Jeudi 3 mars 2016

Le parapluie étaient avec les autres, avec les oubliés, oubliés depuis quand ?, trois jours pour le mien. Yokatta !, dit-elle joyeusement, tranchant enfin avec le visage presque grave qu’elle avait à l’entrée.

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Mercredi 2 mars 2016

Le pain que je jette, là, devant la maison, généralement au pied du mur en parpaings, fait le bonheur des oiseaux, petits (moineaux) et grands (corbeaux), et ces moments passés ici pourraient s’appeler “Et je regardais les oiseaux“, même si, bientôt, les insectes s’imposeront dans mon exercice quotidien de contemplation. L’ambiance printanière laisse pourtant imaginer un papillon coloré virevoltant devant la fenêtre, et c’est en effet un ciel bleu qui s’impose lorsque je pars vers l’est, station Shugakuin. Sur le quai, puisque les infrastructures de cette ville m’offrent encore des surprises, il n’y a pas de distributeur de tickets. Le monsieur que j’interroge me répond très lentement, deux phrases simples, et me voilà surpris, par la réponse et la bienveillance, au point que j’en oublie de le remercier, mais je réparerai cette erreur en descendant – et payant – une station plus loin, puisque je ne prends pas le bon train.

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Lundi 29 février 2016

C’était juste un aller-retour rapide, jusqu’à la boulangerie, pour aller chercher le pain. Mais finalement je suis allé en face, voir si elle n’avait pas des carottes, puis un peu plus loin, et puis, finalement, dans la vallée, voir si par hasard… Un peu plus loin j’ai laissé mon vélo trop lourd, et je suis monté, là-haut, histoire de respirer le vide et de ramasser un peu de mousse qui, de retour à la maison, aura – hop ! – disparu, s’étant échappée par les trous trop grands du panier sans que je m’en aperçoive, et ce malgré la crainte, au moment de l’y déposer, que cela puisse arriver. Ce n’est que plus tard qu’elle m’offrira tous ces fromages. Enchanté.

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Dimanche 28 février 2016

Il faudrait parler des petites dames qui attendent, là, pour vendre leurs légumes, leurs crabes ou leur laque, au marché de Wajima. Elles patientent, depuis des années, elles patientent encore ce matin, et tu leur achètes, bien sûr, des carottes plutôt qu’un crustacé ou un bol. Où est donc cette jeunesse qui, en France, anime les étals ? Elle a donc, tant que ça, fuit les petites villes ?
Et puis la côte, au paysage ici gâché par un alignement de petites lumières idiotes ; dès qu’on la quitte, la neige.

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Samedi 27 février 2016

On mange le 3ème chou à la crème et je te dis que c’est tout droit, tout droit jusqu’à la mer. Derrière les dunes et les herbes sèches s’étend la mer du Japon ; au loin, comme à chaque fois, on imagine les Corées et la Russie. Et après les dunes et la mer, il y a les retrouvailles avec Kibo, la gare qui n’existe plus, les écoles qui ferment, l’herbier et l’envie de dessiner – retour à mes 18 ans – la laque si froide et le saké si chaleureux, et les palissades de bambous, parce que s’il fallait retenir une seule chose, ce serait ça, cette manière qu’ils ont de cacher l’horizon.

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Vendredi 26 février 2016

8h10. Train Thunderbird (サンダーバードー). Les bords du lac Biwa, un soleil éblouissant s’y reflétant, des pins, des campagnes et des villages, le charme d’une passerelle puis la tristesse d’un immeuble, la gare d’Ono où l’on aimera sûrement s’arrêter un jour, champs, rizières, quadrillage et tous ces paysages marronnasses de février, herbes sèches, et puis des maisons colorées orange, rouge, vert, et puis des enseignes K’s, Joshin, Ridl puisque ici, parfois, c’est un peu l’Amérique. Le lac est interminable, on le sait bien, c’est une mer dont on aperçoit ici ou là l’autre rive. De l’autre côté il y a les montagnes, qui s’imposent définitivement une fois le lac passé. Alors la neige. D’abord délicate, un peu de sucre glace sur une génoise. Parfois l’horizon se réduit, les tunnels nous avalent, dans les vallées on se faufile. Ici un énorme pilône électrique au milieu d’un petit cimetière. Alors la neige. Vraiment. A gros flocons. Et l’horizon s’efface, c’est un mur gris clair.

