Mardi 28 septembre 2021

Je me souviens d’être venu, un jour, au 118 de cette chaussée, chez le chef de service médical du personnel des usines de clefs à mollette. Il m’avait reçu dans une salle à manger de vieux chêne, lourde et cossue, et nous avions ensemble caressé, de la main, des créneaux prélevés sur les murailles de Samarkand, blocs véronèse qui soutenaient deux globes, le terrestre et le céleste, en bronze massif.
Jacques Audiberti ; La Fin du monde

Je pense à autre chose, parfois, tandis que deux hommes et quatre femmes dansent sur la scène de la Manufacture. Je pense et grogne d’être ainsi parasité par des pensées diverses, qui jamais ne durent longtemps, mais qui grignote ce moment qui devrait être respecté pour ce qu’il est. Je pense par exemple à cette conférence que je vais devoir animer le 19 octobre, c’est idiot, on se demande ce que cela vient faire ici. Peut-être que le spectacle m’attrape difficilement, parfois, et que mon esprit y trouve une brèche. Je suis pourtant au premier rang, au plein milieu, on peut difficilement faire mieux, surtout lorsque l’un des danseurs se plante là, face à moi et qu’il se met à bouger seul. J’hésite à l’écrire au pluriel, seuls. Mais les brèches sont vite oubliées dans les moments de grâce ou de force, portés notamment par les deux percussionnistes. Pendant les bravos l’un d’eux se plantera, là, face à moi, et s’inclinera. Le visage de Noé Soulier, alors à gauche, aura pris quelques années depuis cette photographie que j’ai tant.

Et puis je rentre, la nuit est fraîche, et c’est au retour que j’envoie un mot à C pour le remercier pour l’attention et l’éclat de rire en lisant la carte glissée dans un Kawabata. Je repense alors à cette phrase de F à propos de C, la première fois – peut-être la seule – que nous avons dîné tous ensemble : “Je ne savais pas qu’il pouvait être drôle.” Je ne disais pas tout quand je parlais de lui.