Le premier incendie auquel fut confronté le père Philippe Ligné s’alluma dans sa culotte le dimanche 26 juin 1988, à l’occasion du baptême de Grégoire Mourron : Marie-Ange, la mère du nouveau-né, portait ce jour-là une robe d’été vert pomme au décolleté plongeant, et resplendissait comme une madone.
::: Emmanuel Venet ; Contrefeu
Lundi 29 janvier 2024
Dimanche 28 janvier 2024
Le caddy à roulettes est lourd. Jean-Luc vient de monter les 64 marches en le portant. Le caddy contient des livres, les voilà peu de temps après posés sur le sol.
Je n’ai pas encore rangés dans les étagères ceux arrivés il y a peu – quand était-ce ? Ils attendent à présent, tous, la place qu’ils méritent : ordre alphabétique, nom d’auteur. Tous : 163.
Samedi 27 janvier 2024
Vendredi 26 janvier 2024
Corps pailletés, puissance étrange.
Jeudi 25 janvier 2024
Mercredi 24 janvier 2024
Nous marchons vers La Lucarne. Il est 19h48, ou quelque chose comme ça, lorsque Benjamin me parle de ce gars, Tigre Vert. C’est son pseudo, Tigre Vert. Il pense à lui parce que je parle de celui qui partira au Japon et qui m’a mis dans la confidence, folle aventure. Tigre Vert, c’est à Hong-Kong qu’il habite.
A La Lucarne, Benjamin connait du monde, un peu, moi personne ou si peu. Je ne sais pas si je dois aller parler à ces deux mecs qui ont autrefois été comme des amis, ou quelque chose du genre, et dont j’ai fini par m’éloigner pour de multiples raisons, certaines totalement oubliées depuis. Plus tard, après les quatre courts-métrages que l’on est venus voir, j’irai parler à Yacine, nous parlerons du livre d’Olivier, du spectacle de samedi dernier, de ces courts-métrages dont trois m’ont absolument enchanté, et de ce lieu où nous sommes, là. C’est la première fois que je viens. Sur les murs, d’exaltantes affiches.
Nous repartons, et avec Benjamin nous nous extasions pour le tout début du dernier court-métrage et les croquis qui s’humanisent, se déforment, s’humanisent… Tellement beau. Tellement beau. Nous sommes aussi heureux, je crois, d’être ainsi d’accord. Peut-être que, quelque part, je crains tout de même cela, aussi, d’être trop d’accord avec l’inaccessible.
Et puis je rentre. C’est une fois à la maison que je trouve le message d’Alex. Une copie d’écran envoyée à 19h48 : une photo qu’il aime. Une photo de Tigre Vert.
Mardi 23 janvier 2024
Lundi 22 janvier 2024
Dimanche 21 janvier 2024
Le visage de Rodolfo apparait. Il est beau. Je lui écris, de suite. Et nous parlons de nous. De notre rendez-vous manqué. Déjà nous en avons parlé. Du possible que je n’ai pas vu, que j’ai peut-être cherché à éviter, auquel je n’ai peut-être pas cru. Je ne sais plus exactement. Je me souviens de ce soir, ce bar à vin, nos discussions, mais il était trop tard, bientôt il repartirait.
C’est un autre rendez-vous manqué, le soir, avec Wenders, la salle est comble. Devant moi le dernier ticket est parti. Au revoir. Alors je rentre et je continue de creuser pour écrire, comme tout ce dimanche en pointillé, pour que ça devienne ça : Présence.
Samedi 20 janvier 2024
Vendredi 19 janvier 2024
L’homme monte dans le tram, deux chiens avec lui. Il vit dans la rue, tout le laisse à penser. Il semble tenir un doudou dans sa main, mais il se penche vers l’un des chiens : c’est une écharpe qu’il met autour de son cou, c’est un bâtard blanchi regardant surtout le sol, le poids des ans et du froid lestant son crâne. L’autre chien est comme majestueux, race indéterminée, pelage feu, il se couche et dresse – j’avais écris déesse, lapsus admirable – la tête fièrement. Il y a cette odeur de ceux que la rue amoche.
