Mardi 5 mars 2024
Globalement bien sûr c’est toujours un beau texte mais il faut qu’on soit franc l’un envers l’autre maintenant. Qu’attends-tu de moi ?, me dit-il. Jusqu’où je peux aller ou pas ?
Lundi 4 mars 2024
Alors la femme s’approche. Le genre qui a vécu, galéré, long bâton pour marcher… C’est ici la conférence sur l’addiction ? C’est ici.
Dimanche 3 mars 2024
De nouveau glissé sous les épaisseurs du lit – un drap, deux couettes – après avoir avalé un jus de fruits et un bol de muesli au rythme habituel, j’ouvre le catalogue de l’exposition “À partir d’elle”, exposition que j’ai manquée par optimisme – je reviendrai à Paris -, douleur – il n’était plus question d’y aller le 10 février – puis fatalisme né d’un agenda chargé et d’un regard sur le prix des billets de train- tant pis.
La première phrase de la préface du livre rapporte les mots de Barthes dans Journal de deuil : “Sans doute je serai mal, tant que je n’aurai pas écrit quelque chose à partir d’elle.” La phrase éclaire le texte justement écrit le 10 février pour ma sœur. Je mets alors des mots, il est à peine 9h, sur ce besoin d’écrire à la mort de mon père et de ma sœur, vite. Il s’agit, s’agissait alors de me libérer de quelque chose, de faire remonter à la surface une part – peut-être la plus importante, mais pas la seule – de ce que nous étions pour ne plus avoir à l’écrire plus tard. Être moins mal, à supposer qu’on puisse l’être moins dans les heures qui suivent le mot fin, en ne gardant pas en soi.
Et puis le ciel bleu m’appelle. Je dois écrire, mais je sens qu’il faut d’abord m’éloigner un peu de l’écran, alors je vais sur les quais, ça fait du bien de voir les gens, et puis je crois que le livre d’Annie Ernaux entamé hier me ramène à autrefois : les autres plutôt que moi. Les regarder, les dire, certains dans leur solitude.
Samedi 2 mars 2024
J’ai évité le plus possible de me mettre en scène et d’exprimer l’émotion qui est à l’origine de chaque texte. Au contraire, j’ai cherché à pratiquer une sorte d’écriture photographique du réel, dans laquelle les existences croisées conserveraient leur opacité et leur énigme.
::: Annie Ernaux ; Préface de Journal du dehors
Alors je t’écris. Voilà presque deux années que le silence s’était imposé. Je te dis que j’ai trouvé un éditeur, que c’est un peu fou, que j’ai complété la version que je t’avais envoyée en relisant nos discussions, qu’il n’y a toujours ni ton nom ni ton visage. Je précise en riant que je n’ai pas encore relu les moments en septembre où j’avais été chiant. C’est un peu faux. Un peu : lecture diagonale.
Tu es d’accord, tu es même content. Et tu parles des vaches, bien sûr.
Mercredi 28 février 2024
Au milieu de l’écran, au hasard d’un clic sans intention sur le dossier “Photos Rodriguez”, deux petits photos de 1970. Légendes : R R et Sandra 1970, R R et Sandra 1970 2.
Je regarde ces images fixement, je passe de l’une à l’autre.
Je souris du “R R”. Je ne sais pas ce qui amenait mon père à se réduire ainsi à ses initiales sur certains fichier.
Et puis mes yeux se brouillent.
Mon père et ma sœur sont à présent ensemble dans cette absence floue, sans leur rire de photomaton.
Il y a les regrets, les “C’est comme ça”, il y a un peu de honte peut-être, un peu d’amertume peut-être. Il y a ma mémoire qui sélectionne, déplace, recouvre. Je me concentre sur mes souvenirs et il y a une sensation étrange que je ne sais pas nommer ici, et si je savais la dire je ne le ferais pas. Et qui me fait pleurer.
Je regarde d’autres images ; sur une photo chez mémé Lucette, elle a peut-être 19 ans et elle est très belle, ma sœur.
Mardi 27 février 2024
Dimanche 25 février 2024
Sur une page d’un carnet, je note les jours vides, c’est-à-dire les jours sans mots ni images, entre le 3 avril et le 21 septembre 2019, voire au-delà. Comment leur donner une place ? Comment, sans s’abrutir de mièvrerie, et faisant défiler des myriades de smileys et de petits cœurs dont j’ignore le sens que tu leur donnais, je peux parler de nous ? Le manuscrit, attendu, s’étoffe doucement. Mon temps est rongé par le travail, je peux enfin reprendre l’ouvrage. Mon temps, à nouveau, est adouci par le plaisir de chercher ; l’écriture est une douleur exquise, comme un pincement.
