Mercredi 7 décembre 2022

On regarde ces photos que j’ai faites de toi. Nous sommes d’accord sur deux choses : tes yeux et puis la première image. C’est la meilleure, c’est ta préférée. Tu t’en amuses aussi : tu aimes t’y voir dans un paysage de coton. Je ne sais pas ce que tu fais de l’entièreté de tes jours mais je soupçonne que tu arpentes un peu ces paysages, que tu t’y reposes. Peut-être que tu t’ennuies souvent mais tu ne le dis pas. Parfois je dis, aux autres, que tu me rappelles celui que j’étais à ton âge, ou à l’orée de celui-ci : cette quête d’un autre cinéma, cette manière indistincte de s’habiller, cette sacoche à laquelle tu tiens. L’oisiveté née de la quête – ou de l’attente – d’un travail, je l’ai connue, aussi, j’étais un peu plus jeune.

Nous regardons le film, presque entièrement ; tu t’étais endormi si vite. Ce qu’il manque, ce début que nous ne revoyons pas, je l’ai oublié. Je creuse, je ne sais pas. Je ne sais pas ce qu’elle fait là, elle, dans cette auberge. Je ne sais pas pourquoi j’ai oublié, du moins j’espère ne pas savoir pourquoi. Non, je ne m’étais pas endormi. Ou bien l’ai-je oublié.

::: Luis Buñuel ; Le Fantôme de la liberté