Mardi 15 mai 2018
Lundi 14 mai 2018
Les années quatre-vingt étaient entre deux mondes, et moi aussi. On y restait à gauche, du moins parmi mes amis, mais l’on portait en même temps en même temps ces ridicules vestes autrichiennes sans col qui semblaient venir d’un débarras de Berchtesgaden et donnaient aux militants en vacances un ai heideggérien.
François Sureau, Le Chemin des morts
Dimanche 13 mai 2018
Et puis 5 pivoines rouges.
Samedi 12 mai 2018
Quelques mots à sa mère, dans une langue étrangère, où l’on devine un point d’interrogation. La réponse nous offre, sur son visage adolescent, un sourire : il s’ennuie. Je l’avais, un peu plus tôt, observé de dos, et je m’étais demandé si j’aurais osé une image, mais je trouvais son visage trop anguleux, quelque chose du mien à son âge comme sur cette photo d’identité que je détestais. Son impatience aussi se dévoilait peut-être, froissant une potentielle photogénie.
Il se lève alors brusquement du banc en skaï gris, attrape son blouson sur lequel sa sœur est légèrement assise, et part, ignorant de plus belle l’immense toile inachevée de Rosa Bonheur, La Foulaison du blé, dont tu me diras : “Que c’est beau.”
Vendredi 11 mai 2018
Terrasse ombragée, fin de journée, enfin. À la table d’à-côté, un roux aux cheveux ras, un châtain clair coupé assez court, un châtain foncé à la chevelure virevoltante, un très brun crépu : mixité capillo-colorée d’une jeunesse masculine commandant des bières, bientôt rejointe par l’une des serveuses. C’est sa pause. Alors bien vite, chacun pique dans ses frites. Et puis un petit chien passe. Il amène notre conversation côté canin, puis un cobra s’immisce. Me voici ailleurs, la terrasse ombragée est frappée du soleil d’Afrique, c’est à peine si je ne lève pas les pieds par crainte d’un sifflement (non, pas sur nos têtes).
Jeudi 10 mai 2018
Quelle place, ici, donner à celui qui revient de temps en temps ? Comment le nommer ? Une initiale ? Un surnom ? Une référence ? Un pronom personnel ? Quel contour donne-t-il aujourd’hui à ce que je suis ? Que sommes-nous ? Ailleurs, cela se glisse ce jeudi dans un tutoiement anglais qui l’englobe parmi tous les lecteurs dans un you imprécis. Mais ici ? Ici, j’ai l’impression d’avoir figé le tu dans l’évidence d’un usage. Tu peut-il être un autre ? Peux-tu être pluriel ?
En cette compagnie, donc, les rues de Bordeaux s’élancent, me surprenant encore, me perdant encore, en leur dédale d’obliques et leurs façades mimétiques. Me voici guide d’une ville dont j’ai du mal à apprivoiser la géographie et dont je ne sais rien de l’histoire.
Dès le départ mon quartier fait effet, avec son charme babélien qui surprend et touche l’homme pour qui les continents sont des territoires brûlants d’histoires, des odeurs, des épices, des réalités sensorielles. Il/tu voit/s ce que je ne regarde déjà plus, mais ce que je respire simplement avec bonheur chaque matin quand les échoppes maghrébines s’installent et les premières paroles s’échappent, incompréhensibles.
Mais la voici qui marche, puis s’arrête, danseuse immobile sur un ciel de nuages. Elle est peut-être, dans sa douceur, sa pose cherchant stabilité et son hésitation, une métaphore de ce qui se produit, quelque chose de nous.
Mardi 8 mai 2018
Lundi 7 mai 2018
Dimanche 6 mai 2018
Samedi 5 mai 2018
Vendredi 4 mai 2018
Jeudi 3 mai 2018
Mardi 1er mai 2018
Il a des fesses magnifiques, mais je le suis sur Instagram parce qu’il est basque. C’est juste pour l’aspect linguistique.
Lundi 30 avril 2018
Et encore, à plus de 300km par heure, l’horizon.
Dimanche 29 avril 2018
Samedi 28 avril 2018
Il n’a aucune de ces marques distinctives du corps qu’on note au premier coup d’œil, la structure imposante, la démarche veloutée, la belle gueule consciente de son effet, le soupçon de déhanchement qu’on met dans un coin de sa tête pour y repenser plus tard…
Mathieu Riboulet ; Lisières du corps
Bus 3. Ils sont déjà là, impatients. Ils sont, pour certains, déguisés et c’est pour cela que je devine que nous allons au même endroit. Il y a ici ou là une fragilité dans la manière de se transformer, dans la présence d’un seul détail qui offre une incongruité. On remarque pour certains un manque d’investissement, on ne peut pas les en blâmer, ils ont un âge où l’argent de poche c’est un léger surplus pour quelques chocolatines, trois clopes, et un ticket de cinéma. Bientôt, ils rejoindront la foule des milliers de visiteurs fans de culture japonaise, c’est à dire forcément d’un pan, d’une vision, d’une découpage, d’un étiquetage de ce qu’on appelle culture japonaise. Alors au cours de la journée, la question est en boucle : Qu’est-ce qui fait Japon ?