Samedi 24 février 2024
Vendredi 23 février 2024
Nous retrouver alors, format inédit de jours successifs.
Lundi 19 février 2024
Il y a, sur l’image que je fais de nous, nous. Toujours je pense à cette chanson de Reggiani, à cette phrase “Et vois la vie qui nous sépare.” Encore, donc. Bien sûr la chanson ne parle pas de nous. Et nous-mêmes ne savons pas de quoi parle la chanson que nous écrivons ensemble.
Il y a, derrière l’image que je fais de nous, ces jours ensemble. Je pourrais y poser à peu près les mêmes mots que le 1er janvier, les mêmes yeux un peu flous. Il y a surtout l’envie de garder la joliesse, d’oublier que tu pars ou de savoir faire avec.
Tu pars avec quelques livres, à ta demande. J’ai envie de te ramener là où tu étais autrefois – il y a 4 ans, c’est ça ? – et tu le veux aussi. Tu en es tout près, à supposer que tu n’y sois pas déjà. Ta curiosité en est le symbole ou la preuve.
Dimanche 18 février 2024
Full of lust, je voulais partir à tout prix. Quitter la laideur, les trous verts moroses sur de grandes étendues grises. Je voulais tout tuer, éradiquer ma ruralité et le désert érotique dans lequel j’ai erré si longtemps – là-bas.
::: Marouane Bakhti ; Comment sortir du monde
Samedi 17 février 2024
Il reste douze places. Combien sont-ils devant nous ? Trop.
Tans pis, marchons. Le bateau, ce sera pour demain, nous serons plus malins.
Bien sûr je t’emmène rue Notre-Dame, cette petite boutique que j’aime et tu l’aimeras aussi. Cet antiquaire ensuite, c’est là qu’une nouvelle histoire se raconte : au milieu des photos en vrac dans une caisse, le même visage androgyne que le 18 novembre, mais une femme s’impose dans la coiffure et le vêtement. Et puis un petit vase bleu, comme celui qui était sur la cheminée de mes grands-parents, opaline ; la dernière fois j’avais hésité. Enfin, un peu plus loin, quelques chats.
Vendredi 16 février 2024
Nous marchons. Tu découvres les bords de la Garonne. Je suis un piètre guide, je sais si peu de cette ville où je vis. Soudain nous croisons les Jean-Luc, l’un me demande comment je vais. Je m’étais étonné de l’absence de message sa part, juste étonné. Je réponds que ça va ; tu es là.
Et puis un appel. Le travail. Le nom de mon directeur sur le petit écran de mon téléphone, l’inquiétude au moment de répondre et les secondes qui suivent, le temps qu’il prononce un nom, un acte. La mort, encore.
Jeudi 15 février 2024
L’auteur est Emmanuel Venet. Nous sommes une douzaine venus l’écouter, c’est si peu. Après la rencontre, j’achète ce livre que j’avais tant aimé : Marcher tout droit, tourner en rond. Il vient de paraître en Verdier Poche et la collection miniature vient justement de prendre un joli virage graphique. Puis je m’approche, me présente, précise ma profession, lui dis combien je partage et défend son discours sur les neuro-ceci et les neuro-cela ; je l’avais écouté, l’autre jour… Une dédicace ? Oui je veux bien. Mon prénom ? Arnaud. J’aurais dû en acheter deux, un autre pour toi, je sais que tu saurais rire de ce livre.
Alors sur le livre, sur la cinquième page, ses mots :
Pour Arnaud,
cette neurodivagation espiègle…
Chaleureusement
Emmanuel Venet
Mercredi 14 février 2024
A Sandra, ma sœur (6 avril 1969 – 10 février 2024).
Sandra,
Nous venons de te dire au revoir.
Je regarde au loin, derrière. Je regarde ce qu’il reste de nous, ce qui a été nous. L’enfance, surtout. Nous deux, nous trois avec Olivia. Sur les photos, bien sûr nous sommes unis et bien sûr c’est plein de sourires.
Un souvenir qui me revient, toujours, c’est la plage de Seignosse, une vague plus forte que les autres, et les rires qui ont suivi : c’est moi qui avais tout pris. Peut-être était-ce le même jour que cette photographie, ci-dessous, où l’on te voit faire le singe. Seignosse, je crois que c’est quelque part le plus beau de notre enfance, même si l’océan était interdit. Le plus beau parce que le moins ordinaire. Les vacances, quoi, plusieurs années de suite. C’est toujours chouette, les vacances, quand on est enfant. Enfin je crois ; on peut s’ennuyer, parfois. L’été il y avait la piscine municipale, je ne sais plus si tu venais.
