Ils arrivent, là-bas, depuis le tram. Je lève les bras, fais signe, suis vu. Me retourne et vois Fred alors je lève les bras, fais signe, déjà vu. J’en ris, de ce comique de répétition gestuelle, et le jeune homme venant à ma rencontre sourit joliment de cela ou de mon rire, là, sur ce parking, et continue son chemin. Nous sommes vendredi, il a une allure de lycéen qui rentre chez ses parents.
Ch arrive peu après et nous voilà donc en route : échappée belle et amicale vers la Loire-Atlantique.
Mardi 15 janvier 2019
Je fais face à la porte. Je la vois entrer, mais évidemment il y a un moment d’hésitation. Nous ne sommes pas vue depuis plus de 3 ans, et à peine nous étions vus alors.
Dimanche 13 janvier 2019
Lundi 14 janvier 2018
Palimpseste. Le mot est dans l’invitation d’Olivier Sévère. Il était un peu plus tôt dans les pages du livre. J’en avais oublié le sens. J’en ai donc lu / relu la définition. Et j’ai regardé le passé. Ma vie est un palimpseste, et j’aime l’idée.
Samedi 12 janvier 2019
-10%, -20%, -30%, -40%, -50%, 1 paire achetée 1 paire offerte, des astérisques, des pastilles, des étiquettes, des affichettes, des losanges roses, des ronds bleus, des triangles verts, des carrés noirs, des pantalons orange, des chemises grises, des chaussures violettes, des gilets jaunes.
Vendredi 11 janvier 2019
Nous nous retrouvons en bas de chez moi. Il sourit de mon blouson, je lui parle des circonstances de l’achat et du lieu, en navigant entre son italien et mon français pour finir sur l’habituel anglais et en hésitant sur le nom du centro cultural… Il connait, complète : Gabriela Mistral. J’avais oublié que nous avions déjà parlé du Chili et plus particulièrement de Santiago. Ainsi son regard sur la ville, enjoué, adoucit la dureté que la capitale avait imposé en moi.
J’avais justement retrouvé, l’autre jour, revenant encore sur les images, quelques photos de chez M, créateur du-dit blouson : un bric-à-brac d’objets des années 30 à 60 illuminait son appartement, espace multicolore et chaleureux.
Chaleureux. Tel est l’adjectif que j’appose après que nous sommes entrés au Quartier Libre. J’ai habité à deux pas, mais vraiment à deux pas, tu vois juste au coin, mais je n’étais jamais entré. En face oui, oh rien, juste une fois, pour boire un verre avec ce garçon qui riait tant, mais sa copine, bof, un peu pénible, et puis il y avait eu ce mec saoul, une tension. Ici, un groupe joue sur scène, c’est pour ça qu’on est venus, je sentais bien qu’il en avait très envie, moi ça m’était égal, ou peut-être qu’au fond de moi, oui, j’en avais très envie aussi. Qu’importe, nous y voilà, c’est jazz-rock, dansant, je tape du pied, il y a cette fille qui danse devant les toilettes, elle a l’air high, il y a ce couple qui nous demande “C’est quoi le jam ?“, il y a les sourires, il y a nous ici et pourtant le jam… bouh… che cos’è ?
Jeudi 10 janvier 2019
Se rencontrer. En parlant de l’autre, puis d’amis, il évoque ce verbe, il convoque ce verbe dans ce qu’il a de plus beau, de plus profond, de plus fusionnel : se rencontrer. Il n’explique pas vraiment — il dit “tu vois ?” ou quelque chose comme ça — et je comprends tout de suite ce qu’il veut dire. Nous nous comprenons. Oui souvent nous nous comprenons. Parfois je pense que nous nous sommes rencontrés. Vous voyez ?
Je rentre. Les images vues au vernissage sont loin, peut-être parce que les mots les ont effacées. Oh bien sûr, c’est un peu facile d’écrire ça, c’est faux, c’est exagéré, mais c’est ainsi que je le ressens. C’est peut-être ce qu’il m’arrive aussi, en ce moment, cette impression que les mots — les miens — vont effacer les images — les miennes. Les mots des autres aussi, ils pourraient effacer ma photographie — cette photographie creusant de plus en plus le rien —, comme ses mots ce soir, comme ces avis qu’ils a souvent, différents, ainsi ça me bouscule un peu, ça me pousse, ça me déplace. Ça me rencontre.
Mercredi 9 janvier 2019
Alors je reçois de V “mes” pages. Je ne m’y attendais pas. Je n’attendais pas cela, pas autant. La sélection des images n’est pas de moi, elle ose ainsi intervenir dans la totalité des photographies que je lui avais envoyées et c’est bien, ça me libère. Il faudra revoir les teintes, mais c’est la joie qui me colore.
Ce message arrive à point nommé. J’avais parlé avec J de mes projets photos, oh bien sûr des envies d’exposer, sous une autre forme, un happening, quelque chose, dans la rue, c’était difficile d’exprimer mes envies devant lui, devant son expérience, c’était difficile de savoir si je voulais continuer, arrêter tout ça, j’ai dû bafouiller quelques phrases contradictoires. Frileux, il portait un manteau en Prince de Galles.
