Dimanche 19 janvier 2020

C’était je crois le 2 février 2018, à la cité scolaire de Nontron. Elle avait oublié les photographies qu’elle devait m’apporter. J’en fis peu de cas, comme avec les autres élèves, et d’ailleurs, c’était beaucoup mieux comme ça, souvent. Ils me racontaient les images, la circonstance de leur prise de vue, ce qu’on y voyait. Souvent ils se trompaient.
Elle me raconta l’une des images en précisant d’abord le lieu : une chambre d’hôpital où elle se faisait soigner pour un cancer. Elle me dit que l’infirmière entra, avec des clowns, et qu’elle prit une photo d’elle dans son lit. J’imaginai alors une vue de loin, la jeune fille entourée des murs tristes de la chambre et de tout l’inévitable matériel médical.
Le lendemain, elle m’apporta les photos. La première aurait mérité à elle seule une histoire mais allons tout de suite à celle qui nous intéresse. Elle ouvrit donc la chemise cartonnée, et me tendit l’image, une photocopie laser couleur remplissant un A4. Ses lèvres rouge vif se détachaient sur des teintes douces et blanches ; c’était un portrait très serré, sur sa tête un foulard.
L’image était magnifique. J’avais rarement ressenti une telle émotion : la veille d’abord, et puis là.

Lorsque, quelques mois plus tard, nous avons fait l’exposition liée au projet, elle ne voulut pas monter cette photographie. Elle accepta que je la garde, nonobstant un subjonctif présent. Depuis, je l’avais égarée.

Ce dimanche soir, une fois rentré chez moi après qu’on avait parlé des ambiances d’hôpital sans clowns qui entrent rigolards dans une chambre d’enfant, il me prit sans hésitation de ranger mon appartement : il méritait qu’on remît un peu d’ordre pour accueillir potentiellement, le lendemain, JLM, qui devait passer chercher je ne sais quoi. Mon regard se posa sur cette immense publication, posée dans la petite corniche, qui commençait à se tordre. Depuis des mois, je l’ignorais bêtement. Je l’attrapai, la feuilletai. L’image y était, glissée entre les feuillets : lèvres rouges, teintes douces.