Dimanche 3 avril 2022

Je l’avais reconnue dans la côte, tandis que l’on se rendait au cimetière. “Elle est encore en vie, Michèle S ?” avais-je demandé à ma ma mère. C’était elle, en effet, puisque la voici au cimetière, elle aussi. Je suppose que la dernière fois que je l’ai vue c’était aux obsèques de ma grand-mère, en août 2001. Elle m’aurait reconnu, dit-elle : je ressemble tant à mon père. Mme S, sa mère, était la voisine de ma grand-mère Lucette. C’était aussi, surtout, la meilleure amie de ma grand-mère, du moins c’est ainsi que je les vois. Je ne sais plus son prénom. Quand j’y repense, quand je repense au fait que ma grand-mère avait une meilleure amie, cela me semble étrange, doux. J’ai tendance à n’avoir gardé en mémoire que la solitude – due au veuvage dès ses 44 ans – de ma grand-mère. Ainsi, c’est mieux. Moi qui en ce moment écoute des podcasts sur Proust, me voilà plongé dans l’analyse de la réminiscence des souvenirs, et plongé dans l’espoir que me revienne l’odeur de la cuisine de Mme S. Mais ce que je me rappelle, là, c’est l’odeur de la peau de ma grand-mère quand je l’embrassais.

Le soir-même, en écrivant ce journal, je veux d’abord parler de “ça”, les alignements de tombe, les phrases laissées sur les dalles de marbre, la mort, la crémation, ce moment avec ma mère à aller dans un cimetière puis un autre, à partager cela, même s’il aurait été bien plus souriant de parler ici des autres moments passés ensemble ; c’est très souvent léger, joyeux, entre nous. Drôle, aussi, nous rions. Les pleurs sont rares ; on ne cherche pas à tous les enfouir. Bien sûr mon père intervient souvent, tant nous ramène à lui. Tant est aussi entassé, dans les armoires, dans les tiroirs, il faut se résigner, petit à petit, se dire “à quoi bon garder ça”. Je comprends, là, que j’ai envie de raconter tout ça, les chaussettes de foot, les maillot de cyclisme, le nœud papillon, la collection de timbres.

Le soir, en écrivant ce journal, je me dis qu’il y a sans aucun doute une forme de violence ultime dans la crémation, mais elle offre une autre présence : un peu de nous devient un nuage.