Samedi 27 janvier 2018

Je quitte Paris. Le train 8377 va m’emmener. Juste avant que les portes ne se ferment sous l’alarmant vrombissement, j’enfile le masque de tigre qu’il a apporté. L’élastique est un peu usé. Il me prend en photo. Il sourit.

Bien qu’acteur de ce moment sur le quai 9, je recule en spectateur, je regarde la scène, je cherche dans cet au-revoir masqué ce qui fait signe. Le tigre, hasard de mon horoscope chinois, cet animal mordant, griffant, dangereux, est ici un masque rigide et amusant. La porte se referme sur les mois écoulés, à travers le hublot les mains s’agitent un peu.

Il vient de m’offrir un cadeau magnifique tout en précisant que jamais il n’offre ses pièces. Touché, je lui ai dit que j’étais happy. Cette fichue langue dit parfois n’importe quoi, sa fluidité de surface simplifiant maladroitement l’expression des sentiments. Cette langue était un pont glissant et fragile entre nous, entre les rives de nos cultures, de nos habitudes, de nos expériences. C’était une passerelle instable surplombant une rivière brumeuse, malgré les précisions un peu sèches que je fournissais pour dégager la métaphore du brouillard ou la réalité du manque qu’il exprimait. Nous ne nous sommes pas toujours compris. Nous ne nous sommes probablement jamais dit ce qu’il aurait fallu dire. Nous ne nous sommes probablement jamais dit le rien qu’il aurait fallu taire.

Je quitte Paris et tout ce qui y a eu lieu depuis mai, depuis juillet. C’est lui qui est là, sur ce quai de gare. Il est là parce qu’il partira, dans quelques jours, loin, bien loin et parce que je trouvais important qu’il soit là, lui, malgré les précisions sèches. Parce que l’on ne sait pas quand on se reverra.

C’est lui qui est là, peut-être parce qu’il représente ce lieu au fond de soi, où l’on s’interroge. Et derrière lui il y a les autres, d’autres mots, d’autres ponts et d’autres chemins, bien ou mal fléchés, d’autres souvenirs. Il y a un 5 août, un 18 décembre ou un 2 janvier. Il y a un demain peut-être.