De ces trois petites chambres dans lesquelles pendant presque quarante ans a vécu et travaillé Gaspard Winckler, il ne reste pas grand-chose. Ses quelques meubles, son petit établi sont partis. Il n’y a plus, sur le mur de sa chambre, en face de son lit, à côté de la fenêtre, ce tableau carré qu’il aimait tant : il représentait une antichambre dans laquelle se tenaient trois hommes. Deux étaient debout, en redingote, pâles et gras, et surmontés de hauts-de-forme qui semblaient vissés sur leur crâne. Le troisième, vêtu de noir lui aussi, était assis près de la porte dans l’attitude d’un monsieur qui attend quelqu’un et s’occupait à enfiler des gants neufs dont les doigts
se moulaient sur les siens.
La femme monte les escaliers. Bientôt le vieil appartement deviendra un coquet logement, double liv. + ch., cft., vue, calme. Gaspard Winckler est mort, mais la longue vengeance qu’il a si patiemment ourdie n’a pas encore fini de s’assouvir.
::: Georges Perec ; La Vie mode d’emploi
Il ne s’agit pas de haïr les dimanches mais bien plus, je le sais, les samedis soirs sans envie, avec cet incurable et presque étrange ennui – étrange tant il ronge – né de l’absence des autres autant que d’un Autre unique. La solitude des samedis soirs revient peut-être ici subrepticement comme disparait l’été, sans savoir pourquoi, malgré tout, puisque nul ennui ne devrait naître du temps qu’on a enfin pour des images à traiter, des textes à écrire, des pages à lire, des films à voir, ni naître de ceux qu’on a vus plus tôt et qu’on était joyeux.