Le passage dans la boîte de nuit intervient : c’est E qui en parle soudain. Nous sommes attablés et elle jaillit. E n’a pas trop aimé le film. Il s’est ennuyé. On l’a su, par les coups d’œil jetés sur l’écran du téléphone, comme un éclair qui pouvait illuminer son visage. Mais il y a cette scène. Elle est belle, belle comme, je crois, toutes les scènes de films dans les boîtes de nuit. Comme dans Domaine, surtout, ça y est on y revient à ce film, Dalle, il n’y a que Dalle (rires) et mon souvenir est fugace : il me reste une sensation. Comme tant de mes souvenirs. Que me rappelé-je, toujours ? Comme pour les films d’Ozon, que me rappelé-je précisément pour vous dire alors qu’il y a toujours ce truc, un peu inquiétant, ce basculement attendu ou probable, oui c’est peut-être ça, ce sentiment que ça va basculer, que ça peut, mais cette fois, c’est dit. Dès le début, alors on attend. On attend comme dans ce Chabrol dont je cherche le nom, je ne le dis pas. Souvent j’aurais tant à dire, mais ça reste là, ça ne sort pas. Ça vient après, ici, ça s’écrit.
Donc, voilà, je ne vais pas plus loin lorsque je vous dis qu’il y a toujours ce truc chez Ozon, parce que soudain ma mémoire bloque. Quels films ? Je ne sais plus. Comme souvent, je n’ai que le souvenir vague d’une émotion, ici d’un cumul qui sort je ne sais d’où. Tout le reste a disparu. C’est peut-être ce qui fait de moi quelqu’un d’émotif : il n’y a que cela qui reste. En vérifiant plus tard, je saurai que, dans tous les films que j’ai vus de lui, il y a ce truc, ce truc qui va un peu ailleurs, dans une présence, dans un rat géant, dans un inattendu.
Mais donc il y a la boîte de nuit. La scène superpose une foule joyeuse et un slow de mes onze ans, where he says he is sailing sur des eaux orageuses pour être près de toi, pour être libre. Les chansons anglophones de ma jeunesse sont sans paroles, c’est-à-dire sans le sens de leurs paroles ; la musique l’emportait. Cette chanson est comme les autres, plus que les autres sous l’indifférence. Il y avait peut-être chez moi, déjà, un peu de snobisme à ne pas vouloir aimer les chanteurs à brosse. Il y avait peut-être rien d’autre qu’un air qui ne m’accrochait pas. Pourtant samedi je la susurrerai, la fenêtre ouverte.
Mais donc il y a la boîte de nuit. Peut-être parce que nous ne dansons plus.