Je pourrais faire comme Angot. Un livre sur le livre. Je pourrai faire comme Angot ! Un livre sur la sortie du livre. Quand ? Mmmm… Juin ? Fin mai peut-être ? J’aurais dû écrire les peines et les joies de retravailler ce texte qui sortira bientôt. J’aurais dû changer de style, faire autrement, pour raconter cela. Je ne suis jamais très sûr de savoir bien faire, de raconter le réel tel qu’il est vraiment, clairement, de manière brute, tout en allant juste en deçà de la surface. Ça ferait quelque chose comme ça : Olivier arrive à midi, on déjeune place Sainte-Colombe et puis on va chez moi, on s’y met. On s’installe sur le canapé. Parfois je fume, lui beaucoup. Ça dure des heures, huit. Huit ! C’est une sensation folle, d’écouter un autre dire mes phrases, déplacer mes phrases, par ci par là couper, refuser. Très souvent, je suis d’accord. Parfois je grimace un peu, il m’écoute, on trouve un compromis. Par moments j’ai l’impression que le livre devient le sien, c’est assez violent, idiot. L’émotion monte petit à petit, car à l’exercice tendu de la réécriture s’ajoute le fait de revivre cette histoire d’amour qui n’a, sans aucun doute, jamais porté ce nom d’amour que pour moi. Alors, quand Olivier propose que le livre se termine par beybi, je pleure.
Samedi 13 avril 2024
Mercredi 10 avril 2024
En rentrant de chez Serge, j’allume mon ordinateur pour écrire un peu mon journal, et je lance ma playlist “Années 90” que j’ai commencé à constituer sans y croire vraiment un jour. Il y a toujours ce sentiment étrange lorsque j’écoute les musiques des années 1992 à 1995 : Les premiers Björk, Suede, Liz Phair… Cela me ramène à un autre moi, cela me ramène à un autrefois presque trop lointain pour être supportable et puis surtout ce qu’il me reste c’est que ces années ont été un gâchis ; ça pourrait faire un livre si j’avais besoin d’en dire quelque chose, de ces études qui n’étaient pas faites pour moi et ma solitude noyée dans des amitiés étudiantes. Peut-être que la musique était une échappatoire, une respiration, un brouhaha — je ne comprenais pas toujours les paroles. Je crois qu’il n’y a que Mazzy Star que j’écoute avec le même plaisir aujourd’hui. Je n’ai aucune nostalgie de ces années-là. Aucune.
Mardi 9 avril 2024
Le soir, je sortais seul, au milieu de la ville enchantée où je me trouvais au milieu de quartiers nouveaux comme un personnage des Mille et une Nuits. Il était bien rare que je ne découvrisse pas au hasard de mes promenades quelque place inconnue et spacieuse dont aucun guide, aucun voyageur ne m’avait parlé.
::: Marcel Proust ; Albertine disparue
Lundi 8 avril 2024
Alors elle dit que le cinéma italien n’existe plus, tout comme elle m’avait dit qu’elle n’aimait pas Duras.
Dimanche 7 avril 2024
Samedi 6 avril 2024
Vendredi 5 avril 2024
Mercredi 3 avril 2024
Ferdinand, tu le sais, je porte en moi ce texte depuis que nous nous connaissons. Ce besoin impérieux de te raconter me vient par vagues, des vagues liées à ta présence.
::: Francesca Pollock ; Ferdinand des possibles
Mardi 2 avril 2024
Alors il parle de l’absence de ma sœur, partout dans la vie qui continue. Il dit ce qu’on dit dans ces cas-là : ce qu’on garde ou gardera, ce qu’on jette ou jettera, et l’immensité indécidable parce que c’est trop tôt, ou parce que ce sera toujours trop tôt. Il dit qu’il est un solitaire, comme elle l’était. Je ne dis rien à cela, j’entends combien il essaie de recouvrir sa solitude par une insoutenable fatalité, par des petits arrangements avec la mort. Bien sûr je pense à ce passage du film Le Clair de terre, de Guy Gilles, cité le 11 octobre 2021, lorsque le personnage joué par Annie Girardot raconte, dans un phrasé émouvant, ce qu’il est advenu après que son mari était mort :
Après sa mort il y a eu un moment terrible. J’ai pensé que je n’aimais plus rien, que je ne pourrais plus rien jamais aimer vraiment. Les livres me tombaient des mains ; la musique me donnait envie de mourir. La peinture… c’est revenu tout à coup. J’en ai eu envie très fort, comme ça, c’est comme avoir faim, aussi fort. Il y a eu l’exposition Bonnard alors je n’ai pas hésité. J’ai pris le train et je suis arrivée un soir, il pleuvait. Je me suis retrouvée dans Paris comme une étrangère, j’ai cherché un hôtel, comme dans les villes où on arrive pour la première fois. Le matin je me suis levée très tôt et à 9 heures j’ai traversé les Tuileries. Les bassins étaient gelés, il y avait quelques enfants qui jouaient. C’était gai.
Et puis j’ai vu les Bonnard. C’était une vraie joie. Il y avait un tableau : Méditerranée. Tout bleu. Tout blanc. Impossible à raconter. Et qui donnait envie de sourire. Quand je suis sortie, ça allait mieux, vraiment mieux. Et puis, je n’avais pas de remords, vis-à-vis de Jean. Parce que tu sais, d’abord, on voudrait ne plus jamais cesser de souffrir. Ça semble une trahison de ne plus souffrir : c’est presque oublier. Mais là c’était une vraie joie, sans remords. Je suis repartie le soir-même.
