Je ne sais pas comment dire, ni comment taire. Les années passent, les maux des proches n’apparaissent pas et pourtant.
Ils sont dans les pages des carnets griffonnés, mal écrits, brouillons de pensée sans mélodie, brouillons moches sans la délicatesse d’une esquisse, sans la moindre espèce de décasyllabe, sans la joliesse du non dit, sans le trouble d’une image décrite parce qu’on ne veut pas la montrer.
Je n’ai pas dit le cancer de mon père, ni celui de ma sœur. Dans ma quête étouffante de poétiser ce qu’il advient, c’est impossible. Ce ne sont pas des amours mortes dont la douleur est quelque part sauvée – rachetée ? recouverte ? – par l’écriture.
Le 22 mai 2017, c’est le jour où ma sœur nous a appris son cancer. Ce journal se taisait depuis plusieurs semaines, nous étions revenus du Japon le 1er mai, j’imagine que je n’avais pas la tête à écrire. Mon journal dira peu durant plusieurs semaines, il ne dira pas non plus la rupture mi-juillet, même si entre les lignes du 27, on lit l’absence et, dans la citation de Duras, on lit tout : Écrire, c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit.
De mes maux, de même, je dis peu, mais parfois j’arrive à divaguer sur des jours passés presque sans crainte, fin mars 2019, dans un service neuro-vasculaire. <humour noir>Mes nouvelles Clarks en suédine bleue avaient alors été tachées par la vinaigrette et la maladresse de mon prédécesseur dans la queue du restaurant universitaire où je payais alors moins de 4 euros le repas, c’était un peu plus problématique cette histoire de taches que mon histoire d’artère, c’était là pour de bon, même si je garderais toujours les stigmates de la dissection carotidienne m’ayant entrainé sous le surveillance d’internes divers et variés me demandant si j’avais, quelques jours plus tôt, repeint mon plafond, dissection carotidienne ayant généré le fait que mon œil gauche est un peu plus fermé que mon œil droit, ce que je déteste voir sur les photos de moi et ce qui n’arrange rien au fait que je trouve que j’ai le regard un peu tombant quand bien même Alex a dit un jour qu’il aimait beaucoup mes yeux.</humour noir>
Ainsi je plaisante.
Mais ce n’est pas drôle, ses maux, pas drôle. Aujourd’hui c’est une autre étape. Un autre monde inconnu. Un autre horizon de brouillard inquiétant.