Jeudi 18 janvier 2024
Mercredi 17 janvier 2024
Tu ne sais pas quoi faire de ce qui s’échappe de toi, ou plutôt de celui que tu es, sans désir, et qui n’est plus le même qu’avant. Maintenant ça te révulse, tu le dis, tu n’es pas sûr du verbe, mais c’est le mot qui vient. C’est ça que tu dis dans ce message vocal que j’écoute en quittant le travail. Je te réponds, je marche et je te réponds, dans une empathie un peu banale. Je garde aussi ma place, spectateur de cet abandon. Alors tu répètes quatre de mes mots à l’écrit :”Pour les autres aussi“, ajoutant un smiley rieur.
Mardi 16 janvier 2024
J’adore quand les montagnes sont comme ça. Comment ? Plus grandes, plus proches. Regarde, la plupart du temps elles sont toutes petites, au loin, parfois comme ce matin on pourrait les toucher. On dit que ces signes de mauvais temps, il va faire moche demain. Non, répondit Guillaume, il a fait moche hier, c’est ça que ça veut dire.
::: Olivier Steiner ; Guillaume
Lundi 15 janvier 2024
Te voici. Ça y est. Ici comme ailleurs tu reprends ta place, certaine et incertaine. Rapidement, l’après-midi, coup de vent, hug, clés, tu dis que je te manque sans le dire au passé. Puis le soir, après que j’ai répété, quand je rentre tu es là, on reprend les habitudes : tu as acheté des bonbons acidulés que tu laisseras, comme toujours, du jus de citron et des crèmes dessert à la vanille, comme toujours, et tout est habitude : je prépare le dîner toi sur le canapé, nous dînons, les gyozas ont eu trop chaud, tu es heureux de manger cela ici je crois, tu choisis le film, une catastrophe française avec Omar Sy qui nous lasse au bout de 55 minutes de supplice. Il faut vraiment que je t’emmène dans mon monde cinématographique, quand bien même ces machins ont l’avantage de pouvoir être abandonnés sans ménagement lorsque la fatigue l’emporte.
Dimanche 14 janvier 2024
Samedi 13 janvier 2024
Je plonge dans nos mots. Mars 2019, avril, etc. J’avais oublié nos premiers instants sur Whatsapp, quelques instants après que tu étais parti, puis le soir, puis le lendemain puis les jours d’après, puis les semaines encore, oh bien sûr je n’avais pas oublié les cerises ou les vaches mais j’avais oublié, comment dire, la teinte de notre histoire, sa lumière. J’avais oublié combien nous étions là l’un pour l’autre, loin. Combien c’était joli, vite. Joli parce que loin, c’est ça ? Dis-moi.
Il y a, dans une chanson de Clara Lucciani, ces paroles : “M’as-tu au moins aimé ?” A chaque fois que je les entends, c’est à toi que je pense.
Je plonge dans nos mots pour écrire, encore, revenir sur nous deux, compléter les vides laissés dans le manuscrit qui attend, pour lui donner une chance. Oublier les images et y mettre des mots. Je risque de m’y cogner, tant pis. Je ne cherche pas la résilience. Ce livre ce n’est pas ça et puis ce mot m’agace. Je ne guérirai pas de toi en nous sortant de nos cendres, je ne deviendrai pas plus fort ; tu restes une blessure mais je suis tellement plein d’autres choses et d’autres émotions que ce n’est pas bien grave.
Vendredi 12 janvier 2024
De toute façon je ne peux lire Marguerite Duras que de juin à octobre.
::: Nicolas
Jeudi 11 janvier 2024
C’est ainsi que j’apprends, par la voix d’Olivier imitant Fanny Ardant, que Rachida Dati avait été nommée ministre de la culture.