A Kanazawa, hôtel, valise, et ce merveilleux réflexe japonais de me prêter un parapluie, noir, large, solide, qui résistera aux plus fortes des bourrasques. Je me réfugie au musée du 21ème siècle, où l’exposition Yuichi Inoue me donne des envies de calligraphie, d’encre noire, de gestes, de caractères devenant poésie visuelle, retour à mes 16 ans peut-être. Puis le parc Kenrokuen, majestueux, la neige se calme mais les parapluies restent ouverts sous les arbres qui se délestent et la couche au sol, fondue, petit à petit imprègne les chaussures. Un peu plus tard je remercie égoïstement la mondialisation et l’économie chinoise en achetant trois paires de chaussettes (sèches) chez Uniqlo. La traversée du parc du château est un moment blanc et surprenant, avant de poursuivre jusqu’au quartier de Higashiyama et d’aller un peu plus loin, là, regarde, il n’y a plus personne. Quelques temples, des rues vides, et soudain ce petit cimetière. Personne.

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Jeudi 25 février 2016

Alors on pourrait raconter à nouveau l’ambiance du bain public, plutôt exceptionnelle ce jeudi en raison de la présence de deux yakuzas – puisque à chaque fois que deux hommes sont très très tatoués on dit que ce sont des yakuzas parce qu’il y a peu de chance que ça n’en soit pas -, deux yakuzas muets, l’air sévère et un dos multicolore que l’on n’ose même pas regarder par peur qu’ils se retournent alors on jette juste un oeil. Leur mutisme est à l’opposé de cette jeunesse amusée et rieuse mais rejoint la froideur apparente d’un jeune homme souple, se grattant l’oreille droite avec le pied gauche et dont les autres particularités physiques sont, par exemple, une morphologie qu’on pourra décrire comme parfaite selon certains canons de beauté et selon l’avis du garçon lui-même, si l’on tient compte de l’insistance avec laquelle il se regarde dans la glace, froid donc, raide, pour le sourire on repassera, jusqu’à ce que l’on réalise que c’est ce danseur, remarqué ailleurs, une scène, il y a un an peut-être, à peine plus habillé.

Mercredi 24 février 2016

Nous ne nous étions jamais rencontrés. Il faisait partie des noms qui revenait de temps en temps, dans les paroles de Yukiko, surtout, qui d’ailleurs est là, elle aussi bien sûr, pour ce déjeuner où il est en retard, parce que c’est loin, Shugakuin, oui c’est loin à vélo.

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Lundi 22 février 2016

Elle porte un tee-shirt dont les motifs, des coquillages colorés fluos, tranchent avec le reste de ses vêtements noirs, mais dont certains reflets rappellent le nacré de ses lunettes, d’un modèle assez courant pour son âge avec quelques fioritures dans les branches. Elle vient pour la première fois, et montre un certain enthousiasme, peut-être dû au fait qu’un jeune et joli professeur lui montre comment utiliser les machines et, éventuellement, lui touche l’épaule ou le bras pour préciser la position à tenir. Elle est dans la moyenne d’âge des clients de la salle à cette heure-ci, mais plus jeune que cette habituée, qui à chaque séance gigote, marche ou abdomine avec entrain et qui aujourd’hui porte un tee-shirt avec l’inscription “Impulses of passion” dans le dos, en lettres scriptes dorées.

(Ah oui j’aurais pu parler du dîner aussi, ça aurait changé de la salle de sport et fait chuter sévèrement la moyenne d’âge des protagonistes… Vous ne connaissez pas Lulu Vroumette ?)

Dimanche 21 février 2016

La rue Omiya, arpentée tant et tant de fois entre l’avenue Kitaoji et son extrémité nord, réserve encore quelques surprises. C’est ainsi que, derrière ce primeur où je ne m’étais jamais arrêté, se cache en fait ce que l’on pourrait décrire comme un mini-marché avec un volailler (et sa femme) et trois autres étals obscurs, au sens propre et figuré, dont l’un seul était ouvert. Le volailler, entre surprise, ravissement et admiration après que l’on lui avait expliqué que l’on ferait cuire le poulet entier au four, pratique d’un exotisme total dont j’ai peut-être déjà fait allusion ici mais je n’en suis pas sûr, le volailler, donc, nous demanda cependant à plusieurs reprises s’il devait couper la pauvre bête ici ou là, cette conversation ayant donc pu faire office de sketch ou de caméras cachée, avec un Japonais hilare devant sa télévision.