Mardi 8 janvier 2019
L’adjectif s’inscrit sur l’écran. Il s’impose, couleur bleue, police à empattements, graisse épaisse, taille supérieure au reste du texte sur la page. Il ne correspond pas à une réalité administrative définie le 23 avril 2014, mais selon la Direction générale des finances publiques, il ajuste par une généralité cette situation de fait. Il est une étape obligatoire puisque la vérité est là et que l’inspection des impôts la préfère aux tristes circonstances, aux contes de fées, à la poussière poussée sous le tapis, aux petits arrangements avec la brume et avec l’oubli – oups – l’oupsbli ?
Lundi 7 janvier 2019
Alors elle commence à parler. Qu’importe la femme qui dort à côté d’elle, idem l’homme à côté de moi. Qu’importe moi qui lis en face, et là juste de l’autre côté du passage, ceux qui lisent, aussi. Fort, elle parle. De quoi ? J’ai oublié. Personne ne dit rien. Peut-être parce que l’on finit par s’y habituer, à ça, et qu’on finit par les ignorer, les trop parlant. Pourtant parfois ils vous happent dans leur récit trop articulé. Et parfois l’on s’en moque, double sens de cette expression, ainsi parfois l’on rit. Cet homme, quand était-ce, il y a deux mois peut-être, parlant si fort, je n’ai pas raconté ? On rit alors comme on pointe du doigt, comme on dirait “pauvr’mec” puisqu’il se vante de draguer la nouvelle secrétaire, on rit par connivence, les regards échangés, ou plutôt évités pour ne pas exploser, dans des éclats de rire.
Dimanche 6 janvier 2019
Toujours drôle et délicat, sensible et attentionné, il parle d’un nouveau chapitre à écrire. Ce n’est pas qu’une métaphore, c’est un rappel de qu’il aimerait que je fasse : écrire les chapitres de ma vie. Mais il parle de lui et il entend ce que je ne dis pas. Un peu plus tard, alors, je pense à quelques phrases qui pourraient rejoindre mon journal du Kenya. Face aux dunes, face au presque rien, l’écriture entrecoupée par la perte – le livre de M. Ferrier – et la vie – celui de Semprun – déclinait le long des dunes les silhouettes d’Eros et Thanathos. Et puis parfois on allait nager. Ainsi, voyant le temps filer, c’est sur un autre passé que je me penche dans le train du retour : les photos du Chili, envahies elles aussi par le sable.
Samedi 5 janvier 2019
Alors, tenter de partager les images, les goûts. Je n’évoque pas les sons, à savoir les chants des oiseaux au petit matin. La lumière peut-être, puisque sur la photo le soleil se lève. La chaleur bien sûr, juste ce qu’il fallait, vous savez. Les gens. Les gens oui, bien sûr. Et les goûts, donc, puisque alors on découpe un fruit.
Vendredi 4 janvier 2019
Jeudi 3 janvier 2018
Le petit objet cubique de marque Sony, revenu de mon enfance en décembre, est définitivement une source de bonheur. Après la voix de Duras hier, nous voici à nouveau avec Laure Adler. Elle interviewe un réalisateur japonais et soudain nous propose un extrait du film. Donc, là, c’est en japonais. En japonais. Pas de traduction. Rien. C’est complètement fou, sûrement un peu idiot, mais c’est le cinéma à la radio. Elle revient, parle à nouveau du film, parfois c’est un peu naïf, elle le dit elle-même qu’elle pose des questions un peu bêtes. Et puis un deuxième extrait. J’attrape des mots. C’est un moment magnifique, là encore, juste ça, ces voix, et je me demande ce que je ressentirais si c’était en russe ou en swahili, sûrement une pointe d’agacement derrière la folie du geste radiophonique. Elle revient, comme si ce rien n’était. Et puis le troisième extrait. Cette fois je comprends, c’est un homme et une femme, ils se présentent l’un à l’autre.
Alors il y a un petite ellipse dans mon récit. Je suis dans le tram. La fille à côté de moi raconte comment elle s’est fait aborder dans la rue par un type essoufflé. Il l’a attrapée par le bras, il lui a dit : “Vous marchez trop vite mademoiselle.” Et puis il lui a dit qu’elle était jolie. Ils étaient gênés tous les deux, il y avait des blancs dans la conversation, il disait qu’il se trouvait bête, qu’il avait envie de lui parler mais qu’il ne savait pas quoi lui dire. Pourtant elle était pressée, elle allait s’acheter ce manteau avant que le magasin ferme. Elle lui a donné son numéro. C’est quand elle dit qu’il a 24 ans que je me tourne pour voir son visage.