Mercredi 10 janvier 2024
Mardi 9 janvier 2024
J’ai cru longtemps que je voulais raconter l’histoire de mon père. Et dans la banale histoire d’un homme banal,
j’aurais glissé la mienne. Puis j’ai compris que ce n’était pas ce dont il s’agissait. Ce dont il est question ici, c’est d’une géographie. Une question de territoires qui se côtoient, se croisent, se chevauchent et s’interpénètrent. Si c’est une histoire de géographie, c’est alors une histoire de frontières souvent fermées et pourtant franchies, infranchissables et pourtant traversées. Au-delà du silence, au-delà de la mort. La tienne.
::: Pascale Dewambrechies ; Géographie d’un père
Dimanche 7 janvier 2024
Samedi 6 janvier 2004
Vendredi 5 janvier 2024
Je retrouve cette foule bigarrée des transports urbains, peu de sourires autour de moi, les joyeuses fêtes c’est du passé, ils font plutôt des tronches d’indigestion ou de gastro. Par exemple cette jeune femme 25 ans voulant en paraître 35, style recherché, lunettes immenses vintage, belle chevelure rousse feu tendance Drôles de Dames, mais elle fait la gueule, air hautain, pas triste non, hautain, détestable, une gueule à faire pâlir les podiums haute-couture, ça fout tout en l’air, on oublie son style, on ne voit que ça. A côté de moi femme indifférente à ma présence, à ses pieds des chaussures qui brillent et au sol un sac de voyage avec des esquisses de Mickey, un trait d’enfance l’air de rien. Au retour, à ma droite, une jeune femme aux longs cheveux blonds qui tirent sur les pointes. Geste un peu fou, je ne vois que cela, je ris discrètement.
Jeudi 4 janvier 2024
Mercredi 3 janvier 2024
Je m’apprête à quitter le CAPC. Je les vois, ils sont deux, dans la nef. Un homme et une femme. L’homme c’est cet Italien qui est toujours à l’entrée d’Arc en rêve. Ils regardent dans le coin là-bas les cordes bleues qui pendent. L’installation est belle, immense, intense, je n’étais pas revenu depuis ce dimanche festif. Ils s’éloignent de ce qu’ils regardent. Alors – j’attends un peu tout de même – je vais voir. Je ne me rue pas. Je m’approche, il y a une petite masse sombre accrochée à la corde bleue. C’est une chauve-souris. Cela m’enchante. Presque, cela me suffit. J’allais partir, alors je pars : je n’ai pas besoin d’autre chose, j’aurais presque pu ne vivre que ce petit moment au milieu de cette immensité bleue.
Mardi 2 janvier 2024
Je ne sais pas comment dire, ni comment taire. Les années passent, les maux des proches n’apparaissent pas et pourtant.
Ils sont dans les pages des carnets griffonnés, mal écrits, brouillons de pensée sans mélodie, brouillons moches sans la délicatesse d’une esquisse, sans la moindre espèce de décasyllabe, sans la joliesse du non dit, sans le trouble d’une image décrite parce qu’on ne veut pas la montrer.
Je n’ai pas dit le cancer de mon père, ni celui de ma sœur. Dans ma quête étouffante de poétiser ce qu’il advient, c’est impossible. Ce ne sont pas des amours mortes dont la douleur est quelque part sauvée – rachetée ? recouverte ? – par l’écriture.
Le 22 mai 2017, c’est le jour où ma sœur nous a appris son cancer. Ce journal se taisait depuis plusieurs semaines, nous étions revenus du Japon le 1er mai, j’imagine que je n’avais pas la tête à écrire. Mon journal dira peu durant plusieurs semaines, il ne dira pas non plus la rupture mi-juillet, même si entre les lignes du 27, on lit l’absence et, dans la citation de Duras, on lit tout : Écrire, c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit.
