Nous ne pensons pas, lors du dîner, qu’il conviendrait de célébrer notre anniversaire, alors qu’il y a quelques jours je te le rappelais, alors qu’il y a trois ans nous nous rencontrions. Il y a pourtant un gâteau, de ceux-là même qui accueillent facilement une ou quelques bougies. Qu’aurions-nous dit de nous, là, ce soir, si nous avions rappelé ce soir d’automne ? Qu’aurions-nous dit de nous, en la présence d’O, que l’on ne s’est pas déjà dit ? que je ne n’ai pas écrit ? qu’on n’a pas fait comprendre ? Dans toute histoire, quelle qu’elle soit, il reste de toute façon quelques taire.
Notre amitié est-elle plus forte que l’histoire d’amour qui aurait pu naître de nos caractères et de nos idéaux, de tes mots et de mes silences ? C’est ce que le temps semble prouver.
Il reste de ces moments avant que l’amitié ne naisse ou ne s’impose, puisqu’il faudrait se demander si elle n’avait pas déjà pris racine le premier soir autour de cette bière – et probablement une deuxième pour continuer à parler -, quelques souvenirs dont je souris et que j’hésite à évoquer ici, dont celui d’un long baiser sous deux parapluies. Je crois pas qu’il y ait beaucoup, dans toute ma vie amoureuse, de moments comme celui-ci, dans une rue, avec ce quelque chose supplémentaire qui serait comme cinématographique et que, si je ne me trompe pas, tu as relevé.
J’aime ce souvenir de nous même si je demande un peu ce qu’il fait là, au regard de ce que nous sommes devenus, et pourquoi j’en viens à le rappeler ici, noir sur blanc, comme le nouveau virage d’une écriture jusqu’alors pudique, tout comme mes baisers l’avaient toujours été et le sont toujours, loin des rues et des gens.
Ce soir, à ma table, tandis qu’on oublie cet anniversaire, O t’accompagne et l’on pourrait alors, glissant sur les années et les coïncidences, se rappeler là aussi ce qu’on a partagé lui et moi.
Ce soir, je vous vois tous les deux, dans cette paire harmonieuse, lui devenu un autre, sa réserve perdue, joyeux et hilare, dans sa beauté frappée par cette lumière timide provenant du plafond tandis que nous jouons.
Et soudain me voilà troublé : pourquoi la lumière est-elle si basse ?