Mercredi 2 janvier 2019
Je m’assieds sur mon lit pour écrire en écoutant la radio. Duras parle de l’écriture. Elle rejoint les divagations qui, dans le tram, me dévoraient. Je n’arrivais pas à lire Semprun, j’étais perturbé, distrait par l’autour, prêt à sauter sur une description qui aurait précisé la couleur du blouson de mon voisin de siège, son absence de “pardon” ou “merci”, sa toux hivernale. Duras parle de l’écriture qui ne laisse pas de place à la vie et la question de Laura Adler à son invitée, dont soudain le nom m’échappe – il suffirait pourtant d’aller réécouter le podcast – trouble ce que je viens d’écouter – il suffirait pourtant…
Et puis je pars. E a changé de lunettes. Elles lui vont vraiment bien, je pense que j’aimerais les mêmes mais il ne me vient même pas à l’idée de les essayer. Bar à vin, paroles, il faut dire, dire encore, sur ce qui nous traverse et nous empêche, alors il dit. J’ai avec moi trois petites choses pour lui, dont une que je coupe en deux : un fruit de la passion, dont l’odeur si douce nous emporte. Le goût est une volupté discrète, j’évoque le Chili, mais c’est à présent surtout le fruit de N ; de quelle passion est-ce dont le fruit ?
Retour. Un bref regard sur l’écran. Et puis ces mots de Julien Gracq :
“Il y a dans notre vie des matins privilégiés où l’avertissement nous parvient, où dès l’éveil résonne pour nous, à travers une flânerie désœuvrée qui se prolonge, une note plus grave, comme on s’attarde, le cœur brouillé, à manier un à un les objets familiers de sa chambre à l’instant d’un grand départ. Quelque chose comme une alerte lointaine se glisse jusqu’à nous dans ce vide clair du matin plus rempli de présages que les songes; c’est peut-être le bruit d’un pas isolé sur le pavé des rues, ou le premier cri d’un oiseau parvenu faiblement à travers le dernier sommeil; mais ce bruit de pas éveille dans l’âme une résonance de cathédrale vide, ce cri passe comme sur les espaces du large, et l’oreille se tend dans le silence sur un vide en nous qui soudain n’a pas plus d’écho que la mer. Notre âme s’est purgée de ses rumeur et du brouhaha de foule qui l’habite; une note fondamentale se réjouit en elle qui en éveille l’exacte capacité. Dans la mesure intime de la vie qui nous est rendue, nous renaissons à notre force et à notre joie, mais parfois cette note est grave et nous surprend comme le pas d’un promeneur qui fait résonner une caverne: c’est qu’une brèche s’est ouverte pendant notre sommeil, qu’une paroi nouvelle s’est effondrée sous la poussée de nos songes, et qu’il nous faudra vivre maintenant pour de longs jours comme dans une chambre familière dont la porte battrait inopinément sur une grotte.”
Mardi 1er janvier 2019
La journée ne commence pas, comme habituellement sur ce journal, au matin, au réveil. La journée commence comme l’année, après minuit. Elle commence avec lui. Il arrive un peu plus tard que prévu, c’est déjà 2019, c’est déjà la date de son anniversaire, qu’il veut fêter. Les heures qui passent ensuite me dynamisent, à ma grande surprise, et lorsque 7h s’affichent, enfin rentré chez moi, je n’ai qu’une envie : écrire. J’écris, après avoir lu le message de C, que je suis le témoin de ma propre absence. J’écris, après voir laissé Z dans cette boîte de nuit assourdissante, que ses yeux sont comme les nuits au-dessus de l’Équateur : noires et infiniment étoilées.
La nuit qui suit est courte. C’est vers l’heure du café avec R – parti de chez lui en s’assurant que j’étais en mesure de lui en servir un ou deux -, 16h30 peut-être, que je me satisfais de la dissipation du léger brouillard qui avait perturbé les 4 heures précédentes – puisque ainsi le lecteur saura que j’ai peu dormi. On parle du garçon à la beauté idiote qu’il avait rencontré hier soir, du Brésil bien sûr, encore, puisque.
Lundi 31 décembre 2018
Malgré les silences, les absences et les distances qui ont érodé cette année, elle fut bien belle, belle et riche, riche de toutes ces rencontres, d’un nouveau travail, d’une nouvelle vie, de nouvelles amitiés ou d’autres consolidées, riche de l’exposition à Tokyo, du projet à Nontron, de l’accueil d’Isabelle, de la présence de Jean-Luc… Riche d’amours bien sûr ; mon album de l’année est beau de ces sourires qui m’ont accompagné, de ces quelques prénoms d’ici et d’ailleurs. Je suis terriblement chanceux, en particulier chanceux de ne pas être moi-même touché par la maladie, qui frappe autour de moi.
Je termine l’année en lisant “L’écriture ou la vie” de Jorge Semprun. Les souvenirs de Semprun y sont comme les vagues qui frappent la plage, y déposant des cailloux, y creusant des sillons. Ils vont, viennent, s’accrochent, se dérobent. Face aux dunes de l’île de Lamu, j’ai entamé ce récit splendide autant que bouleversant, parce qu’il ne faut jamais oublier que le pire est là-bas derrière l’océan. Mais que l’espoir et la beauté du monde peuvent lui survivre.
