Aller au Chili me confronte, évidemment, à l’histoire du pays et à une réalité moins légère que le sentiment de liberté que j’évoquais hier. Le Chili porte encore les stigmates des années de dictature, 44 ans après le coup d’état. Ainsi, hier, passant devant une maison où des banderoles évoquent cette période, P m’explique que ce fut un lieu de torture. Il me raconte l’utilisation des fours de l’Université pour faire disparaître les corps. Il me raconte sa grand-mère, sympathisante du pouvoir, pourtant empoisonnée avec une minuscule dose d’arsenic lors d’une fête et morte des années plus tard des effets du poison ; il ne comprend pas très bien non plus cette contradiction et m’explique dans une grimace que oui, sa famille était sympathisante pour des raisons économiques.
Cette journée, évidement parsemée des couleurs chaudes des rues, va sans que je l’ai prévu sur les traces de ce passé déchirant, déchirant toujours le présent. Par la visite de La Chascona, la maison de Pablo Neruda, fortement détériorée lors du coup d’état. Par la visite du cimetière, un moment long (à propos duquel je prévois d’écrire bien plus que cette phrase), un moment long comme la liste des noms sur le mur des exécutés politiques. Par mon passage sur la place d’armes, où soudain je regarde autrement ces personnes austères sortant de la messe avant qu’une procession de la Sainte Vierge n’anime la place par une sono catholique envahissante. Par une dernière image, celle d’une maison comme les autres, dans le quartier “Londres”. Aqui hubo muerte, écrit en lettres rouges sur le soubassement de la façade. Aqui torturaron a mi hijo, écrit en lettres jaunes sur la partie basse de la porte. Et des prénoms, blancs. Blancs comme leur visage effrayé. Blancs comme leur fantôme.