Je ne sais pas si c’est leur visage, le vrai, qui éclabousse le mur de ma cellule d’une boue diamantée, mais ce ne peut être par hasard que j’ai découpé dans des magazines ces belles têtes aux yeux vides. Je dis vides, car tous sont clairs et doivent être bleu ciel, pareils au fil des lames où s’accroche une étoile de lumière transparente, bleus et vides comme les fenêtres des immeubles en construction, au travers desquelles on voit le ciel par les fenêtres de la façade opposée. Comme ces casernes le matin ouvertes à tous vents, que l’on croit vides et pures quand elles grouillent de mâles dangereux, écroulés, pêle-mêle sur leur lit. Je dis vides, mais s’ils ferment leurs paupières, ils deviennent plus inquiétants pour moi que ne le sont, pour la fillette nubile qui passe, les lucarnes à barreaux des immenses prisons derrière lesquelles dort, rêve, jure, crache un peuple d’assassins, qui fait de chaque cellule le nid sifflant d’un nœud de vipères, mais aussi quelque confessionnal au rideau de serge poussiéreuse.
::: Jean Genet ; Notre-Dame-des-Fleurs
Tu es un souvenir, un deuxième. Trois peut-être. Cinq années déjà. Mais tu es ici à présent : oui tu vis ici à présent. Nous nous retrouvons devant la fontaine des Quinconces, c’est simple. Avec moi il y a JL. Avec toi il y a A. Nos amis avec nous, ces retrouvailles n’en sont presque pas : les conversations vont rapidement ailleurs, au milieu des brocanteurs. Ici une table, là des fauteuils. Jusqu’à ce qu’arrive J, ses deux mètres et son audace étriquée dans un bermuda bordeaux et sa gouaille : “Mais tout le monde connait Arnaud”, crie-t-il à qui veut l’entendre. Qui ne le connait pas, lui ?