De mes maux, de même, je dis peu, mais parfois j’arrive à divaguer sur des jours passés presque sans crainte, fin mars 2019, dans un service neuro-vasculaire. <humour noir>Mes nouvelles Clarks en suédine bleue avaient alors été tachées par la vinaigrette et la maladresse de mon prédécesseur dans la queue du restaurant universitaire où je payais alors moins de 4 euros le repas, c’était un peu plus problématique cette histoire de taches que mon histoire d’artère, c’était là pour de bon, même si je garderais toujours les stigmates de la dissection carotidienne m’ayant entrainé sous le surveillance d’internes divers et variés me demandant si j’avais, quelques jours plus tôt, repeint mon plafond, dissection carotidienne ayant généré le fait que mon œil gauche est un peu plus fermé que mon œil droit, ce que je déteste voir sur les photos de moi et ce qui n’arrange rien au fait que je trouve que j’ai le regard un peu tombant quand bien même Alex a dit un jour qu’il aimait beaucoup mes yeux.</humour noir>
Ainsi je plaisante.
Mais ce n’est pas drôle, ses maux, pas drôle. Aujourd’hui c’est une autre étape. Un autre monde inconnu. Un autre horizon de brouillard inquiétant.
Lundi 1er janvier 2024
Et pourtant, il y avait eu ce matin où tout devint grisâtre, où quelque chose dérailla pour toujours, où la maison bleu ciel de Santa Fe perdit son éclat de couleurs, ses rires, sa cadence harmonieuse, comme le son de la petite chanson qu’elles aimaient chantonner dans le patio à l’ombre de la vigne. Les petites filles s’en allèrent. Jamais plus on ne se reverrait. On ne le savait pas encore, mais comment aurait-on pu le deviner ?
::: Carmen Castillo ; Un jour d’octobre à Santiago
Tu portes ce pull vert éclatant alors je te demande de t’asseoir, là. Tu regardes ici ou là, je tourne, je cherche la lumière, l’angle. J’ouvre la baie vitrée pour un peu de recul ; sur la plus belle des photos, c’est-à-dire celle qui aurait pu être la plus belle, je m’approche de ton visage, ton sourire est léger, discret, parfait. C’est d’ailleurs sur tes lèvres que le point se fera, erreur, triste erreur : tes yeux sont un peu flous. Un peu plus tôt ils l’étaient déjà, parce qu’un peu humides.
Et puis voilà, le fatalisme et un train m’emportent, zeugme sur rail. Les heures passent, je m’occupe ou somnole, loupe trop de paysages. Pour la troisième fois, j’entame ce livre de Carmen Castillo. A l’aller, il m’avait exaspéré. Je n’ai jamais lu un récit aussi confus. Je m’agace. Je m’accroche. Je n’ai pas envie de manquer de respect à ce livre, il porte les cicatrices de la dictature chilienne, il est écrit comme un cri, au rythme où les souvenirs reviennent sous la plume ou le clavier, il a l’audace de commencer par ce “Et pourtant” qui est là, inattendu, comme un basculement… mais c’est une lutte pour me retrouver au milieu des allers-retours que fait l’autrice. Et je n’ai pas envie de penser que c’est simplement moi qui ne comprends pas.
Et puis vient le soir. Il pourrait être triste parce que seul mais il est encore chaud du soleil de Marseille, il pétille de ton regard qui reste sur les images. Alors c’est un mouvement qui s’impose, un mouvement, des couleurs. 2024 ? Virevoltons.
Dimanche 31 décembre 2023
Regarder derrière, comme chaque année, par habitude et par envie. Envie de dire merci à toustes celleux qui ont été là, qui m’ont accueilli, aidé, soutenu, regardé, attendu, aimé, accompagné, fait confiance. Et ceux qui se sont laissé regarder.
Envie de citer trois prénoms : Alex, Antonios et Vincent. Un printemps, deux étés, l’un au plus chaud de la saison, l’autre c’était presque l’automne.
Voici l’hiver et vous êtes toujours là, plus ou moins loin des yeux et près du cœur, géométrie variable du temps qui passe, géographie malléable selon les continents qui vous embarquent et les océans qui nous séparent.
Voici l’année finie et tu es avec moi. Nous partageons Marseille, le musée Contini, le déjeuner chez Yassine une deuxième fois — les enfants crient d’abord, on grimace —, le bateau vers l’île du Frioul, ce plaisir d’être ailleurs. C’est un peu toi qui m’y emmène, j’aime.