Je ne lisais plus Têtu depuis des années, 10 ans peut-être… mais c’est un symbole de certaines années de ma vie qui disparait. L’époque où Internet n’existait pas encore… et surtout l’époque où acheter ce journal, fébrilement, n’était pas un geste anodin. Il fallait le prendre au milieu des revues pornos, là où généralement il était bêtement rangé par le buraliste, et le poser sur le comptoir mi-fier mi gêné. Arrivé chez soi, on plongeait dans ce monde qui était soi-disant le nôtre puis on le mettait sous la pile de magazines de mode et de musique en se demandant si la tranche rouge resterait ignorée.
Et puis ces immeubles bordant la rizière, oxymore urbain d’une triste photogénie dans un paysage vers le sud. Et puis Wolfgang Tillmans (et les autres). La photographie montrerait alors quatre hommes assis sur deux bancs, éclairés, jaunes, par les écrans qu’ils regardent. De gauche à droite, un Occidental à chemise à carreaux d’environ 55 ans, un Japonais habillé de noir, un autre de blanc et un quatrième homme avec un bouc et un chapeau. Les bancs sont à 45°, soudain l’écran de gauche est presque uni, un jaune sombre et flou, l’écran de droite montre un animal qui vole, on comprendra sur l’image suivante que c’est une chauve-souris.