Bus. Le chauffeur donne quelques instructions, confuses, il est fébrile. Quelques minutes plus tôt, aucun des passagers attendant à Clermont n’était sur sa liste, ni la fille devant moi, ni moi, ni les gars derrière, oh c’est vrai il disait. J’étais très calme, persuadé dès le début qu’il ne regardait pas la bonne liste, et puis tout s’est réglé, tout s’est calmé en lui aussi asi il a fallu du temps.
Alors quand il dit comment se tenir et combien de temps va durer la pause – il n’en sait pour l’instant rien – il reste un peu confus, et gêné, car en plus les toilettes sont fermées et en cas d’urgence, il peut les ouvrir mais ça va puer, dit-il avec une formule alambiquée que je ne note pas. Il dit qu’on peut manger dans le bus mais il se prend les pieds dans le tapis pour nous dire d’être propre ou discret au téléphone. Ça ne va pas si bien que ça dans sa tête, même si tout le monde est là.
Derrière moi ça discute en langue d’Europe centrale, et à ma droite, en scout, qui voilà ?, le jeune type qui avait assisté au dépouillement la dernière fois, jeune mec de bonne famille, bingo.
Alors je me plonge dans mon livre et je ne fais que ça de tout le trajet, je dévore, pris par l’histoire improbable et j’ai besoin de ça, ne rien faire d’autre, je l’ai déjà dit ici, après une lecture de Camille Laurens ou La Maman et La Putain, il faut ça, parfois, du temps.
Le bus s’arrête, aire d’autoroute, le Puy de Dôme est masqué par les arbres, mais on voit les horizons de la veille. Je m’approche du scout, je lui dis “Vous vous souvenez ?”, je précise. Il se souvient. Il dit que c’est lui qui avait mis le bulletin Jésus. “Vous croyez qu’il ferait un bon président ?” je demande. Il dit, je m’éloigne un peu impoli, l’esprit ailleurs peut-être. Je suis content qu’il n’ait pas voté Le Pen : l’habit de scout ne fait pas le moine.