Jeudi 30 mai 2024

Je l’ai pris et je l’ai mis dans le temps gris, près de la mer, je l’ai perdu, je l’ai abandonné dans l’étendue du film atlantique. Et puis je lui ai dit de regarder, et puis d’oublier, et puis d’avancer, et puis d’oublier encore davantage, et l’oiseau sous le vent, et la mer dans les vitres et les vitres dans les murs. Pendant tout un moment il ne savait pas, il ne savait plus, il ne savait plus marcher, il ne savait plus regarder. Alors je l’ai supplié d’oublier encore et encore davantage, je lui ai dit que c’était possible, qu’il pouvait y arriver. Il y est arrivé. Il a avancé. Il a regardé la mer, le chien perdu, l’oiseau sous le vent, les vitres, les murs. Et puis il est sorti du champ atlantique. La pellicule s’est vidée. Elle est devenue noire. Et puis il a été sept heures du soir le 14 juin 1981. Je me suis dit avoir aimé.
::: Marguerite Duras ; L’Homme atlantique

J’ai 50 ans. Depuis 0h30 ce jeudi 30 mai. C’était un jeudi, aussi, le 30 mai 1974.

A minuit et 31 minutes de ce jour commençant dans la nuit, j’avais éteint l’ordinateur sur lequel j’avais regardé un peu du film entamé vendredi. J’avais eu envie de m’offrir la beauté du cinéma, même si je la massacrais en coupant le film, emporté à chaque fois par le sommeil.

Et puis, après la nuit, écourtée parce qu’à 8 heures venait le plombier qui sonna finalement à 7h46, il y a eu le jeudi, le vrai, sans eau chaude comme le seront les jours qui viennent et avec tout ce qui fait mes jours chômés : les photos, les mots, les livres, une amie, des sourires. Et des vœux d’anniversaire.

Parmi les vœux, quelques mots sur mon livre : “magnifique et bouleversant”, m’écrit par exemple Nadège. Je découvre une émotion née des mots des autres. Une émotion qui efface celle, vertigineuse, d’avoir 50 ans.