Tu me contredirais peut-être, tu dirais non le plus beau c’était les chansons avec mémé Lucette, c’était les vendanges, la simplicité d’aller chercher de la luzerne et de nourrir les lapins chez Villain. Ou rire devant Desproges riant de son cancer ? Bien sûr. C’est vrai. Tellement vrai. Se souvenir, c’est mentir un peu, ou ne pas savoir choisir.
Ce qui était chouette, avec toi, quand nous étions enfants, enfin moi enfant, toi adolescente, c’était ton audace. Mais ça, ton audace, c’était pas les vacances, c’était le quotidien, la rue Charles Gide, les copains du quartier. Parmi les souvenirs, l’un est net ; il y avait cette chanson Emma, de Touré Kunda, que j’avais fredonné, tu étais fière, tu riais, surprise, tu avais su me faire sortir de ma bulle de petit garçon timide… Les autres souvenirs sont flous ou disparus, je suppose qu’il y en a eu beaucoup, des moments avec ta bande de copains. Ils avaient ton âge, l’âge d’Olivia, quelques années de plus, de moins, mais quoi, c’était des grands. Oh bien sûr, ça a généré quelques crises à la maison, quand elle allait trop loin, cette audace. Peut-être voulais-tu être grande avant tout le monde.
Il y a aussi ce souvenir que j’ai déjà raconté par écrit, dans ce livre que j’essaie d’écrire sur notre grand-père Antonio : souvenir d’Espagne, avec Elma, notre cousine.1984, j’ai 10 ans, tu en as 15, nous sommes dans un lieu bruyant, une musique de l’époque, des spots multicolores dans un lieu sombre, des punks ou quelque chose comme ça, la movida ou quelque chose comme ça, ma peur, mes pleurs. Tu ne t’en souvenais pas. Qu’importe que j’ai rêvé de ce moment, même si je suis sûr qu’il a existé : c’est notre enfance, celle où tu me prends par la main, celle avant que tu partes de la maison, avant ta liberté : Reggiani, Moustaki… hein, on connait la chanson. Ta liberté.
Tu ne voulais pas suivre le chemin, tu voulais écouter autre chose, d’autres musiques, et être plus hargneuse sur les terrains de foot. Tu les avais dans le collimateur, les chevilles d’attaquantes adverses ! Sanguine ou quelque chose comme ça. Le caractère de papa ou quelque chose comme ça. Battante ? Coriace. Tu l’as été, ces dernières années, coriace.
Il reste aujourd’hui, sur les murs de la pièce de papa, tes dessins à l’encre de chine : Escudero, Brel et les autres. Je ne sais pas pourquoi il reste aussi, dans l’air et dans ma tête, un fou rire né d’un “Quel bonheur !” prononcé pour une banale plante à fleurs sur la table du salon. Voilà : il reste tes éclats de rire, je ne les oublierai pas. Je les garde en moi. Gardons-les tous en nous.
Mardi 13 février 2024
Je viens de loin, de très loin. C’est la première fois que je viens dans ce pays. Mon père est né dans cette maison, il y a cent ans.
Voilà plusieurs jours que je murmure ces mots comme une sorte de répétition ou d’incantation générale pour le moment où je devrai les prononcer. Je me les répète en anglais, ce qui est peut-être une erreur. Aurais-je dû les mémoriser en roumain ? Au contraire, c’est mieux ainsi, pour éviter les déceptions. Pour éviter que les autres ne me répondent en roumain et ne découvrent, un peu frustrés,n qu’à part ces phrases diplomatiques, je ne comprends absolument rien.
::: Eduardo Berti ; Un fils étranger
Lundi 12 février 2024
Alors je lui dis qu’il faut qu’il pense à lui, à comment il voudra se recueillir, comment et où.
Dimanche 11 février 2024
Alors je demande à maman des photographies de l’enfance.
J’ai oublié, hier, de chercher dans cette enveloppe encore marquée “L’Arno” de l’écriture de Fabien et qui est chez moi au milieu de mes images. Ma sœur y est, bien sûr. Il y a, bien sûr, entre autres, celles qui étaient autrefois sur la cheminée de cette maison. Je suis un nouveau né dans un berceau et Sandra est penchée sur moi ; les couleurs ont passé.
Je sors quelques photographies des albums, certaines seront pour ses enfants, son compagnon. Dans quelques heures je les verrai, et je verrai son visage endormi, à ma sœur. On dit toujours qu’ils dorment ou qu’ils sont reposés. On n’a pas les mots qu’il faut.