Vendredi 27 avril 2018
Je regarde son visage. Quelque chose a changé. Un peu de botox en plus peut-être. Alors je prends un dessert, aussi.
Jeudi 26 avril 2018
Alors, au petit matin, tandis que la lumière explose déjà littéralement sur Tokyo, trainer les valises qui semblent racler sur le bitume japonais malgré leurs roulettes, subissant quelques soubresauts et la multiplicité des sols. Elles contiennent l’indispensable, deux paires de chaussures et peut-être, après bilan, trop de vêtements. Elles contiennent des achats personnels ou quelques cadeaux : céramiques dont la fragilité se frotte à mon inquiétude, bambou léger, tissus colorés, gâteaux qui surprendront quelques palais pas habitués… Elles contiennent aussi, bien évidemment, les métaphores qui prennent aisément place ici : des souvenirs, un soulagement, une pointe de tristesse, une boîte de fatalisme, l’amertume de ne pas rester jusqu’à samedi pour honorer cette histoire.
Mercredi 25 avril 2018
Mardi 24 avril 2018
Alors bien sûr les gardiens, se succédant dans la salle, viennent vers moi, pour me dire qu’il est interdit de faire des photos. Et ma réponse transforme leur corps : les voilà qu’ils se courbent en une révérence désolée.
(…Mais il y aurait tant à dire, sur tout cela, ici, nous, nous ici dans ce geste, dans ces briques de nous, exposées au murs et qui essayent de construire autre chose avec nous, comme une autre maison à partager, et puis tant à dire sur nous, là, Occidentaux perdus dans une marée japonaise dominant la ville comme pour dominer le monde, mais allons plutôt manger des sobas)
Lundi 23 avril 2018
Et c’est le goût de la sauce des soba, qui fut une émotion, imprévisible. Puis les rues en zig-zag, mais je m’y attendais.
Dimanche 22 avril 2018
La minuscule supérette aurait permis d’acheter de quoi manger pour le petit-déjeuner si elle avait été ouverte. Je ne sais pas qu’il suffit d’aller vers l’est, qu’il y a un konbini, juste là, d’ailleurs ça les fera rire, c’est si près.
C’est donc vers la rivière que je me dirige. Et c’est jusqu’à elle que je vais, il y a bien sûr ce Fresco, là, souvenir précis du soir du 16 août 2011, soir de fête. Ainsi va la journée, avançant, un peu au hasard, pour profiter de la ville, sans but sauf l’envie d’être là, chez soi, les boutiques, Teramachi, la quête d’une chemise, le rolling sushi bar, les gens, les souvenirs du premier séjour avec un café chez Inoda, les gens, les enfants qui chassent les papillons. J’avais bien hésité hier, à partir, puisque en un rien de temps on peut être ailleurs. Mais la ville ne m’avait pas encore tout rendu : il fallait un peu plus de temps pour nos retrouvailles et pour que la dame du magasin d’objets en bambous me reconnaisse. Il fallait encore chuchoter les souvenirs avant un éclat de rire.
Samedi 21 avril 2018
Elle me voit arriver. Elle ne s’y attendait pas. Trente minutes plus tôt, moi non plus, je ne savais pas, ainsi suis-je en bermuda, bientôt joliment attablé. Elle pleure un peu, dit que c’est le voyage qui l’a fatiguée. Elle est cependant très en forme, on ne cessera de le répéter. C’est également ainsi que passent les jours et les rencontres, à se dire qu’on a changé, pas changé. Ou pas. Souvent on ne dit rien. On fait comme si de rien n’était. Alors l’on s’accompagne aux expositions photos. Mais finalement tu t’éloignes.
Vendredi 20 avril 2018
Quai de gare, je respire les annonces sonores, je pense à ce qui fait pays ou exil, puisque les moindres détails d’un pays sont tellement en nous qu’on ne peut plus douter qu’on en fait encore partie.
Le vendeur de tickets était désolé qu’il n’y eût plus de place côté fenêtre. Il ne savait pas que cela m’était égal, que la tête de mon voisin se ferait discrète entre un Mont Fuji fantomatique et moi, que de toute façon je me lèverai pour une image souvenir depuis la plateforme.
Il ne savait pas que son articulation et la lenteur bienveillante de ses propos, nous permettant de communiquer sans heurt, m’offraient plus de joie que la vision embrumée d’un symbole enneigé, malgré l’épreuve qu’est cette langue dans sa compréhension et son usage.
Il ne savait pas que tout ce qui m’importait, c’était de prendre le bus 100 jusqu’à Okazaki michi, regarder avec attention les indications pour trouver la maison, découvrir le lieu avant de partir à Shinyodo et Kurodani, regarder les enfants, voir les amis arriver, prendre le vélo, goûter à la ville plongée dans la nuit.
