Mardi 7 novembre 2023

Je m’assieds en face d’elle, direction Carle Vernet. Je regarde discrètement son visage grave ; la fatigue de la journée semble d’ampleur, on la sent dans son geste pour déplacer son sac. Peut-être est-ce au-delà : les soucis de la veille, la mère malade, le mari parti, le rendez-vous du lendemain, les enfants qui ne donnent pas de nouvelles, la santé c’est pas ça. Ce sont alors ses mains qui s’imposent, appuyées sur le pommeau de son long parapluie de plastique transparent, ses mains qu’on dira bicolores : vitiligo. Appuyer le regard est impossible, elle sait qu’on la regarde, là. Sur son visage, nulle trace.

Cela me rappelle Dave, année 2008. Cela me rappelle qu’iels ne sont plus souvent dans ce journal, les passant·e·s, les assis·e·s, les debout, les inconnu·e·s de tout ordre. En la voyant je me dis qu’il faut que j’y revienne, qu’iels reviennent. Iels ont été remplacé·e·s par des silences et des tutoiements discrets parce que toi, toi, toi aussi, vous êtes quelque part où je m’accroche et où j’ai envie d’accrocher mon histoire actuelle.

Carle Vernet, elle est déjà descendue, je change, une station, je marche, m’y voilà, la Manuf, j’arrive un peu en avance comme toujours, je suis alors au premier rang, comme presque toujours, au milieu, là, pile, bam. On échange trois phrases avec les deux femmes à ma droite, toujours les mêmes phrases sur les sièges qui basculent. Et puis ça commence. Graces. Dès les premières secondes on rit. On rira beaucoup. On sera un peu gênés, peut-être, d’être ainsi impliqués, regardés, écoutés, sollicités. Mais quel bonheur, quelle folie. Grazie!*

* Chercher une autre chute.

Graces-Silvia-Gribaudi-©Giovanni-Chiarot-zeroidee
::: Silvia-Gribaudi ; Graces / Créditphoto : Giovanni Chiarot / Zeroidee