Ça semble une trahison de ne plus souffrir : c’est presque oublier.
Lundi 1er avril 2024
Dans le train il n’y a pas le wifi nécessaire pour travailler sur mon manuscrit alors je m’offre du temps de presque rien, quelques musiques enregistrées sur mon téléphone m’accompagnent, je leur donne le temps de les écouter sans faire autre chose en même temps sauf regarder au loin – moment rare. Ciel bleu inattendu, et c’est ton visage qui apparaît en transparence dans le paysage défile entre Saintes et Bordeaux. Que faire de nous si loin ?
Dimanche 31 mars 2024
Samedi 30 mars 2024
Vendredi 29 mars 2024
Jeudi 28 mars 2024
Mercredi 27 mars 2024
Dimanche 24 mars 2024
Mercredi 20 mars 2024
Dimanche 17 mars 2024
Samedi 16 mars 2024
Écrire, cette fois, pour être lu. Depuis quelques jours, je me bats avec moi-même, avec mon style, mes sous-entendus et mes non-dits, pour être édité et donc compréhensible. Je me bats pour garder la musique de mes phrases, ce que je nomme poésie ou quelque chose comme ça, ce truc qui flotte dans ma prose. Je me bats et j’aime cela. J’aime cette obligation de déplacer mes textes et mon histoire avec toi. J’ai pourtant peur aussi.
Vendredi 15 mars 2024
Jeudi 14 mars 2024
Nous trois, deuxième fois. Ce soir nous voilà à une terrasse de la place St Projet, il y a les habitués qui déambulent, s’arrêtent pour une clope. On ne fume pas. On ne fume pas mais A glisse parfois sous sa gencive des petits sachets de nicotine, de ceux dont il m’avait dit un jour “Mais non ce n’est pas une drogue”. P est curieux, il veut essayer. P n’a jamais fumé. Jamais. Alors je lui déconseille, je lui dis “une minute, pas plus”, je lui parle des sensations désagréable qui l’attendent, la nausée, les vertiges. Mais il ne m’écoute pas, il insiste. C’est étrange, cette sensation, il dit. il insiste. Il regrettera.
Mercredi 13 mars 2024
Alors, puisqu’il y a nos solitudes, je viendrai.
Mardi 12 mars 2024
Lundi 11 mars 2024
Une nuit où tu n’étais pas là, je suis venu dormir chez toi. Dans ton lit. Dans tes draps.
::: Frédéric Mitterand ; Lettres d’Amour en Somalie.
Dimanche 10 mars 2024
Un mois déjà. Un mois que ma sœur Sandra est morte et j’écris ici la violence de l’adjectif. Nous nous voyions peu, nous nous appelions de temps en temps, c’était clairsemé, ainsi les mois passaient. Nous étions là sans l’être, maman me donnait des nouvelles. Sans doute je ne savais pas quoi faire de sa maladie, quoi en dire, égoïstement, sans armes, sans mots. Sans doute j’avais ma vie, celle où je remplis les vides. Sans doute je pensais à moi, je cherchais à me sauver du monde dans lequel j’avançais seul, c’est à dire dans une forme de solitude comblée par des présences instables, des prénoms, des attentes. L’absence de ma sœur prend une forme, elle rejoint celle de mon père, je ne sais pas la nommer, c’est comme un précipice qu’on ne comprend pas bien. Sur l’un des meubles du salon, il y a dorénavant une photo de famille en noir et blanc.
Samedi 9 mars 2024
Message. De l’autre côté de l’Atlantique, tu as pensé à moi, parce que l’acteur, Raphaël Quenard, te fait penser à moi, sa diction, son phrasé. J’étais donc là, quelque part, dans 40 minutes d’un film qui ne parle pas de nous mais te rappelle nos jours d’été. Tu as un peu les émotions dans le tapis, tu dis, au milieu de ta déclaration.
Je te réponds que ton message me fait plaisir, que je suis en train de manger une poire, que c’est un peu sexuel, la texture du fruit. Et mon message s’allonge, je te raconte la soirée d’hier, le cuir, l’ennui, le mal de tête au réveil, le marché d’où j’ai rapporté des légumes et finalement je chantonne France Gall, évidemment : Je rêve que je suis dans tes bras.
Vendredi 8 mars 2024
Une fois Serge parti, rode alors quelque chose qui s’approche de l’ennui.
Jeudi 7 mars 2024
Il y a déjà un peu de monde devant la halle des Chartrons. Dans la file d’attente, je vois G. Je m’approche… Salut ! G est un collègue, parfois on se croise au resto U, rarement on y déjeune ensemble mais c’est arrivé deux ou trois fois récemment. Nous retrouver là nous déplace dans une sphère plus personnelle, plus intime. “Et donc tu viens voir un spectacle de Lou Trotignon toi ?“, il me demande. Alors, brièvement, je lui parle de toi.
Mercredi 6 mars 2024
Mardi 5 mars 2024
Globalement bien sûr c’est toujours un beau texte mais il faut qu’on soit franc l’un envers l’autre maintenant. Qu’attends-tu de moi ?, me dit-il. Jusqu’où je peux aller ou pas ?