Mercredi 11 avril 2018

Et c’est ainsi, par un soubresaut linguistique, que le tigre fut joliment paré de rayons.

Mardi 10 avril 2018

6h20. Il porte un sweat rouge, au dos est écrit Paris. Nous sommes montés dans le même métro, sur le même quai, à la même heure, matinale. Il est très grand et c’est peut-être pour cela qu’il marche très vite sur le tapis roulant de la garde Montparnasse. Ainsi, Paris s’éloigne.

Lundi 9 avril 2018

Il est assis. Il esquisse un mouvement pour se lever en s’appuyant sur cette canne qui ne l’accompagnait pas les fois précédentes, en particulier lors de cet entretien en novembre où il m’a raconté qu’autrefois il était libraire. Il venait de découvrir Barjavel ; il lit toujours plusieurs livres en même temps.
Je lui dis de rester assis. On vient de m’apprendre qu’il a trouvé un logement, alors lorsqu’il me dit qu’il va mieux et je sais de quoi il parle : pas de sa santé. Je le regarde, je trouve qu’il a maigri et il me raconte son bonheur et la surface immense qu’il partage enfin. Il dit espoir. Il dit qu’il faut toujours y croire. Il dit qu’il va faire un potager sur la terrasse.

Dimanche 8 avril 2018

Paris ville-monde ?, m’interrogeais-je il y a déjà longtemps, plein d’espoir qu’on me donnât ma chance.
Paris est monde, basiquement, dans toutes les nourritures terrestres et spirituelles qu’elle nous offre, hier japonaises, et ce soir autour d’une autre table qui nous emmène en Amérique centrale, avec justement deux Mexicaines, une Italienne, un Anglais, un Sud-Africain et moi, avec mon Z, le même que celui du patron.

Samedi 7 avril 2018

Avec sa presbytie, il ne pouvait lire les noms sur les badges, si bien qu’il n’arrivait pas à reconnaître les enfants, seules les taches sur les blouses lui permettaient de les différencier. Sauce, lait, gras, morve, bave, vomi, larmes, sang. Les blouses étaient diversement maculées. Les taches faisaient ressortir une marque personnelle encore plus forte qu’un nom sur un badge. Leurs pieds miniatures dissimulés par les chaussons de gymnastique étaient plus fragiles que les ongles des pattes des perruches d’Australie, leurs mollets à nu plus vulnérables que le ventre des moineaux de Java, tandis que leurs lèvres sans défense n’étaient même pas comparables à la dureté de leur bec.

Yoko Ogawa ; Petits oiseaux

Et donc, chaque week-end, écrire un nouveau chapitre.

Vendredi 6 avril 2018

– What you’re looking at ?, me demande Madonna qui entame sa chanson.
-Deux hérons qui volent au-dessus d’un marais.

Jeudi 5 avril 2018

Ciel bleu. Je sors de la librairie. La place du Parlement est petit à petit grignotée par l’ombre mais le bleu est là, au-dessus. Sur un banc encore lumineux et chaud, à l’autre bout du fil, N me raconte la folie des hommes, presque anthropophages à force d’être agressifs. Je vois les places libres à la terrasse d’Edouard, j’y vais ensuite. A ma gauche deux Allemandes à qui j’ai envie de demander une cigarette en attendant la serveuse (lente et nulle en calcul mental), JLM (qui finalement sera retenu au labo) et Lenny S (qui m’accompagnera jusqu’au – presque – bout de la nuit et jusqu’au cours Victor Hugo après un passage buvette et dînette).
Mais la folie des hommes, c’est aussi parfois, donc ici et maintenant, après que la serveuse est enfin passée et s’est empêtrée dans le rendu de ma monnaie, c’est le geste désespéré d’ouvrir un parasol géant qui masquera le ciel, mon ciel, celui pour lequel je me suis assis là en lisant quelques pages de Julien Thèves, l’amitié entre les mains et le regard dessus, alors me direz-vous à peine le regardais-je, cet azur, qu’on avait masqué pour réchauffer l’atmosphère.

