Tu m’envoies une image, c’est une photo de groupe, tu me demandes dans ta langue maternelle si je t’y reconnais. Tu précises que c’est avec Goldberg ; je présume que c’est l’homme au milieu qui porte une cravate. Je présume que c’était un homme important. Je présume qu’autrefois, j’ai entendu son nom, prononcé, par qui ? Mourousi ? Sur l’image tu as des cheveux chatains, courts et bouclés semble-t-il, je te reconnais vaguement. Dans ta langue je m’esclaffe alors. Que les années ont passé ! Alors je t’appelle mais tu déclenches le mode vidéo et tu vois donc mon visage éclairé par la seule lumière du téléphone : je suis encore au lit. Tu en ris et tu sais m’en faire rire. Ton humour est toujours pointu, il sait me titiller là où il faut, il sait répondre au mien et ton accent Anglo-canado-sudafricain-something ajoute cette petite touche délicieuse qui brille autant que tes yeux ce matin. J’aime infiniment quand nous parlons. Il n’y a, je crois, jamais de moments où la conversation s’essouffle, et même le moment de raccrocher n’est qu’une virgule qui nous sépare de la fois prochaine. J’aime énormément ce que nous sommes, même si…, ou peut-être parce que…, ou peut-être pas assez.
Plus tard, huit heures plus tard peut-être, c’est celui qui nous a fait chavirer qui m’appelle. A vrai dire nous avons tous chaviré ensemble. Ce n’est pas tout à fait le même humour mais souvent il me fait rire. Lui aussi il sait frotter là où il faut, chez lui, chez moi, chez les autres, pour en rire, dans son accent à lui, dans les mots parfois qui trébuchent. J’aime quand nous parlons, c’est un autre infini, une autre dimension, tant de fois m’appelle-t’il en ce moment, pour me raconter comment lui, comme les autres, comme tout ça, et les années qui nous séparent sont parfois des guides, comme l’est mon regard différent sur le monde, comme l’est le sien pour moi, son regard, noir, noir et lucide. Toujours, je crois, il dit que je lui manque. Et puis la ville aussi.