fois, comme si ne rien n’était, un peu de discours détergent.
Roland Barthes par Roland Barthes
Sur le petit papier blanc, la date de demain. Pourtant, je n’ai pas terminé le livre : les parenthèses barthiennes que je m’offrais de temps en temps n’ont pas suffi. Me voilà donc, photographiant les dernières pages, certaines déjà lues puisque c’est un livre dont on peut picorer les pensées – dont acte. Mais sur le vélo, me rendant une fois de plus au bureau de l’immigration où cette femme ignore l’idée d’une autre langue que le japonais et d’un sourire immédiat, je réalise que le livre est resté sur la table. Pour avoir le plaisir de refaire le même chemin demain ?
Lundi 18 août 2014
Au Japon, en entrant dans une maison, on se déchausse. Ce geste pourtant simple laisse parfois l’autochtone perplexe, ou plutôt hésitant. C’est le cas chez nous, les espaces à l’arrière, appelons-les la terrasse et la buanderie, étant ouverts mais aménagés. Aujourd’hui encore, l’équipe de l’architecte (avec un grand A) est venue – ignorons les détails techniques et humides sur la raison de leur visite – et… hésita, me regardant pour savoir quoi faire ou m’imitant – ce qui pour le coup, les désarçonna encore plus, ne sachant jamais trop moi-même, par temps sec, où mettre les pieds nus. Et tandis qu’ils devisaient dans la chambre sur le renouvellement des nappes phréatiques provenant des intérieurs coquets des CSP+ , un lot de 16 chaussures attendaient patiemment devant la fenêtre. « Parce qu’ici aussi, on entre par la fenêtre ?« , demanda l’habitué d’Ivry.













































































