Dimanche 30 décembre 2018
Samedi 29 décembre 2018
L’un est parti promener le chien. L’autre est encore au lit mais bien sûr il se lève, nous salue, à peine les valises posées dans un grand soupir. Elles sont remplies de vêtements engorgés de l’odeur du sable et de quelques cadeaux ; probablement on y trouvera même un peu du vent de l’océan. Nos corps fatigués se reposeront plus tard, pour le moment ce sont les retrouvailles entre toi et tes amis, et ainsi, ma rencontre avec eux. Nous partageons la même initiale, et donc ce petit-déjeuner copieux, revigorant, faisant oublier celui de l’avion : enfin le café est bon, enfin le croissant croustille. Les souvenirs aussi.
Vendredi 28 décembre 2018
Alors l’on s’envole ; il est si tard que c’est déjà demain. Un jour plus tard que prévu, nous quittons le Kenya. Tu repars de ce monde connu, où tu m’a guidé. Je m’éloigne de cet ailleurs, ce territoire devenu possible, zone équatoriale traversée par une ligne pointillée sur les cartes. Ne m’a-t-elle point traversé ?
Mardi 25 décembre 2018
Lundi 24 décembre 2018
Levé à 6 heures, lune haute, cercle plein. Plage déserte. C’est un son d’oiseau qui m’a poussé dehors, sans te réveiller.
Au bout de 3 jours, je cherche ce que le paysage peut m’offrir et je sais que ce n’est pas suffisant. Les troncs qui jonchent la plage méritent une temporalité respectant la leur, et leur immobilité, tôt ou tard remuée par les vagues.
Sous mes pas, il suffit de gratter un peu pour que les détritus de plastique apparaissent, de leur effrayante couleur. Je me demande si, ainsi, les images avec un tas, un tronc, ne sont pas des portraits. Olivier Culmann m’a dit que l’on ne se voit jamais de dos, c’est ce qui l’intéressait dans ma série “Vous suivre”. Nigel ne voit jamais son tatouage. Comment peut-on se connaître entièrement ? Telle l’immensité de la dune que je scrute chaque jour, j’ignore tout de moi ? Est-ce que je cherche dans les gens de dos à voir ce qu’ils ne savent pas d’eux-mêmes ?
Tu m’as remercié d’être là. Notre relation se cimente. C’est une amitié où se glisse la possibilité d’une douceur, où s’amuse le désir, où s’exprime celui pour les autres et les expériences d’autrefois.
Et puis Lamu. Que dire de cette visite dans la ville principale de l’île ? Tout un roman. Et la beauté de deux visages.
Dimanche 23 décembre 2019
Nuit hachée par mes réveils : je voulais entendre l’aube. Mais, une fois la lumière, qui entre sans désordre par les fenêtres ouvertes et la porte donnant sur le sable, mon corps reste aimanté au lit. Par les ouvertures, j’aperçois et j’écoute. A côté de moi tu ne bouges pas.
10h passées. Deux hommes refont un parasol. Je prends mes habitudes sous le mien. Retour du petit-déjeuner. C’était un moment un peu difficile : la superposition des conversations m’empêche de suivre. Après les souvenirs de brousse (les nuages de moustiques, les crocodiles, les baobabs, les éléphants) un point la géopolitique s’immisça via la question les activités : du snorkling on passe à la raréfaction des poissons, aux méthodes de pêche (dynamite…), et nous voilà, j’ai oublié comment précisément, avec la Chine qui est partout, des marchés de Zambie aux rues d’Angola, puis l’influence américaine, le prix du pétrole à Djibouti, la Syrie, Donald Trump, Nuke. Boum. Je te regarde dans ces moments d’échanges qui se déplacent dans toute l’Afrique sub-saharienne, je t’écoute, épaules solides, regard brillant, tu as une assurance fascinante, qui ne provient pas uniquement des mille et une anecdotes que tu peux raconter.
11h45. Nous voici de retour de la plage. J’ai appris à nager avec un masque sans trop savoir si cela servira car ici la mer n’offre rien ; les flamants roses l’ont bien compris, ils n’y en pas un, pas un parmi tous ceux que j’avais imaginé en t’écoutant me parler des paysages. Au loin Sébastien, et donc nous blaguons, bien sûr, de notre pseudo-excitation à le voir là-bas dans un short bleu.
Nager, donc. Ta main prend la mienne. Tu me rassures. Il faut trouver le rythme de la respiration, se laisser flotter, ouvrir les yeux.
Cette difficulté de respirer, c’est cela, c’est comme nous deux, comme la difficulté de m’exprimer quand tu me parles des autres, Z ou E. Il faut trouver le rythme, la manière et puis, à l’autre bout du corps, trouver comment battre des pieds des jambes encombré par des palmes. De quoi suis-je encombré, dans cet amour-amitié ?
Il y a le ciel, le soleil et la mer, comme cette chanson qui sûrement parlait d’amour et dont les autres paroles ne me reviennent pas en mémoire.
J’écris à Jean-Luc un mot que je n’enverrai pas. Je lui parle des images que je fais : lesquelles conserver ? Celle qui marquera l’absence, c’est-à-dire les absences ? Je note le peu de végétation au milieu des dunes, quelque chose sans images, sans but, sans message. Il y a le rien, cette quête du rien, comment la photographie peut-elle cesser de montrer quelque chose ? Ici, parmi les absences, je cherche la présence, je me demande où sera la conjonction.