Mercredi 4 avril 2018

On s’inquiète. On s’enquiert. On me dit osthéo, massage, kiné. Je dis que ça va passer, rendez-vous, sport, bientôt, il faut, laxisme, pas malin.

On me dit pas sûr, budget, demande, quand. Je dis bah… Je pense argent. Mais je pense aussi projets, Depaul, lapin, Nontron, petits boulots, Fanny, Mathieu, exposition, écrire, Espagne, printemps.

On me dit Normandie, je dis Japon. Parce qu’enfin j’ai écrit mon nom, avec fébrilité, pour qu’il soit au milieu des autres.

Mardi 3 avril 2018

Alors, puisque le corps a décidé de s’exprimer, hier soir, refusant de quitter cette chaise, il y a forcément cette histoire japonaise que je raconte : Onomichi, la maison accessible par le petit chemin escarpé, le dos bloqué, la douleur, la pire des douleurs, le miracle des cachets, le corps qui avait peut-être ce jour-là demandé du répit ou montré ses limites, cherchant un signe là où il n’y avait peut-être rien d’autre qu’un problème de dos, toujours là, la preuve, dans un recoin, prêt à bondir après 6 heures dans un fauteuil trop mou et une ambiance trop dure.

Lundi 2 avril 2018

Les vies vécues sous conditions d’extrême dénuement, d’immense destruction, d’immense précarité, ont sous ces conditions d’extrême dénuement, d’immense destruction et d’immense précarité à se vivre ; chacune est traversée en première personne, et toutes doivent trouver les ressources et les possibilités de reformer un quotidien : de préserver, essayer, soulever, améliorer, tenter, pleurer, rêver jusqu’à un quotidien : cette vie, ce vivant qui se risque dans la situation politique qui lui est faite.

Marielle Macé, Sidérér, considérer

Troisième paragraphe, indifférents de la boue.

Dimanche 1er avril 2018

L’amitié est parfois quelque chose de flou. Il y a les amis, les potes, les copains… Et puis parfois au bout de dix ans, puisqu’on fait bien sûr le déplacement pour lui faire une surprise ce dimanche pour ses prochains 50 ans, on fait le bilan. Alors je pense à cette première rencontre pour mon premier vernissage, aux confidences, à cette grande maison tout là-bas en Bretagne, à un déjeuner dans son jardin, aux virées lectouriennes, à une connivence, quelque chose de simple, une temporalité baignée de silences géographiques mais une présence fidèle.

Et puis nous avons repris le même chemin, comme pour écrire un deuxième paragraphe cherchant à définir l’amitié. Le même chemin donc, celui de la veille jusqu’à la plage, éclairée cette fois par le jour. Et nous l’avons poursuivi, vers là-bas. C’était alors, prolongement au-dessus des rochers, marée basse, oui c’était aussi celui d’un soir du printemps dernier après un dîner au 21. Nous avions aimé comment cette côte se découpait au soleil couchant. Je regardais l’horizon.

 

Samedi 31 mars 2018

Un trajet. Une personne noire androgyne qui potasse des fiches. Une jeune femme qui lit des magazines. Un musclor bogosse tatoué qui roupille. Sa copine qui parle soudain un peu fort. Trois mamies qui se passe un téléphone à clapet sur lequel s’affiche le message : « Poils à la touffe ». Ma voisine qui mange des chouquettes. Une babacool qui préfère la salade de lentilles. Des lycéens en terminale S qui révisent.

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Et puis on a voulu voir la mer. Dans le port de Pornic, elle avait déjà offert un petit aperçu, un entrefilet bordé de bateau et dérangé par la question : où dîner ? C’est après qu’on l’a vue, loin, à peine, derrière la plage à découvert. Les rochers étaient glissants, la nuit était tombée et la lune jouait à être encore pleine. Les baskets blanches de J évitaient les flaques d’ombre. Nous partagions l’obscurité.