La suite de la journée fut moins hilare, mais l’art de Guido Van der Werve, doux mélange tout à fait beneluxien entre poésie et humour, sans hésitation me ravit. Et c’est au bar OIL que cela se finit, où je me vis discuter de je ne sais plus quoi avec une Japonaise immense qui, comme moi, faisait la queue devant les toilettes mais qui, le reste du temps, était artiste.

 

Samedi 20 février 2015

C’est alors que l’on se souvient vaguement de son film, que j’avais vu d’un oeil et toi des deux, dans cet avion de juillet 2012. Évidemment on est un peu gênés, puisque elle est là.

Le film du soir (qui n’a rien à voir) : 蛇イチゴ

Vendredi 19 février 2016

Les visages occidentaux sont rares à la salle de sport. A vrai dire, nous sommes deux dont l’emploi du temps coïncide – et le gabarit aussi. En voici un nouveau, version armoire à glace (sans le brillant du miroir), tirant sur les poids lorsque j’entre et que je l’aperçois là-bas, tirant encore dessus lorsque je me mets en face de lui sans chercher son regard à travers les machines pour tirer, moi aussi, sur ces poids permettant une musculation ciblée des biceps ou des triceps. Ce n’est que plus tard que l’on se salue, c’est à dire qu’il me salue et que je lui réponds, connivence presque obligatoire entre minorités visibles, même si sa minorité est plus imposante que la mienne.

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Mercredi 17 février 2016

Alors, tandis que je profite de l’eau chaude, semble-t-il efficace contre les courbatures, entourés de retraités silencieux, je me fais la même remarque qu’à chaque fois, sur le volume sonore de la musique dans cet endroit, un peu excessif tout de même, non ? La même musique que dans la salle et, vraisemblablement, que dans tout le centre commercial, musique qui s’avère être, je le confirme, de la musique de films.

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Mardi 16 février 2016

C’est la veille, pendant la préparation du dîner, au moment du découpage des carottes peut-être, que  la chanson, pourtant entendue plusieurs fois, s’agrippa à mon oreille ; un coup d’œil sur le titre. Ce mardi, la voici en boucle, 4 minutes et 42 secondes, sans rien pouvoir faire, comme Alfonsina emportée par les vagues.

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Lundi 15 février 2016

Le matin était froid. Il faisait clair dès trois heures. Les hommes se levaient, les mains transies croisées contre la poitrine, le dos voûté. L’intendant passait tour à tour dans le dortoir des ouvriers, puis dans celui des pêcheurs, des marins, et même des machinistes. Il tirait tout le monde du lit, y compris ceux qui étaient indisposés ou carrément malades.

Kobayashi Takiji ; Le Bâteau-usine

Il sifflote sur un de ces airs qui passent dans la salle de sport, discrètement, couverts par le bruit des machine ou par les voix qui en sorte pour donner des instructions. Il sifflote en poussant quelques kilos de fonte, après être passé devant moi, marchant avec une canne, portant aux jambes ce que j’ai cru être des bandages. Il pourrait être né lorsque Kobayashi Takiji meurt, sous la torture, en 1933, à cause d’écrits trop politisés, trop ouvriers, trop à gauche pour le Japon de l’époque. 82 ans, à la salle de sport, vous étonnez-vous ? Oui, peut-être. Mais étonnons-nous plutôt que l’on mourût sous la torture.

Le film du soir : 小川町セレナーデ

 

Dimanche 14 février 2016

Je n’étais jamais descendu là, au bord de la rivière, car l’endroit est inaccessible en vélo, mais bien sûr j’avais vu dans notre quartier, ici ou là, la pauvreté qu’on cache, ces immeubles en particulier… Tu t’étonnes. Nous n’en avions donc jamais parlé ? Et donc ici, plus bas, tandis que l’on chemine, tu prononces le mot bidonville.