Je commence à lire L’écriture ou la vie. Il y a cet insupportable grand écart entre le fait d’être ici et l’horreur des camps. Exprimer cette évidence me semble presque indécent, idiot. La nuit dernière, pleine lune, ciel voilé, à peine distinguait on les étoiles.
Jeudi 22 décembre 2019
5h34. Tu me réveilles. Il faut que je voie ça : la lune se couchant, la lumière de l’aube, et puis la croix d’étoiles, c’est le signe qu’on est ici, à l’Équateur. Je t’écoute à peine : je regarde le ciel. Je te regarde faire une image. Je n’en fais pas. Il y a dans ce moment quelque chose d’absolu que je veux garder pour moi, quelque chose que n’importe quelle image faite par n’importe quel œil et n’importe quel appareil photo ne saura pas retranscrire. La lune est d’une couleur que je ne reverrai peut-être jamais et que je veux garder pour moi et donc l’oublier pour moi.
Je ne me rendors pas facilement. Tu chasses les moustiques qui se sont faufilés sous notre abri de fils. Le soleil se lève, les oiseaux se mettent à chanter. Ce sont alors autant de sons inédits et fascinants.
8h45. Les trois heures précédents n’ont pas été de sommeil. Au petit-déjeuner il s’agit de se présenter encore un peu aux autres convives. Mais je veux me taire. Je ne veux pas cette façon de m’immiscer, je ne veux pas que d’autres que toi s’immiscent dans ma présence ici, loin de tout et de moi-même. Il est trop tôt, je suis encore cet étudiant un peu en retrait qui regarde les autres invités d’une soirée quelconque avant d’être là et de participer à l’ambiance. Tigre, j’observe.
Plus tard. Ombre d’un parasol fait de feuilles palmiers.
Il n’y a rien à faire que regarder l’horizon. Je veux être celui qui n’a rien d’autres à faire que raconter qu’il regarde l’horizon.
Je relis les pages que j’ai écrites précédemment. Tant / trop me ramènent à C. Je suis ici pour atteindre le rien. Je pense à cette phrase de Duras : “regarder la mer jusqu’au rien.”
Michaël Ferrier parle des vagues. Il y a entre moi et le bras de mer, des dunes. Un homme passe. Chapeau clair, pantalon sombre, il traîne un sac jaune. Au loin il ramasse quelque chose.
Je suis à l’Équateur et j’attends donc que la pluie vienne à l’heure prévue. Souvenir d’un cours de géographie. Le prof avait un bec-de-lièvre. Je ne l’avais pas cru. Je pensais la planète incapable d’une telle absence de surprise. Il ne pleuvra pas.
Le passage pages 221-222 est beau. Il ne dit pas ce que l’on ne peut pas dire sur l’horreur de la mort. Mickaël Ferrier n’évoque qu’à peine les années de brouille. J’aurais aimé lire le manque l’absence, le vide, l’envie de revoir l’autre. J’aurais aimé lire ce qu’il aurait su dire avec justesse. Peut-être que sur ce bout d’île sans rien j’aurais aimé en pleurer.
17h15, nous avons déjeuné, dormi. C’est un thé qui nous a réveillés, apporté par l’un des hommes qui travaillent ici. Il était presque 16h.
Nous sommes samedi. Je me répète que nous sommes samedi. Le soleil me fait face. Je pense aux frontières, aux limites. Ici sur le bord de l’océan, à qui je tourne le dos. Au Chili j’étais allé chercher cela aussi, mes propres frontières. “Comme cet endroit est loin de la forêt qui bordait notre maison !“, m’avait écrit C en voyant les images d’Arica. Nous sommes samedi, j’observe les oiseaux.
Au milieu du soleil, la plage. Constellée de petits morceaux rouges, bleus, blancs, tout le spectre, et autant de matières se conjuguent avec les fragments de coquillages, les résidus de branchages qui me ramènent à l’enfance. La plage n’était ni une destination régulière ni une grande absente. Mon père n’aimait pas ça, il y marchait. Les détritus de plastique étaient déjà là, mais c’est avec amusement qu’on les regardait. Mon enfance est surtout tâchée de morceaux de mazout qu’il fallait éviter. Il y a aussi l’Italie, une plage de sable gris, des bidons vifs qui venaient interroger ma photographie balbutiante.
Plastic Paradise. C’est ici que nous sommes. Les petits bouts colorés de la plage ne sont que la partie visible du désastre.
18h12. A travers les rideaux de paille le disque jaune du soleil frôle l’horizon. Tu écris. Je cherche dans la constellation de plastique quelque chose d’une métaphore amoureuse, quelques éclats qui donneraient un sens, qui identifieraient ma présence au monde, petit morceau coloré. Il y a forcément dans ma présence ici, à ce moment de l’année, un sens à donner. Notre présence, toi et moi-même, la définition de notre forme d’amour. Il y a eu avec toi, tout de suite, une douceur, une simplicité, une honnêteté : nous parlions du désir et le désir que nous questionnions dans nos partage était un ciment souple. Il y avait des autres et nous.
