Samedi 24 octobre 2020

Ta voix, enfin, croise la mienne. Hier, j’avais d’abord aimé t’entendre dire quelques mots, avec ce S qui te donne tant de mal, qu’alors tu chuintes ou dédoubles. J’avais ri, aussi ; ce n’était pas voulu de ta part, tu n’avais alors dit qu’un mot : “Fantastique.” J’avais peut-être ri comme on cherche à recouvrir d’autres émotions : ta voix s’agrippe encore en moi.

Nous parlons. Je suis sur le chemin du retour : je reviens du cimetière. Je m’étais arrêté, à l’aller, ici ou là, cherchant, dans ces espaces tant et tant arpentés, d’autres couleurs, un coin de mousse, une herbe plus acide que les autres, ô bien sûr encore la caresse des chevaux, quelques champignons peut-être. Nous parlons de ta situation, améliorée, de ces objets qui naissent de tes mains et de ton désir de faire. Rapidement, tu me demandes s’il y a quelqu’un, pour te rassurer peut-être. Non. Alors je te dis ce qui remplit ce type de vide, les projets, les listes, les tâches ; je précise à peine les lieux et les instants où cela manque qu’il n’y ait personne, je donne un exemple, la solitude des samedis matins, tu dis que tu comprends.
Je ne te dis pas les lieux virtuels et les instants à mes yeux inutiles où je fais en sorte qu’il y ait de moins en moins de monde : je ne veux pas que tu t’y croies inclus. D’ailleurs nous inventons décembre : vu les circonstances, on n’attend plus, on invente.

Je reviens donc du cimetière. Dans le besoin et l’envie de faire silence, pour ne pas prendre les chemins trop arpentés, trop griffus, trop éreintants, de la parole, c’était le lieu qu’il me fallait. J’ai nettoyé la tombe, recouverte partiellement de cette sorte de poussière humide et collante dont on se demande comment elle résiste aux pluies. J’ai tout de même dit quelques mots – ô non je ne crois pas qu’on m’entende, mais je crois qu’il faut continuer à leur parler – pour m’excuser de marcher ainsi, pour commenter la crasse ruisselante, pour m’étonner ou sourire encore – agacement / compréhension / fatalisme – de la présence de certaines plaques de marbre au milieu des vingt-trois. Vingt-trois ! Vingt-trois objets posés là, sous les saisons, depuis 1995 ou 1999. Joueuse, la mousse vient s’y lover.