Je pourrais alors écrire dans un carnet, rien que pour moi, ce qu’a été cette journée, pour ne rien en oublier. Je me demanderais ce qu’il y aurait à dévoiler ici, alors que j’aurais envie de tout dire ici, tellement le tout est joli, simple, amusant parfois, souriant toujours, et puis fort, oui fort, soudain, parce que l’on a partagé toi et moi l’émotion produite par l’exposition d’Irma Blank au CAPC, et que cela m’a fait un bien fou, encore plus fou parce que ce n’était pas prévu : déjà nous nous étions dit au revoir. Déjà, deux fois, oui deux fois, nous nous étions dit au revoir. Sur ce trottoir face au salon de coiffure puis sur mon pas de porte avant que R n’appelle pour reporter mon arrivée et pour nous offrir tout ça sans le savoir. La troisième fois ne fut peut-être pas la plus difficile, puisque il y avait eu ces heures inattendues qui prononçaient plus fermement le mot “bientôt“. Elles avaient aussi dit le mot “encore“, puisque tu m’avais demandé quels étaient mes mots préférés, et que j’avais parlé de ceux que j’aime écrire : “ainsi”, “encore”, parce qu’il font glisser les phrases. Et puis “ailleurs”. Alors, au revoir, il fallait lâcher ta main : déjà nous nous étions accrochés, temporalité folle d’une rencontre qui donne envie de s’élancer, même si l’on sait ce que cela peut donner sous l’effet des questions qu’on n’a pas encore posées, du vent et des orages d’été, un paf, un pschittt, un bof.
Déjà tu m’avais regardé repasser ; tu avais mis du Debussy. Déjà tu m’avais dit que tu parlais beaucoup, déjà nous avions ri de ce qui trainait chez moi et des espaces blancs du musée, déjà nous aurions pu danser. Déjà la langue espagnole revenait, dans cette alternance de fluidité et de heurts, dans ces zozotements castillans qui n’étaient pas pour toi : tu viens de ce pays qui aurait pu ne pas me faire exister. Déjà tu m’avais montré ce que tu créais, ces lignes ou ces petits objets de cuir, que tu avais enroulés là.
Une photographie pourrait nous illustrer. Peut-être que je choisirais ton sourire de 12h38, peut-être la veine de mon bras que tu avais attrapée avec mon Nikon. Déjà nous avions partagé cela, déjà nous aimions les mêmes images : tu avais dit “Non, pas celle-là, elle montre trop.”