Samedi 25 avril 2020

Car nous sommes dans un temps d’attentat, de violence, de respirations courtes, d’hébétudes transitoires, de confusions profuses, un temps de crépuscule, car nous sommes dans des villes hantées par des fantômes, hantées par des mendiants, et quand les uns nous parlent nous entendons les autres, nous tendons des aumônes, nous ramassons des balles, nous allons et venons, traînant des corps lassés, la question de la mort nous cerne en maints endroits et nous ne savons trop où poser nos fardeaux.
::: Mathieu Riboulet ; Les Portes de Thèbes

Nous parlons des absences. De celles qui hier auront fait pleurer S, pris au piège des corps fantômes sans peaux. De la nôtre qu’E déclare dans un “Vous me manquez” dont l’évidence de la réciprocité fait bredouiller une réponse. Nous les lisons aussi : F demande à celui qui est parti de dire bonjour aux étoiles.

Nous parlons des distances. Celle que P, si proche, impose dans ses réponses (quoique délicates) à mes mots presque légers, réponses dont j’entends ou propose des raisons face mon insistance certaine (c’est évident que j’insiste, ce n’est pas si léger) et incertaine (dois-je ?). Celle(s) entre S et moi, distance à la fois ridicule en 2020 et impossible à franchir ni par l’océan ni par le ciel et dont un espoir viendrait de sous la terre, peut-être ; à la fois géographique (744km à vol d’oiseau, mais nous n’en sommes pas) et temporelles (des mois dont on ne sait pas le nom) ; à la fois frontière rigide d’un espace Schengen encore plus fermé et proximité de tous nos visages mobiles ou immobiles sur les petits écrans ; à la fois sa vie et la mienne, nos rythmes et nos désirs d’aujourd’hui et de demain ; à la fois ce qui nous attire et ce qui nous sépare, c’est-à-dire ce qui sépare deux je d’un nous dont on ne sait presque rien. Au hasard des images conservées pour écrire autre chose, il y a eu aujourd’hui, apparaissant sans prévenir, ces phrases si bienveillantes – et probablement un peu tristes – du garçon aux yeux noirs, phrases qui préfiguraient ce que nous n’avons pas pu construire sur nos instables différences. Au hasard des images que montrent S, il y a je crois celui que j’étais à son âge.

Ainsi nos solitudes s’imposent et dans cette fin d’après-midi ensoleillée, après que l’orage a grondé, j’en cherche la sortie, mais je la sais lointaine, par ces initiales qui se confrontent, ou peut-être combattent, sans avoir les mêmes armes.