Nous ne nous connaissons pas. C’est-à-dire que nous ne savons de nous que les si nombreux messages échangés et les heures en visio. Tu es dans cette ville qui n’est pas la tienne, dans ce pays-île qui n’est pas le tien, toujours à cette même distance évoquée parfois ici depuis un an, toujours ce même sourire, toujours ces yeux noirs, toujours cette douceur apparente, toujours hors de cet espace Schengen qui offrirait un peu d’air. Souvent ta vie n’est que promenades, photographies colorées, pâtisseries et séries télévisées. Depuis peu tu peins, mais il n’y a pas, dans ces morceaux vifs aux motifs tellement enfantins qu’ils m’étonnent, ce qui fait parfois la précision graphique de certaines de tes images.
C’est au réveil que je lis ton message. Tu me dis que tu vas bien : Being away from mom really helped me to cheer up and keep sane.
Il y avait d’abord eu les mots durs de ta mère, puis les menaces, puis plus récemment les silences ou plutôt l’interminable silence de plusieurs semaines entre vous, et puis enfin ce mot que tu m’as écrit dans la nuit de dimanche à lundi : “She locked me out.” Tu n’étais plus le bienvenu dans cette cette maison qui n’est pas la tienne.
Je me rends compte qu’ici, aujourd’hui, il m’est important de relayer cela. Je reprends tes mots, je donne à lire, je fais témoignage de ce qui t’arrive : tu es mis à la porte de chez toi parce que tu es homosexuel et que ta mère ne le supporte pas.
Tu viens d’un pays où tu risques un an de prison, me dit Wikipédia.
Et je ne peux rien faire pour toi.