“Oh elles sont belles tes chaussures !” La petite fille sourit ; un sourire satisfait. “Elle attendait ça“, me dit le propriétaire de la boutique d’à-côté où mon choix avait failli se porter sur des chaussures plus colorées que celles que je suis en train d’essayer, tandis que le père de la petite (probablement le frère de l’autre, il y a un air) est descendu chercher une autre pointure d’une autre couleur : le 42 ça n’allait pas. Elles seront donc chocolat, c’est de saison — vous n’avez pas acheté des truffes ? — finalement c’est aussi bien que la version noir profond qui me faisait de l’œil en vitrine depuis des mois.
“Et celles-ci ?” Ma pointure avait été achetée par un japonais, alors on se met à en parler du Japon, du style des Japonais, les tissus, les coupes…
Il m’avait proposé de les garder aux pieds, malgré la pluie. C’est donc avec un certain plaisir que me voilà donc assis à une table du bar-restaurant du Lucernaire, parce que les chaussures neuves, vous voyez… À ma droite deux femmes remontent le temps et les anecdotes, elles en sont en 1981 et j’attends CK qui sera en retard. Et puis cette femme entre, lunettes ovales, coiffure datée, manteau cintré, on est soudain quelque part à la fin des années 50, peut-être un peu après, même son visage est d’autrefois. Elle aussi vient écouter Marie-Christine Barrault nous plonger dans l’Europe des lumières, quand Frederic II et Voltaire usaient de bons mots, entre deux airs, flûte et violoncelle. Plus tard elle fera la grimace : le vin, c’était pas ça.