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Vendredi 12 février 2016

Je me promets toujours d’aller du côté de ces recoins un peu à part, loin de mon horizon montagneux, ces bouts de ville qui ne sont que ville, même si les avenues de Kyoto pointent toujours du doigt un morceau de vert. C’est le cas ce vendredi, accompagné de D, qui à la sortie de notre rendez-vous a l’idée d’aller manger une glace, parce que oui, là, dans ce bout de ville, il y a un glacier italien, un vrai, même D dit “gelato“. “Oh it’s open today… You see I have Internet on this old telephone” dit-il fièrement en refermant le clapet de son mobile, tandis que je lui montre le mien, Mathusalem way of communicating, dont le clapet ne renferme pas autant de fonctionnalités, faute d’un abonnement adéquat, mais revenons au glacier… Arrivé devant le glacier, donc, eh bien c’est fermé, vacances d’hiver de plusieurs semaines, le roi des gelati est parti chez lui.
C’est donc dans un bar “à l’américaine”, où je choisis un gâteau sous plastique, que l’on s’installa, et que l’on en vient à parler de la mort. C’est à cause du quartier ou à cause du bar ?

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Dimanche 7 février 2016

Depuis l’Europe, les shungas, les estampes érotiques japonaises, semblent être des “objets” presque communs. Mais il n’en est rien et y consacrer une exposition au Japon est un événement (lire à ce sujet l’article de Philippe Pons dans Le Monde). Nous arrêtant devant le musée, un “Oh tiens si on allait voir ça aujourd’hui !” nous fait pousser la porte du musée où se tient l’exposition-événement-ohlala que nous avions, de toute façon, l’intention d’aller voir. Or, c’est dimanche. A l’intérieur, c’est coude-à-coude et touche-touche – champ lexical corporel bien adapté -, et donc l’on fait la queue – hum… – à pas lent pour voir de près toutes ces images habituellement sous le manteau, un manteau duquel dépassent ici les sexes démesurés. Voilà qui change des minettes en petite culotte à la vue de tout le monde dans les supérettes… le Japon n’étant pas à une contradiction près.

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Il n’était jamais venu. Son visage, sa réserve, étaient toujours là-bas, chez lui, chez eux. Ce soir, agréable surprise, il accompagnait D et K pour la projection du soir, le cercle amical et resserré dans lequel nous nous trouvons tous les quatre, ou tous les cinq si l’on ajoute A, étant tout à fait apte à l’y laisser entrer. Le film, Maborosi (幻の光), le premier Kore-eda, agréable surprise, nous emporta du côté de Wajima, village côtier dont on reparlerait ici 3 semaines plus tard.

Samedi 6 février 2016

Lorsqu’on ouvre son cœur à un endroit, à un paysage, sans se laisser influencer par les idées préconçues,  se crée un lien particulier : soudain, le paysage commence à  vous parler.

Yuko Hasegawa, préface de La Route du Tokaido de Thierry Girard.

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Vendredi 5 février 2016

Alors les voici épinglées sur le mur gris clair, un gris qu’on qualifiera de souris ou de tourterelle peut-être. Il peut paraître triste de sceller ainsi leur sort, définitivement objets épinglés ou épinglables, mais tel était leur chemin depuis le début, la solution technique bordelaise leur ayant donné un peu de répit. C’est de tout façon moins triste que le sort humain en général, pas le mien oh non, mais par exemple celui du personnel et des patients de l’hôpital qui jouxte la rivière et qui, depuis que les travaux ont commencé, ne peuvent plus accéder aux berges pour une cigarette, un bol d’air, quelques minutes d’envolées d’oiseaux, une vision plus verte que leur blouse en d’autres saisons.

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Jeudi 4 février 2016

Les Beatles, dont je n’ai pas écouté les chansons depuis une vingtaine d’années, s’immiscent parfois dans d’incontrôlables fredonnements. Ce fut le cas entre 11h50 et 14h20, le temps que le postier, qui m’avait demandé une certaine somme que je n’avais pas sur moi, revienne et puisse encaisser la somme en question, quémandée par le service des douanes après un incompréhensible pli dans la langue locale, de moultes interrogations, quelques inquiétudes et un échange de courriels semble-t-il efficace puisque, oh voilà déjà le postier.
Hey Mr Postmahahahahaaannn, chantonnai(s)-je alors, les paroles refaisant surface sans trop savoir de quel recoin de ce cerveau, qu’il serait bon de vider pour faire de la place pour le vocabulaire japonais… bref…
– Mais pourquoi tu n’as pas payé par carte bancaire ?
– Heu… Ah ben oui c’est vrai ça… Heu…
– Tu vis à l’époque d’Edo, toi…
– Non, Meiji : j’ai un vélo.

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