Il est 9h12. Je n’ai pas eu de difficulté à me réveiller deux heures plus tôt, comme une envie de sauter dans ce lendemain, et après si peu de sommeil, d’en rire, de mettre des smileys qui rient aux larmes pour en effacer d’autres, car c’est moi, je balaye tout ça, j’avance, j’ai les boules mais j’avance, je rumine mais j’avance, je ne t’en veux pas mais je refais le film au risque de t’en vouloir, je répète tes mots au risque de les haïr, je t’écris au risque de lire tes réponses, je te pose des questions au risque de m’en poser d’autres : je cherche à éteindre le feu qui a embrasé le rien de paille sur lequel je dormais mal et seul, et donc ici j’écris ces mots que tu liras sûrement, sans savoir qui est ce “tu” si c’est toi ou si c’est l’autre, parce que je sais que toi, tu aimes me lire, parce que je ne sais pas si toi, tu me lis. Vos tu se mélangent comme hier vos corps et j’ai besoin d’en laisser la trace, pris au piège de l’écriture, encore, pour que peut-être ça devienne beau, tout ça, en quinze lignes qui s’acharnent à détourner ce qu’on a à peine eu le temps d’être (ou, dirais-tu peut-être, ce qu’on a simplement été et qu’on est encore ?) et qui s’acharnent donc à vouloir dire qu’on ne sera pas, parce que ça a plus de gueule, même trop maquillée, qu’un haussement d’épaules ou qu’un silence qui attend. Je pense à ton visage et j’en cherche tout de suite d’autres, comme tu as peut-être pensé au mien en regardant le sien, perdu ou éperdu.
Il est 9h12 et S m’écrit : “Grandma passed away. I had a dream about her telling me that I should take care of myself and that I always remind her of her beloved brother. Woke up with a text from my sister telling me she passed.” S, initiale partagée, S pour vous deux sans cédille, puisque bien sûr il y a toujours le fantôme d’A et son visage sur l’écran, celui de S aussi, tout cela se mélange, je me perds, comme je vous perds vous là qui me lisez, dans les lettres sifflantes comme dans les pensées, les incompréhensions, les mots, le souvenir bien sûr précis de toi qui bougeais à peine contre moi. Alors le soir nous parlons, mon visage et celui de S se regardent, je souris bien sûr, nos visages se répondent, je puise dans les bonheurs qu’on m’offre tel l’éclat de ses yeux, dans les espoirs que je n’offre peut-être pas en disant, à demi mots, que c’est presque impossible. Je blague. Nous rions. Encore. Pendant 45 minutes il y a des interférences, de son côté une voiture qui passe bruyante, du mien des nuages, mais je ris, je veux lui offrir un peu de joie teintée de mensonges, mais non je ne mens pas, tout comme je crois que tu n’as pas menti : je propose, j’hésite, je me prends de plein fouet ce qui fait qu’on est là, à se tourner autour, à dire et à s’entendre dire des douceurs et des désirs auxquels on croit ou l’on voudrait croire, un court instant.
Et puis je pense à J, perdu dans ce même monde où l’on dit et ne dit pas.