« Regardez. Regardez. »
Nous étions accroupies dans notre soupente, sur les planches qui devaient nous servir de lit, de table, de plancher. Le toit était très bas. On n’y pouvait tenir qu’assis et la tête baissée. Nous étions huit, notre groupe de huit camarades que la mort allait séparer, sur cet étroit carré où nous perchions. La soupe avait été distribuée. Nous avions attendu dehors longtemps pour passer l’une après l’autre devant le bidon qui fumait au visage de la stubhova. La manche droite retroussée, elle plongeait la louche dans le bidon pour servir. Derrière la vapeur de la soupe, elle criait. La buée amollissait sa voix. Elle criait parce qu’il y avait des bousculades ou des bavardages. Mornes, nous attendions, la main engourdie qui tenait la gamelle. Maintenant, la soupe sur les genoux, nous mangions. La soupe était sale, mais elle avait le goût de chaud.
::: Charlotte Delbo ; Aucun de nous ne reviendra: Auschwitz et après, I