Il y a la douceur d’être là, de parler, ainsi, au soleil ou à table, douceur familiale toujours tue ici, comme si les mots ne suffisaient pas, comme si les mots ne savaient pas dire, comme si les mots n’avaient pas besoin d’être. Parler des plantes, d’une recette, d’un arbre étêté, des amis, d’un nid, de cette petite erreur du 16 juillet puisque c’était une perche, de ces candidats télévisés qui ignorent ce qu’est l’eau de Seltz et un cyclope, ou de son absence quelques heures. Faire silence aussi, de son absence quelques heures. Un entre deux, par petites touches, pianissimo.
J’ai déjà évoqué ici ce moment où le fils de Marguerite Duras lui demande pourquoi elle n’a jamais parlé de l’amour maternel. Elle s’insurge délicatement, c’est faux, tellement faux, mais lui il doit dire vrai, au fond de lui il doit se dire ça, je ne suis pas là. A tort ? Il est là, quelque part, entre les lignes, dans les silences, dans le taire, dans ce qu’on ne montre pas, c’est tellement évident pourquoi le dire ?
De la même façon vous êtes là.
Toi aussi tu es là. Mais avec toi, l’amour-amitié se dit. Il n’y a rien d’évident au départ, il n’y a pas le sang, ça se construit, ça se reçoit autrement, ça se donne, ça se stimule et c’est ainsi que ça s’évidence. Le point commun c’est qu’il faut être là, aimer c’est faire acte de présence et faire place ; alors parfois c’est juste un signe, un déjeuner dominical impromptu, un retour après des semaines, une pensée dont l’autre ignore pourtant tout. Tu me le dis à la fin d’une phrase puisque souvent cela revient : “comme toi aussi je t’aime.” Le soleil est encore là, fort, bientôt caché, enfin l’ombre, une autre douceur, bientôt encore pour quelques tomates, un filet d’huile d’olive, un fromage qui a perdu de son moelleux, une fraîcheur au matcha. Et encore nous parlons des autres, comment on aurait peut-être dû mieux les aimer par exemple, comment on saurait leur faire une place par exemple, comment on a ri par exemple, et encore nous parlons de ce livre dont la construction s’achève et où, dans quelques passages où tu es tu, plus tard la nuit venue, redeviendras E.