Mardi 27 mars 2018

Elle défait sa longue chevelure blond vénitien qui se déroule, ondulant, le long de son dos. Vêtue de gris, elle est sur le quai du tram, belle, et le mouvement de la tête et des cheveux offre un moment de grâce qu’une pub pour shampoing ne renierait pas.
A côté d’elle, une autre femme, moins belle pourrait-on oser dire, un peu avachie, faisant un peu la moue, quelque chose de plus rustre absolument pas commercial. Elle tourne la tête, regarde l’autre et, hasard ou mimétisme, secoue la tête pour brasser sa tignasse blonde.
Je ris.

Lundi 26 mars 2018

Mon problème essentiel est que je ne suis pas encore mort.

Mathieu Riboulet ; Le Regard de la source

Vendredi 23 mars 2018

Bordeaux – Paris. Première classe. Les couleurs, les formes, me rappellent la Keihan line, que l’on empruntait parfois pour aller à Osaka. Mais c’est l’Afrique du Sud que je rejoins.

Jeudi 22 mars 2018

Ils installent alors trois fauteuils étonnamment colorés sur la scène sombre, écran bleuté au fond, et autour, éparpillées, les feuilles utilisées dans la mise en scène de ce “Prendre dates” que l’on vient de voir, adapté du texte de Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet, adaptation en mode mitraillette, métaphore maladroite mais pas le temps de dire ouf, l’esprit ne suit pas, je veux une respiration, pour réfléchir, parfois. Le texte, ce sont ces jours, du 6 au 14 janvier 2015, ces jours qui ont figé tout le monde, ces jours que j’ai regardés de loin, depuis le Japon, c’était le soir quand on a su pour Charlie, c’était étrange quand on a su pour la suite, la Porte de Vincennes c’était alors un autre monde, ce n’était plus vraiment mon pays, plus tout à fait.
Dans les fauteuils, ils attendent des questions. Elle ne viennent pas. L’absence de M. Riboulet décédé récemment, semble imposer le silence. Je me demande, mais je ne demande pas, comment l’historien P. Boucheron travaille avec ce genre de distance temporelle
, autre, proche. Comment, quand il évoque les attentats sur d’autres continents, il regarde les distances géographiques… Je crois qu’il y aurait alors eu trop de moi-même dans cette question. Comme dans les phrases que je viens d’écrire, peut-être.

Mardi 20 mars 2018

Elle dit son prénom. Il pleure. Ce n’est rien et c’est tout. Elle n’a presque rien dit depuis qu’elle l’a ramené de la gare, la voici mettant la table, floue, derrière ce visage net éclairé par la cheminée, visage qui cherche à sourire, parce qu’il le faut. Un prénom, donc, presque rien d’autre. Le film se tient sur ça, le peu, un plan fixe très court sur l’escalier en béton d’un jardin, une mère silencieuse, un père qui, en un rien, dit tout. Et puis une pêche, le plaisir dans ce qu’il a d’aussi cru et doux qu’un fruit, le désir, frôlé, là encore, presque rien, un contact, des pieds, une caméra qui se détourne vers les feuillages. Et puis des flous qu’on craint voir se répéter, mais non, ils s’échappent, légers.
En quittant la salle, deux filles me suivent, l’une chuchote qu’elle s’est fait chier. Ch, lui, dira que c’est chouchou. Je comprends que je suis face à une réalité, la mienne, et à ce que j’en fais, alors spectateur du sentiment encore présent, longtemps, toujours, qu’il est dur et beau d’aimer, mais que, comme le dit le père, le chagrin et la douleur sont des sentiments qu’il faut vivre, avant d’être asséché.
C’est dur de ne pas être seul quand on voudrait pleurer. C’est dur de parler d’un film qu’on a aimé. C’est encore plus dur quand il répond aux mois, aux années, passées, à venir, à ce qui se dessine peut-être, à ce qui a éclaté, existé, aux larmes, les miennes ou celles des autres, ici ou sur d’autres continents. Alors au bar, les clips nous emmènent vers le rire. Et Bonnie Tyler articule comme le poisson : dans le vide.

