Lundi 9 novembre 2020

Les mains de Paul font merveille. Gabrielle ne se lasse pas des mains longues de Paul. Elle sait depuis le début qu’il partira, qu’il la laissera, parce qu’elle a seize ans de plus que lui et qu’elle lui a tout appris des femmes, ce qu’un homme comme lui ne saurait pardonner à aucune femme. Paul est un jeune chien un sauvage un rusé ; il fait sa cour, il butine, il coule des regards de velours, il s’aiguise, il s’affute, il a vite appris ; il plante ses crocs, il sera capable de tout, il ne sera pas recommandable. C’est son type d’homme, elle le sait depuis longtemps ; elle sera déchirée, comme jamais elle ne l’a été, c’est le prix à payer, le prix de l’ivresse.
::: Marie-Helène Lafon ; Histoire du fils.

Soudain, hier, était apparu le mot goulée. Ce mot, c’est celui de ma mémé, à l’heure de la collation, une petite goulée, c’était des tartines de pâté, de beurre et de chocolat Poulain. Parfois on en grattait les carrés, les petites épluchures recouvraient l’épaisseur du beurre, ça donnait un tout autre goût ; le pain était tendre. Hier, c’était dimanche, justement, ç’aurait pu avoir ce goût, vers 17h.

Il n’est pas étonnant que l’écriture de Marie-Hélène Lafon, qui m’a encore accompagné ce soir, me ramène à cela, à autrefois, ma grand-mère Raymonde, aux habitudes de la campagne, à l’accent et au patois saintongeais, à la terre. Peut-être à Lucette aussi, mais l’écrivaine chétive n’a pas son gabarit.

Elle nous échappe, la terre, celle qu’on touche, elle nous échappe, nous citadins et souvent je dis que ça me manque, un jardin, un petit lopin. Elle se fait discrète, la terre, sauf sur quelques légumes, circuit court, goût long.

Il y a, dans le livre de Mauvignier terminé samedi, un livre fleuve, livre torrent emportant des caillasses, il y a ce personnage que j’aime tant, ce personnage de paysan, ce lieu, ces vaches à peine offertes aux lecteurs par quelques mots, et la terre donc. C’est, je crois, au fond de moi, une des raisons pour laquelle j’ai aimé le livre : la présence de ce qui m’a fait, la campagne, celle qu’on touche, qui sent la betterave hachée, le fumier, celle qui coupe la luzerne à la faucille et où les mains frottent le tissu rugueux du grand sac dans lequel on la fourre.