Jeudi 19 avril 2018
Il feuillette mon passeport. Je le vois hésitant devant tous ces tampons japonais. Il y fait des allers retours, presque en serait-il fébrile. Il finit par me demander si j’habite ici. Je lui réponds que non. Autrefois oui. La conjugaison au passé lui fournit l’explication. Alors dans son costume un peu rigide d’employé de l’immigration, il sourit. Mais une heure plus tard, à travers la vitre du train, c’est le présent qui s’impose et la réalité qui m’explose au visage. C’est bien sûr encore mon pays. J’attrape au vol tout ce que le paysage a à me donner, tout ce qui me manquait, les couleurs, les mots, les formes, les horizons inconnus de l’est de Tokyo.
Dans l’avion, écoutant Dominique A, j’avais noté ce bout de phrase : « Pas un jour l’amour ne t’a pas relancé. » J’y voyais des mots à reprendre, j’y cherchais un autre sens à donner que celui porté en évidence, l’amour d’être ailleurs et une idée se cachant dans cette peur de revenir ici, peur redevenue, au fil des mois, un manque. Par un raccourci, je me retrouve donc à rappeler que mes géographies sont des histoires d’amour, les destinations sont des carnets où l’autre, un autre, n’est jamais absent. Seule Modène a échappé, je crois, à cette généralité. Au risque de troubler mes propos et mes pensées, me voilà me demandant si mes amours ne sont pas des voyages en elles-mêmes. Quoi qu’il en soit, ma géographie japonaise est aujourd’hui une absence et elle est ainsi ma présence, seul, à appréhender, pour la première fois.
Ainsi me voilà seul, j’insiste, je répète, seul, à Tokyo, durant vingt-quatre heures à peine avant que les prénoms des amis ne s’inscrivent dans des retrouvailles et des moments. Le soir, je ne sais quoi faire de cette mégapole, quoi faire de moi-même. J’ai l’esprit libéré de ce pour quoi je suis là, à savoir l’accrochage de 15 photographies sur un mur blanc, blanc comme un rêve, un rêve que tu m’as offert, mais ce n’est pas de Tokyo dont j’ai envie : j’attends ma ville. J’ai besoin de la rivière de Kyoto et des oiseaux. J’ai besoin de repères, je n’ai pas envie de m’égarer, alors c’est sur Omotesando que je les trouve, comme si l’avenue lumineuse, dans sa facile photogénie, dans ses trottoirs déjà empruntés, avait quelque chose de rassurant pour le petit papillon venu virevolter contre ses vitres. Mais tout de même un sourire m’égare.
Mercredi 18 avril 2018
Repartir.
Dimanche 15 avril 2018
Samedi 14 avril 2018
Célébrer. Puisque, parfois, et peut-être même toujours, on regarde les dates. Hier, j’avais écrit un courriel, bref, forcément trop bref, car comment exprimer en un envoi immatériel ce qu’on devrait dire à ses parents le jour de leur cinquante ans de mariage ? Il y aurait tout à dire donc il n’y a rien. Ce journal même, engoncé dans sa manie de la concision, dans une certaine sécheresse évitant les débordements et les explosions, creuse soudain la question : Comment exprimer ?
Ce soir, nous sommes là, quelques-uns, ceux qui ont pu, dont un nouveau visage, et c’est finalement un peu pareil, peut-être qu’il n’y a rien à dire, puisque l’on n’a jamais exprimé, puisque on est là, en guise de preuve.
Vendredi 13 avril 2018
La phrase est surlignée de jaune. Elle annonce la suite. Elle m’ancre là, dans cette sphère, dans cette ville. Elle définit mon rôle, sans le dire, puisque on en avait un peu plus tôt rappelé les contours, puisque on avait un peu plus tôt listé les justifications.
Cette nouvelle interrogerait alors le rapport au lieu, au temps qu’il me faut, aux mots à écrire, aux to-do-lists à biffer, aux autres, à lui, s’il n’y avait pas l’évidence, le plaisir, le soulagement, le devoir et l’obligation.
Jeudi 12 avril 2018
Matin. Il cherche à dormir encore un peu. On a tous cherché à dormir encore un peu, dans les transports en commun, à cet âge insouciant, parce que les soirées étudiantes… Il s’appuie là, s’installe comme il peut dans ce bus bringuebalant sur les rues bordelaises constellées de pavés ou de nids de poules. Il se courbe donc, sa chevelure blonde bouclée enfouie dans ses bras, et dévoile la marque de ses sous-vêtements et quelques centimètres de peau, à cet âge insouciant, jusqu’à ce qu’un passager, s’asseyant entre nous, cache alors ce dos que je ne saurais voir.
Nuit. Je cherche à dormir. On cherche tous à dormir enfin après la (stu)peur, quand il est bientôt deux heures. Je me suis mis là, me suis installé là comme je pouvais dans cette chambre qui sent moins la fumée que la mienne. La petit maison mitoyenne, séparée heureusement de la nôtre par des murs épais bâtis bien autrefois, est un rez-de-chaussée et un reste de quelque chose qu’on appelle premier étage d’une habitation. Je me courbe, j’enfouis mon visage sous la couette pour oublier l’odeur et les images – les flammes, les badauds.