Le 27 avril, ai assisté au fond du Mie-ken à l’inauguration d’une coopérative agricole. De bonnes têtes réjouies et cuites comme de la brique, d’énormes cocardes épinglées sur des vestons noirs trop chauds, et comme toujours en pareille circonstance : beaucoup d’allées et venues affairées et hors de propos. Les discours – six en tout – suivis d’un hymne tout cela au garde-à-vous. Puis banquet à de grandes tables où chacun recevait son bento et son saké dans un emballage d’un goût parfait. D’une table à l’autre, nombreuses visites (des hommes du même village qui ont été séparés par le placement) à quatre pattes et je t’en reverse et bientôt en voilà qui s’endorment la jour contre la table ou les bras en croix sur le tatami. Cette société m’a accueilli avec une gentillesse sans réserve et de plus, ce que ces paysans étaient parvenus à réaliser était d’un intérêt évident. Cependant au bout de deux heures, je trouvais déjà le temps long parce que, d’une certaine manière, il n’y avait personne dans cette salle : une somme considérable de bon vouloir, de correction et de travail, une âme collective répartie dans ces corps noueux et bien frottés. Mais personne.
Nicolas Bouvier, Le vide et le plein (Carnets du Japon – 1964-1970)
Tu me demandes alors si c’est à lui que je m’adresse en utilisant le tu.