Et puis, me voici, une autre photo, seul, j’ai 17 ans. Je m’y trouve très beau. Moi seul sait ce qu’il y a en lui, en ce garçon d’alors.
Samedi 10 février 2024
Il est à peine 7 heures du matin et le téléphone sonne. C’est maman.
La vie est partie, au petit matin, elle a abandonné ma sœur Sandra, ou c’est Sandra qui l’a abandonnée, qui lui a dit Laisse-moi.
Je ne sais pas comment dire la mort alors je dis ça comme ça. Je ne veux pas la dire mais elle est là. Je ne veux pas non plus ne pas la dire.
Les heures passent, le silence entrecoupé à peine, quelques appels entrecoupés de pleurs qu’on essaie de retenir. Je ne sais pas quoi faire, où aller. Même à moi-même je ne dis rien.
Et puis je mets de la musique pour rompre le silence, après la superbe Domani E’ un altro giorno d’Ornella Vanoni et l’amoureux Portofino de Dalida, il y a cette chanson que je ne connais pas. J’hésite sur la voix. Je comprends juste qu’elle chante, ou plutôt qu’elle crie la vie. La Vita. C’est Shirley Bassey. Elle dit qu’il n’y a rien de plus beau, la vie.
Et puis je m’assieds devant l’écran, c’est déjà le début de l’après-midi, et j’écris. Un texte sort de moi, sans réfléchir, un texte pour elle, sur elle, nous. Je remonte loin, au doux mot d’enfance, peut-être pour être le plus loin possible d’aujourd’hui.
Enfin (un enfin qui n’en est pas un) je pars de la maison. J’emporte avec moi les mot de Marceline Loridan-Ivens, déportée à Birkenau à l’âge de 15 ans. Page 5, dans le train, je mettrai un petit marque-page autocollant bleu :
Joris Ivens avait raison. Il disait : “Il ne faut jamais perdre son enfance, il faut la nourrir.” Il avait raison. Il faut la garder en soi. C’est elle qui nous apporte tout. C’est elle qui nous permet d’oser, comme seuls les enfants peuvent oser. Quelle chance ils ont ! Ils m’émeuvent beaucoup plus qu’avant.
::: Marceline Loridan-Ivens ; C’était génial de vivre.
Récit écrit par David Teboul et Isabelle Wekstein-Steg
Jeudi 8 février 2024
Il devrait y avoir une image des hommes qui dansent, bougent, l’un contre l’autre, s’éloignent, encore. Mais ils ne diraient rien, en tant qu’ils ne diraient pas l’épouvantable certitude qu’ici, le lendemain en écrivant ça, je ne nomme pas.
Mercredi 7 février 2024
Mardi 6 février 2024
Je crois opportun de livrer au public quelques extraits du journal que j’ai tenu, ces derniers mois, au cours de mes expertises. Dépêché par une agence interspécifique, j’ai pu approcher certaines populations de grands végétaux pour développer le champ de nos droits et devoirs mutuels.
Les échanges effectués avec ces arbres ont été libres et approfondis. Les comptes rendus qui suivent me semblent susceptibles d’en témoigner éloquemment.
::: Jean Echenoz ; Baobab
Lundi 5 février 2024
Samedi 3 février 2024
– Je rentre. Ensuite, je ne sais pas si j’écris ou si je regarde un film. J’ai aussi le tri des photos, beaucoup beaucoup.
– C est quoi l’activité qui te fait le plus envie ?
– Être avec toi. Et ensuite écrire. Mais je sais que regarder un film produira quelque chose de plus reposant.
Vendredi 2 février 2024
Ainsi l’on devriendrait des amantmours.
Mercredi 31 janvier 2024
Mardi 30 janvier 2024
Le premier incendie auquel fut confronté le père Philippe Ligné s’alluma dans sa culotte le dimanche 26 juin 1988, à l’occasion du baptême de Grégoire Mourron : Marie-Ange, la mère du nouveau-né, portait ce jour-là une robe d’été vert pomme au décolleté plongeant, et resplendissait comme une madone.
::: Emmanuel Venet ; Contrefeu
Lundi 29 janvier 2024
Dimanche 28 janvier 2024
Le caddy à roulettes est lourd. Jean-Luc vient de monter les 64 marches en le portant. Le caddy contient des livres, les voilà peu de temps après posés sur le sol.
Je n’ai pas encore rangés dans les étagères ceux arrivés il y a peu – quand était-ce ? Ils attendent à présent, tous, la place qu’ils méritent : ordre alphabétique, nom d’auteur. Tous : 163.