Ils avaient tant joué à mourir dans les bras l’un de l’autre, qu’en la trouvant ensanglantée au milieu du salon, il a éclaté de rire, convaincu d’être devant une mise en scène, quelque chose de grandiose, pour le surprendre cette fois-ci, le terrasser, l’estomaquer, lui faire perdre la tête, l’avoir.
Lâchant le sac plastique jaune, le matin même elle lui avait dit de sa voix enjouée Tu achèteras du thon car le-thon-c’est-bon, il comprenait qu’elle était morte puisqu’elle avait les yeux ouverts, le regard fixe et tenait, entre ses mains, sa blessure, le couteau planté là dans son sexe.
::: Wajdi Mouwad ; Anima
Soudain, sans que je m’y attende vraiment, j’ai eu envie, enfin, le soir venu, de remettre la main à la pâte et le nez dans les projets dits “japonais” qui, depuis plusieurs semaines, n’avancent pas. Il y a plusieurs raisons à leur stagnation, d’une part une faisabilité incertaine, et d’autre part quelque chose de plus insidieux : une certaine lassitude née d’une solitude certaine, entraînant l’esprit vers une sorte de vide abyssal duquel s’extirpent pour moi, heureusement, les images et textes produits plus ou moins quotidiennement, peut-être par la grâce d’une sorte d’obligation de les produire, sans doute par le plaisir né, sans cesse, de creuser de ce côté, sans risque ni épée de Damoclès, sans doute aussi parce qu’il me semble difficile de ne plus faire trace. Ce vide est peut-être ce que d’autres nomment ennui, un mot que je dis toujours ne pas connaître, peut-être par aveuglement. Mais qu’importe le mot. Il n’y a pas, là, à côté, un Autre qui me regarde faire, ni un Autre qui lui-même, fait. C’est peut-être là où je te regarde autrement, c’est peut-être là, à cet endroit de toi, que tu es un piège : lorsque je te dis que c’est beau, que dis-je d’autre ?