Elle pense à tout ça – ou plutôt ça lui traverse l’esprit, l’histoire de Bergogne, en le regardant, en observant les flaques d’eau sur le parking encore trempé de la pluie de la matinée, malgré la lumière qui brûle les yeux sur l’asphalte troué, cabossé, et dans les flaques les reflets des nuages blancs et gris-bleu, les éclats de soleil sur la carrosserie blanche du Kangoo, un blanc aveuglant quand le soleil perce les nuages gris acier ; Bergogne fait quelques pas en l’attendant, elle le regarde encore et elle s’en veut un peu de lui faire perdre son temps, il a autre chose à faire qu’à l’attendre, elle le sait, elle est un peu agacée par tout ce temps perdu à cause de connards qui ne savent pas quoi faire de leur vie ni comment gâcher celle des autres.
::: Laurent Mauvignier ; Histoires de la nuit
Mon corps est lourd. Ainsi je reste là. Le matin d’abord, là, sous la couette, à regarder quoi ? un bout de série, Kore-Eda, c’est mièvre mais japonais, cela produit donc son effet sur moi, c’est-à-dire ce sentiment que ce n’est pas totalement inutile, que ça servira, pour la langue au moins. Lorsque l’heure du déjeuner approche, mon cœur est assez léger pour que le corps le devienne ; on a dit qu’il y aurait des frites et nous en avions ri.
Au retour, le corps reprend ses droits. On m’avait dit “Tu as l’air fatigué.” On ne peut le nier. Le corps est lourd, il reprend sa place. Le corps a eu le temps de faire quelques courses, et un passage à la librairie après avoir discuté, là, au coin de la rue ; j’aime la douceur qu’ils ont de parler ainsi.
Alors le corps se retrouve là, comme le matin, un autre épisode, mais il s’endort. Au réveil il refuse de sortir, il dit non, c’est trop. Il lit.