18h34. La lumière baisse, le vent encore, quelques oiseaux parfois viennent rompre ce souffle ininterrompu.
Vendredi 21 décembre 2018
Matin. Nairobi se dévoile à travers la fenêtre de la chambre d’hôtel. Une rue, quelques passants, tout est trop loin : pas d’image. Puis, en descendant l’escalier qui mène à la salle-à-manger, un toit terrasse où sèche du linge, là-bas des toits dorés. Sur l’écran de télévision de la salle où nous petit-déjeunons, la retransmission d’un spectacle nous offre la vierge Marie qui s’assied sur un fauteuil de jardin en plastique. Je ris. Mais de quoi suis-je alors en train de me moquer ?
De l’Afrique on rappellera tout de même la croisière sur le Nil, en janvier 2003. Un voyage sans amour ni désir au milieu d’une première histoire comme on cherche les premiers pas de danse. J’ai 26 ans et j’ai dit oui, partons.
La matinée est peut-être à l’image de ce qu’il me venait à l’esprit en pensant à ce pays inconnu : les animaux sauvages et le chaos. Carte postale pour le premier point ? Vision condescendante du petit Occidental pour le deuxième ?
Les animaux sauvages, donc. Ils n’ont plus, à l’orphelinat, qu’un épithète comme adjectif. Guère un état. Sauvages ? Derrière les grillages, le guépard est repu, l’oryx nous ignore. Ici passe quelques singes. La lionne nous rappelle cependant qu’on a intérêt de s’en méfier. Elle suit d’un regard envieux et déterminé deux enfants. Mais puisque ils s’éloignent, ce pourrait être moi son casse-croûte de 10h.
Nous voici ensuite au milieu d’un parc majestueux, bijou au milieu d’une flore sûrement plus anarchique au-delà des grillages… J’interroge le désirable de celui qui nous accueille. J’interroge la peau de ses bras, sa bouche, des formes, les chaussettes noires qu’il relève. Le parc, où je fais quelques pas et quelques photos avec mon téléphone, tandis que vous discutez tous les deux, donne à voir des plantes dont j’ignore les noms. Parfois je souris de réminiscences tropicales japonaises ou chiliennes, des cactus. Les arbres portent probablement des noms poétiques. Ici je ne sais rien. Nous repartons vite, mangeons vite ; tu achètes du café.
Direction l’aéroport Wilson, pour l’autre point : le chaos. L’aéroport Wilson est une succession de constructions le long d’un chemin poussiéreux. Le nom de la compagnie ne dit rien à personne. Même le chauffeur de taxi, Daniel, avoue être confused, mais on finit par trouver. Tu me diras plus tard que tu me trouves très calme. Je le suis. Un café (discussion avec Louise dont, hasard, le fils travaille là où nous allons) puis une navette. C’est confus, mais voilà je suis en Afrique. Et personne ne vous emmerde pour une petite bouteille d’eau.
Hall d’attente, trop étroit, mais sans bousculade ni éclat. Je croise les yeux de ce garçon, moins de 30 ans, qui m’a salué How are you doing ? et les croiserai encore. Des femmes voilées, un mec ultra sappé, une femme avec des béquilles, des enfants et leurs parents insupportables, ils sont Français, l’un s’appelle Vianney : nous sommes tous des caricatures.
L’hôtesse de l’air est très belle, décollage. L’avion de 60 places vibre. Nous survolons le parc national, tu me dis que l’on pourrait apercevoir des éléphants. Sont-ce des girafes là-bas ? Il y a encore cet espace commun avec C : le ciel.
À travers le hublot, la terre. Ici habitée, là découpée, plus loin ponctuée de constructions, puis la terre, seule, verte, encre, brune, les méandres boueux d’un cours d’eau, la végétation qui me rappelle la peau de Jonathan par sa densité et les formes des tâches, ici vert sombre : point de rousseur. Le ciel est habillé de nuages. Toi d’une chemise rose. Du petit gâteau emballé dans du cellophane nous sourions : tu me demandes s’ils sont fabriqués par la mère du pilote. Les Anglais ont aussi apporté leur recette, ajoutes-tu après l’avoir goûté. Nous rions.
C’est page 94 du livre que la brouille commence.
Le ciel est habillé de nuages ; ils déposent leur ombre translucide sur la peau de Jonathan. Puis ils s’imposent. Voilent. Comme un drap.
L’atterrissage. Les valises. Il faudra bien sûr donner un pourboire même si les roues subissent les à-coups de la route et que je m’inquiète de la rudesse de l’homme qui la tire.
Le bateau. Une famille franco-américaine nous attend. L’homme se nomme Sébastien. Nous le détaillerons tout le long du trajet, jusqu’à ce que les éclaboussures nous détournent le regard, jusqu’à ce que la mangrove baignée de la lumière de fin du jour nous aimante de son indéfinissable infini. Derrière lui le pilote du bateau, noir, la peau au soleil, brillante.
Enfin la plage. L’accueil est rieur, chaleureux.
