Dans cette boutique étroite, où l’on s’interroge sur les distances que l’on devrait appliquer, où l’on se dit que les règles sanitaires disparaissent sous l’accueillant moelleux d’une écharpe en laine péruvienne, il y a surtout ses yeux, brillants, clairs, ceux-là mêmes que je n’avais jusqu’à présent vu qu’à travers quelques images sur quelques réseaux sociaux. Dans cette boutique, il n’y a que ces yeux : le masque s’impose sur son visage. J’y décèle pourtant, soudain, son sourire.
Je te dirai plus tard que j’étais heureux de ce moment avec toi, toi qui connaissais ses yeux. J’étais heureux parce que cela reprend et rejoint ce que j’écrivais l’autre jour, à savoir l’idée du faire, et surtout du faire ensemble, comme nous l’avions expérimenté dimanche. Je comprends qu’être, et son extension grégaire et amicale être ensemble ne me suffit pas en ce moment. J’oserais presque dire que cela ne m’apporte rien si ces mots ne risquaient pas d’être mal interprétés. L’être ensemble ne donne que du dire et je crois que j’ai besoin parfois de silences. Peut-être pour mieux apprécier les miens.
Bien sûr, ensemble, après être sortis de cette exiguïté aux tentations multiples, nous parlons. De lui par exemple, ses yeux bien sûr. Du matin souriant. De nous. De demain. Des passants. Des instants et de ce qu’ils valent. Et encore nous parlerons puisque je t’appellerai un peu plus tard après que tu auras préféré rentrer chez toi. Je t’appellerai pour revenir sur tes mots qui avaient été suivis de mon silence. Je m’en voulais. Ou plutôt, sur le moment, je n’avais pas su quoi dire et puis le flots des phrases avaient recouvert cela. Chez moi les mots étaient remontés à la surface. Comme rarement, j’avais alors senti la nécessité d’un appel et, dans la nécessité de cet appel, ce que nous sommes, toi et moi, l’un pour l’autre.
Alors encore nous avons parlé. D’être.