Lundi 19 mars 2018

Il y a eu, hier, 43 images sélectionnées, préparées, envoyées. Trop. Dix de plus que sur le plan, pour se donner le temps de choisir, là-bas, sur place, ou bien avant, ici, dans une échelle convaincante. Au matin je lis que l’espace sera plus petit que prévu. Qu’importe, pourvu qu’il reste encore de la place pour nous deux, pour toi bien sûr, pour moi un peu, que je me glisse, là, à ton invitation, dans ce que l’on a partagé.

Dimanche 18 mars 2018

Il m’avait donné rendez-vous devant la porte rose derrière l’église. C’est d’une porte bleue, en face, qu’il sort, tandis que j’arrive. Il ne se souvient pas que l’on avait échangé pour la première fois en 2011 : je devais alors, éventuellement, poser pour lui, mais cela j’oublie de le lui préciser, tandis qu’on cherche une terrasse au soleil. Nous étions alors voisins, ailleurs, en plein cœur de Paris. Nous le sommes à nouveau, à Bordeaux cette fois. Il ne sait peut-être pas combien j’aime ses photos. Il m’avait dit, encore tout à l’heure, par SMS, qu’il aimait les miennes. J’ignorais, forcément, cet accent.

 

Mardi 13 mars 2018

C’est immense. Particulier. Brut. Envahi. Ce sera bientôt vidé. Toujours autant immense. Mais modulable. Alors on peut tout imaginer. Je peux tout imaginer. Mais vite. Rendez-vous le 3 mai.

Dimanche 11 mars 2018

“Prends soin de toi.”

Prendre soin de soi. Prendre soin des autres. Donner soin. Voir la rime avec tsoin tsoin. Ne pas trouver ça drôle.
Prendre la route. Prendre des virages. Prendre le temps. Oublier de prendre un pull. Avoir froid.
Prendre l’air. Prendre la température de Bordeaux la nuit. Prendre la direction des berges. Prendre une photographie de St Michel éclairée. Comme tout le monde.

Samedi 10 mars 2018

Quarante-cinq cartons. Trois immenses caisses métalliques. Ta vie. Les souvenirs. Les livres. Les cahiers de ta mère. Les initiales de ta grand-mère, brodées ici, là, encore là. Les livres de ton père. Les médailles. Les crucifix. Il y a forcément une émotion, tue, ou remplacée par l’étonnement, par l’épuisement. Nous évoquons, tout de même, pour cette tirelire, la nostalgie.

Tous ces objets aussi. Ils ont été ton quotidien avant d’être le nôtre. Certains, dont tu te sépares et te détaches, vont devenir les miens. Dans un premier élan parce que cela me sera utile, un jour, sûrement. Et puis je crois que j’en suis heureux, de garder un peu de vaisselle, ce vase, bien qu’il soit immense ; c’est peut-être ce qui manquait – indépendamment de ta présence – après mon départ, des symboles de ces années d’avant le Japon, de cette adresse, la nôtre. A force de tout abandonner, on s’abandonne sûrement un peu soi-même.

Mais encore ces assiettes, ce vase, que j’avais achetés, il y a si longtemps. Je les regarde presque avec horreur : elles sont blanches, il est vaguement original, ils sont presque effrayants par leur style et par ce qu’ils représentent de cette vie lointaine, il y a 15 ans peut-être. 20 ? Je les remplace par des éléments de ton ancienne vie, puisque je ne possède presque rien, pas grand chose qui vaille la peine. Ainsi tu me transmets un peu de valeur ? Et de peine.