Ce que j’avais aperçu sur Internet pour me rassurer, me titiller, n’est rien à côté de la réalité. Dans la carte postale, voici la température, les clameurs, le contact avec le sable, les voix. Il va falloir s’habituer aux accents. Celui du gérant, auquel je me confronte dès l’heure de l’apéritif, est de la banlieue de Londres me dis-tu. Il est de quelque part où la bouche semble retenir ce qu’elle n’ose pas exprimer.
Le chalet – mais il y a sûrement un mot plus adapté – est superbe, superbe tel un mélange entre l’ailleurs et l’autrefois. La moustiquaire donne au lit un air de baldaquin, et les toilettes – dans le logement, rappellent le fond du jardin de l’enfance. Vite je ne souhaite qu’une chose, me baigner. C’est chaud, salé, tu t’approches, tu sens probablement que je garde mes distances, alors que je cherche plutôt un équilibre entre nous mais je ne sais pas comment l’atteindre. Je donne un nom à la plage : Plastic Paradise. Constellée, qu’elle est, de minuscules morceaux, blancs, bleus, venus d’autres continents. Il y a aussi des petits crabes qui s’enfuient.
Dîner. Précédé de l’apéritif. Cocktail. Il faut fêter tout ça, ce lieu et notre présence en ce lieu. Effervescence. Une famille francophone là-bas. Présentation, planification, discussions. Je reste plutôt spectateur. Être Parisien, avoir été Kyotoïte me raccroche pourtant à cette population cosmopolite mais une distance s’impose. Je suis un autre. Et pourtant un des leurs. Je repense à cette idée de la frontière, de qui je suis et d’où je viens.
Dîner délicieux. Il y a quelque chose de (post-)colonial, mais mon regard déforme probablement cette situation. Les Noirs sont en vêtements blancs. Les Blancs n’ont pas de dress-code. Soupe avec coco, poisson grillé, oignon, citron vert, banane flambée au miel.
Nuit.
Jeudi 20 décembre 2018
Comme vers le Chili, comme vers le Japon, comme vers l’Egypte : je ne sais rien. Je ne sais rien d’un pays, d’un recoin du monde vers lequel je m’envole. Rien sauf quelques bribes auxquelles je n’ai pas pu échapper et quelques images auprès desquelles, il faut bien dire, je me suis rassuré. L’ailleurs, sous l’inconnu qu’il recouvre, pourrait sembler hostile. Ainsi ne l’est-il pas.
Lorsque tu m’as proposé ce voyage, je rêvais de voir ton pays, l’Afrique du Sud, ta ville, le Cap, tes paysages, ces paysages, l’horizon fleuri vers l’océan. Je rêvais d’un ailleurs presque absolu, puisque là-bas, l’extrémité d’un continent, finis terrae frappée par les légendes déchainées à la croisée de deux océans, là-bas, il n’y avait pas plus loin.
Le voyage était à deux. Mais quel deux ? Ce matin d’août (ou bien ce matin doute ?), lorsque j’ai acheté les billets pour le Kenya, je me suis jeté à l’eau, une eau qu’on partagerait ensemble, avec toi, toi et personne d’autre, celle d’un nouvel océan. Des vagues, tentatrices, venues du continent indien, s’étaient pourtant déjà fracassées sur notre rivage dont le contour n’avait pas de nom. Elles m’emporteraient et nous noieraient quelques semaines plus tard.
Alors partir, pourtant, ensemble, ainsi, à deux. Mais quel deux ? Tu m’as demandé si je voulais encore ainsi, partir, malgré cet autre deux que nous étions devenus depuis le début de l’automne, depuis ce que je t’avais dit entre chez moi et la gare : les vagues. Tu m’as demandé si je voulais encore partir car c’était plus cher que prévu, aussi, plus cher, là-bas, sur place. J’étais, moi-même, plus cher que prévu, à tes yeux. Ce jour de janvier où nous nous sommes rencontrés nous savions déjà que quelque chose allait se passer. Ainsi, depuis, nous étions devenus chers. Ce n’était alors pas moins beau que prévu, ce projet de partir. Peut-être, simplement, que l’on ne ferait pas l’amour.
J’emporte avec moi deux livres. Ce départ vers l’ailleurs, vers ce continent qui m’ouvre des bras grands comme une suite de plages, n’a pas besoin d’un abandon littéraire fictionnel et c’est dans le réel que je me plongerai : « François, portrait d’un absent » de Mickael Ferrier et « L’Écriture ou la vie » de Jorge Semprun.
J’emporte avec moi une absence formée par les silences de C. Dans l’avion, ma lecture du livre de M. Ferrier est tronçonnée par mes idées flottantes, jusqu’à cette phrase que je note : « Nous sommes séparés pour toujours, nous ne pourrons plus jamais nous entendre. » Je lis le double sens du verbe « s’entendre » : se comprendre, s’écouter, s’aimer, se parler. Mais Ferrier parle d’un ami mort. Or je ne suis pas mort. C n’est pas mort. Personne n’est mort sinon mon amour pour ce qu’il est (je fais un lapsus et j’écris « hais » au lieu de « est »).
