Il ne faut pas laisser le dernier vendredi de novembre être ce qu’il est.
Parce que, de toute façon, la mort de mon père est une pensée de chaque jour je crois. Devant l’écran c’est l’impression que j’ai. Je pense peut-être tous les jours à lui, même subrepticement, et je pense peut-être tous les jours au fait que je n’écris pas sur lui.
J’ai oublié les dates précises des autres disparus. Je veux oublier celle-ci aussi, je ne veux pas qu’elle fasse sens – c’est-à-dire : je ne veux pas qu’elle donne l’impression qu’il y a cette date et aucune absence autour d’elle. J’espère la noyer dans ma mémoire fragile, comme les autres dates. Ma mémoire oublie ça, je le constate. Avant je les savais, les jours sur le calendrier.
Il y a des vendredis matins où le téléphone sonne, des soirs où la nuit rappelle un parking d’hôpital, des dimanches où je pense à son dernier dimanche où je ne suis pas venu, des nuits où il apparait dans un rêve.
Oh, je m’attache aux dates, parfois. J’y vois des symboles, des coïncidences, des croisements, et c’est joli parfois. C’est bien si c’est joli. Le dernier vendredi de novembre 2020, j’ai passé un scanner. Ce n’était pas joli, mais c’était rassurant. C’est aussi ça, un dernier vendredi de novembre, alors.
Le dernier vendredi de novembre ce pourrait être le jour où j’ai embrassé un bel inconnu aux yeux noirs dans un bar avec la foule autour, c’est rare, si rare cette foule autour et les copains par-ci par-là dans le bar parce que petit à petit dans cette ville je suis moins seul, ou différemment accompagné. Le dernier vendredi de novembre ce pourrait être ce jour où j’ai envie d’expliquer combien je suis vivant, fichtrement vivant, à 48 ans, et combien j’essaie de l’être avec la solitude qui me tire par les pieds et tous ceux qui m’emmènent par le bras. Toi tu es un peu là depuis quelques semaines, tu es là sans l’être vraiment, nous sommes là sans l’être entièrement, je crois que tu attends de moi des conversations. Alors il était là, lui aussi, titillant cette écriture au bord d’un précipice intime. Je sais qu’elle voudrait s’envoler.