Vous direz qu’on peut tout enlever à un être humain sauf sa faculté de penser et d’imaginer. Vous ne savez pas. On peut faire d’un être humain un squelette où gargouille la diarrhée, lui ôter le temps de penser, la force de penser. L’imaginaire est le premier luxe du corps qui reçoit assez de nourriture, jouit d’une frange de temps libre, dispose de rudiments pour façonner ses rêves. À Auschwitz, on ne rêvait pas, on délirait.
Cependant, objecterez-vous, chacun n’avait-il pas son bagage de souvenirs ? Non. Le passé ne nous était d’aucun secours, d’aucune ressource. Il était devenu irréel, incroyable. tout ce qui avait été notre existence d’avant s’effilochait. Parler restait la seule évasion, notre délire. De quoi parlions-nous ? De choses matérielles et consommables, ou réalisables. Il fallait écarter tout ce qui éveillait la douleur ou le regret. Nous ne parlions par d’amour.
::: Charlotte Delbo ; Une connaissance inutile
C’est étrange, qu’en penses-tu, d’être là ainsi, toi et moi ? Mais comme autrefois, je te dis de ne pas sourire. Difficile : tu gigotes et t’amuses.
Me voilà dans ta ville, ta ville depuis une année bientôt, Lyon. Tu es mon guide, tu pointes ici ou là quelques-unes de tes habitudes, tu en proposes d’autres demain, et je découvre la ville dont j’ignore tout ; tout de suite je l’aime, comme un amour un peu fou avant le retour à la raison.