Mardi 8 juin 2021

Cher G,
Imagine donc que j’ai repris ce soir la route vers le monde du spectacle ! Je suis allé voir une pièce qui s’appelait Oratorio Animal Vigilant, à la Manufacture. J’étais au premier rang, sur une de ces enfilades de sièges soudés qui vous font suivre le mouvement de votre voisin, tu vois ? En l’occurrence le voisin de gauche, à deux reprises, lorsqu’il a posé ses coudes sur ses genoux, son menton sur ses poings, captivé, je suppose, par le spectacle. Je ne me rappelle plus à quel moment c’était, premier, deuxième ou troisième opus. Il s’est avancé : mon corps a suivi, poussé par mon siège. Il ne s’en est même pas rendu compte ; je trouvais d’ailleurs qu’il m’ignorait un peu trop. Je le regardais parfois, j’essayais d’imaginer la tête qu’il pouvait avoir sans son masque. Bref…
J’avais eu cette même position, en avant, comme ça, un certain temps, au début : j’étais étonné et surtout j’essayais de prendre part, en quelque sorte, à ce que je voyais. Je crois, quelques jours plus tard, tandis que je t’écris, que je prends enfin réellement conscience de la force de tout cela. Les deux premiers opus, avant l’entr’acte, m’avaient vraiment laissé interrogatif. C’est souvent le cas, je vois un truc sur scène, je ne sais pas trop si j’aime ou pas, je me demande souvent si vraiment je devrais avoir un avis en sortant, et si oui lequel. Il y avait ce parti pris intéressant que les “rôles” des narrateurs, des hommes, soient joués par des femmes. Je me demandais si c’était réellement utile, quel en était le sens exact, mais… bref… ils/elles racontaient leurs histoires, des histoires d’assassinat pour le premier tandis qu’elle se recouvrait de trucs plus ou moins liquide… bref je ne vais pas te raconter tout, de toute façon j’ai un peu oublié (oui oui) ce que la deuxième racontait, une histoire d’amour foireuse je crois.
C’est au troisième opus que, évidemment, le tout s’est construit. Il était porté par une actrice absolument fabuleuse, un truc d’assez fou, animal – je te passe les détails sur la présence de son corps et notamment de sa poitrine – grimpée sur des chaussures improbables. Elle a commencé par tomber. Une fois. Deux fois. Trois fois… et encore… et encore… Moi qui croyais être venu voir de la danse et qui depuis une heure voyait du théâtre, j’avais enfin quelque chose qui y ressemblait, à de la danse. Bref… Leurs histoires ne m’intéressaient pas vraiment, mais physiquement, alors que les deux autres actrices l’ont rejointe sur scène un peu plus tard pour croiser les récits et les corps, il s’est vraiment, pour moi, passé quelque chose. Bon, ça a parfois frisé le “trop”, ça m’a fait pensé à du Wajid Mouwad quand il frise le “trop”, tu vois ? Ah oui, sinon, en fond de scène, depuis le début, il y avait deux musiciens et une vidéo, la musique était vraiment présente, c’était vraiment bien, pour la vidéo j’étais moins sûr mais bon… Bref… C’était vraiment pas mal, je suis content d’y être allé.
Et toi ça va sinon ? Tu en penses quoi de cette idée de rendre mon journal épistolaire ? J’suis pas sûr, moi… Tu sais, j’y avais pensé en arrivant au Japon, ça me semblait pas mal pour raconter le quotidien, mais finalement j’avais laissé tomber l’idée. Tu me diras…
Bises.
A.