Il n’y a pas que des silences chez toi. Ainsi, je reconnais les premières notes de la chanson tandis que je râpe la courgette. J’ai oublié le titre du morceau, je dis « Cranberries« . C’est Dreams. Premier album du groupe, découvert l’année suivante. J’ai écouté ça jusqu’à l’épuisement sans doute, j’avais 20 ans. C’est la période de ma vie où la musique était au-delà de tout. 1994, c’est l’année où Hole, Suede, Elastica, Portishead, Veruca Salt, Divine Comedy, Nirvana, The Cardigans hantaient mes soirées de solitude. Et Morrissey, tellement.
J’ai encore quelque part deux ou trois cassettes contenant des enregistrements de l’émission de Bernard Lenoir. Ou bien c’est parti le jour où j’ai jeté une partie de ma vie. J’ai encore quelque part ce qui n’existe plus.
Ensuite, tandis que je coupe les tomates, il y a Linger, Cranberries encore, même album. Je n’arrive pas à chanter, pas même à fredonner, je sens que ça va être faux. Ta présence retient ma voix, pourtant tu aimes quand je chantonne et sifflote, tu l’as dit. Tu dis tant sur moi, dans une sincérité déconcertante.
Une fois à table, après que tu as arrêté What’s Up? de 4 Non blondes juste avant les Hey-ey-ey-ey du refrain, tu reparles d’amour. Ton regard sur le monde est bleu et inédit. Tu bouleverses les attendus par la profondeur de ta pensée, la lumière de tes mots, ton bonheur d’aimer jusqu’à – ou grâce – l’égoïsme. Mais je regrette déjà ce qui est en train de se produire : je sais que demain j’aurai oublié.