Je pars avec toi. Oh rien, sept jours à peine. Je pars avec toi et la multiplicité des possibles amoureux qui nous ont précédés ou finalement étouffés. Je pars avec les territoires qui m’ont embarqués encore avant, l’Italie, le Chili, ou le Japon. Je pars avec l’un des moi-mêmes, celui toujours enclin à découvrir ce que celui qui m’accompagne saura partager. Les continents sont des continents d’amour, les pays sont des îles d’amour. Je pars aussi avec R ou E, avec leur présence en moi en cette fin décembre. La découverte d’un autre territoire – réel – est-elle le signe de la quête d’un autre possible ?
Le livre de Mickael Ferrier est venu avec moi puisque de toute évidence il me fournira des digressions, des virages vers le Japon et C. Dans ma lecture qui lutte, dans mes idées qui flottent, se raccroche parfois ce livre que je garde en moi. En moi mais cependant quelques dizaines de pages sont déjà écrites : l’histoire de mon grand-père. C’est aussi une histoire d’absence, la sienne dans ma vie. L’histoire de mon grand-père est mon histoire : je me suis construit sur son absence physique et sur l’absence du récit de sa vie.
E me disait avoir en lui des chansons et des livres, qui restent, là. Sommes-nous tous ainsi à garder enfouie la possibilité d’une expression autre que celle que l’on maîtrise ?
Ainsi passent les heures. Lorsque nous atterrissons, la nuit est déjà tombée. Qu’est-ce que ça change d’arriver ainsi, de nuit ? Je suis arrivé au Japon un matin de juillet, le soleil éblouissant se lève si tôt là-bas, déjà il faisait si chaud. Je suis arrivé au Chili une aube de septembre, la lumière lentement ferait son apparition, laissant les montagnes alentours se dévoiler doucement ; alors la ville était muette, muette comme sera ce pays pour moi, comme il sera pétri du silence du garçon et du désert. J’arrive à Nairobi la nuit tombée, et le temps de voir arriver les bagages, le temps des procédures d’immigration, on sait qu’il faudra attendre le lendemain pour vivre quelque chose du pays. Dans le foutoir des noms écrits sur des pancartes, tout d’abord on se cherche, perdus en lettres capitales, sans être sûrs de se trouver : quelqu’un a confirmé qu’on venait nous chercher ? Non, mais ton nom est là.
Les premiers pas au Kenya, à travers l’aéroport de Nairobi, on en rirait presque, on en rirait de voir combien le monde vous accueille dans la laideur des sous-sols et des parkings. Mais déjà on dit merci d’être là. Alors, à travers les vitres du taxi qui nous amène à l’hôtel Saab, ce quelque chose que j‘attends et que ce pays me donne déjà, ce ne sont que quelques animaux en plâtre, et une fois sur la rocade, des panneaux publicitaires gigantesques qui surplombent une autoroute où tu me conseilles d’être vigilant : la prise de vue n’est pas compatible avec un état aussi policier. La circulation est fluide : les habitants sont partis voir leur famille pour les fêtes nous dit le chauffeur. Ainsi, Noël surgit, international. Je croyais, très naïvement, y échapper, mais ici aussi, on famille, ici aussi, on pub de Noël.
Mardi 18 décembre 2018
Lundi 17 décembre 2018
Partir une fois de plus. Il est 6h20, Paris s’éveille. Le trottoir est humide, il ne fait pas si frais qu’on craignait. Tu n’en sais rien, tu es encore enfoui sous la couette et tes rêves.
Partir une fois de plus. Il est 7h19, le train s’élance. Bientôt par la fenêtre les couleurs de l’aurore qui me rappellent Louxor, les brumes de décembre qui ne me rappellent rien. D’une maison au loin s’évaporent des nuages et mes regrets photographiques.
Dimanche 16 décembre 2018
Qu’y aurait-il alors à dire de nous, de nous dans ce dimanche ? On sourirait sans doute, parce que le vin chaud est bel et bien une boisson chaude, entre trois slips et quelques bouchées, d’autres bouchées, regarde donc un peu comme les dimanches soirs se ressemblent soudain, sauf qu’il y a ce film, sauf qu’il y a.
Samedi 15 décembre 2018
Alors, au milieu d’une faune en pulls moches de Noël, en robes à paillettes, en perruques à moustaches, je gagne un retour en enfance avec des vinyls de Jeanne Mas et Cock Robin. De l’enfance, on relierait alors un souvenir en robe verte dans un escalier familial de la banlieue bordelaise. Sans moustaches.
Vendredi 14 décembre 2018
Tu m’avais dit qu’il dormirait là, alors le voilà, sans envie de cannelés, donnant dans son français ce qu’il y a à donner d’un ailleurs dont on parle souvent, et dont on parlera encore, puisque l’Amérique. Celle du Sud. Celle qui brille tant pour toi, celle que l’on partage un peu, dont on évoquera les souvenirs et les étendues rêvées, dimanche midi, ainsi la route depuis Arica vers Putre et au-delà, toi parti vers les mers de sel, si proches, moi parti pour quoi, pour cette histoire que les générations n’ont pas vécue, moi et mes souvenirs de sacs plastique. Faudrait-il alors que je parle de ses yeux, encore, pour dire les tiens ?